Gratuité : les observations attentives de Nestor, tram de la ligne C

Par Edouard Schoene

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Le témoignage de « Nestor » (le prénom a été modifié), un tram de la ligne C, qui circulait en direction de Seyssins-le-Prisme. Grenoble, le 20 mai 2017, vers 16h.

Je suis un tram C, je par­cours chaque jour la ligne qui joint le cam­pus uni­ver­si­taire et Seys­sins. Je tra­verse la ville d’est en ouest ou inver­se­ment. Ma vie inté­rieure est foi­son­nante. Avec quelques conflits, il faut bien l’a­vouer. J’aimerais témoi­gner ici aujourd’hui d’une de mes aven­tures inté­rieures.
Nous sommes le 20 mai, autour de 16h lorsque j’arrive à l’arrêt Cha­vant en direc­tion « Seys­sins le Prisme ». Les contrô­leurs m’y attendent et pénètrent en groupe dans la par­tie avant de ma car­ros­se­rie.
A mon arrière, je vois entrer un groupe de six per­sonnes aty­piques. Ceux sont des super-héroïnes habillées de col­lants, de capes et de ban­deaux. Elles se dirigent à l’avant en chan­tant joyeu­se­ment une reprise de capi­taine Flam : « Cap­taine TAG tu n’es pas de notre galaxie […] bou­ger ces hommes et femmes ne devraient pas avoir de prix ». Des super-héroïnes qui com­battent pour que tous puissent mon­ter gra­tui­te­ment dans mes rames. La gra­tui­té des trans­ports, ça me dit bien quelque chose.

Il fait beau, nous sommes same­di, tout le monde est déten­du et beau­coup se laissent prendre au jeu. Pas les contrô­leurs, appa­rem­ment. La ren­contre se fait entre les deux groupes. D’un côté les héroïnes en col­lant vou­lant sau­ver les pas­sa­gers du capi­taine TAG et de l’autre ces mes­sieurs dont l’air sévère laisse entendre leur désac­cord avec une comé­die autour de la gra­tui­té de moi-même et de mes col­lègues trams.

On va rire !

Les contrô­leurs demandent aux super-héroïnes leurs tickets de trans­port. C’est là qu’un jeu com­mence avec « Oui mon ticket, j’en ai un mais faut que je le retrouve […] il est peut-être dans mon col­lant ou… peut-être dans mes bottes super bio­niques » ou encore de « Ah oui j’en ai un mais pour­quoi vou­lez-vous le voir ? Nous, vous savez on est là pour pro­té­ger les gens alors vous inquié­tez pas ». Quelques secondes plus tard, l’un d’eux dégaine son tal­kie wal­kie : « Ah oui ça vous fait rire ? Bah on va rire » et appelle la gen­dar­me­rie. Nos gentes en col­lant n’ont de toute évi­dence pas le pou­voir de se télé­trans­por­ter. Elles se retrouvent blo­quées dans ma par­tie avant et cela jusqu’au ter­mi­nus de Seys­sins, et plus encore…

Elles ont sans doute réus­si leur mis­sion. Pen­dant tout ce temps, les contrô­leurs ne débusquent pas de poten­tiels « frau­deu­reuses ». Sur ce tra­jet, j’ai été gra­tuit pour tous entre Cha­vant et le ter­mi­nus ! L’une des super-héroïnes tente d’expliquer le sens de la comé­die (il faut tou­jours un cri­tique d’art, à un moment ou un autre) mais les contrô­leurs ne sont pas là pour dis­cu­ter mais « pour faire (leur) tra­vail ! ».

Arri­vées au ter­mi­nus, elles sont tou­jours pri­son­nières. Dans ma vie de tram, j’ai tou­jours vu les gens entrer et sor­tir. Quelques pas­sa­gers s’en étonnent  et tentent de res­ter pour voir mais sont rapi­de­ment reje­tés. Alors que je me dirige vers l’échangeur, après le ter­mi­nus, contrô­leurs et héroïnes en col­lants sont encore entre mes flancs, ce qui n’est pas per­mis ! Tout le monde doit sor­tir au ter­mi­nus, c’est le règle­ment ! Je fais quoi, moi, s’il arrive quelque ennui à ces per­sonnes ! Mon conduc­teur est du même avis que moi, et le fait ver­te­ment savoir.
Se rajoute à cela l’arrivée de deux gen­darmes. L’une des six per­sonnes n’avait tou­jours pas mon­tré son ticket ce qui lui vaut un contrôle d’identité et une amende pour refus d’obtempérer. Une autre est accu­sée par les contrô­leurs d’avoir par­lé trop fort. Cette plainte pour trouble à l’ordre public dans un tram res­te­ra sans suite…

La ten­sion monte lorsque les pas­sa­gers curieux s’approchent de ma vitre avant pour regar­der ce qui se passe. Les contrô­leurs leur demandent de par­tir et les gen­darmes repèrent un débor­de­ment qui mérite des ren­forts.

Des gendarmes, dix, puis vingt, puis trente…

Au bout de 10 minutes, tout le monde des­cend non sans pro­tes­ta­tion de mon bon conduc­teur de tram : nous sommes en pleine voie après le ter­mi­nus, tout à fait inter­dit. Contrô­leurs, super-héroïnes, pas­sa­gers curieux et gen­darmes patientent dehors avant que les ren­forts n’ar­rivent. Il sont dix puis vingt puis trente puis… si nom­breux ! Des gen­darmes en moto qui ont enten­du l’appel par radio se joignent au groupe. Nos six super-héroïnes sont tel­le­ment ter­ri­fiantes… Pour­tant, l’ambiance semble être davan­tage aux retrou­vailles autour d’une pause méri­tée pour ces gen­darmes en ser­vice que d’une inter­ven­tion à risque. Cer­tains semblent déçus d’être venus aus­si nom­breux « juste pour cela » ; ils avaient sûre­ment autre chose à faire.

Une gen­darme effec­tue des contrôles d’identité, le chef dis­cute avec les pas­sa­gers curieux. L’un est accu­sé d’avoir blo­qué mes portes de tram­way, une autre est accu­sée d’avoir fil­mé lorsque tout le monde était encore en mon inté­rieur douillet.

Une nuit au poste

Au bout d’une demi-heure, les super-héroïnes sont relâ­chées. Mais pas deux des pas­sa­gers curieux. Ils sont emme­nés au poste pour véri­fi­ca­tion d’identité. Celle accu­sée d’avoir fil­mé en res­sor­ti­ra au bout d’une demi-heure avec un pro­cès ver­bal. L’autre res­te­ra 22 h en garde à vue pour refus de don­ner son iden­ti­té. Il res­te­ra donc une nuit et une mati­née avec des inter­ro­ga­toires pour de vrai : on n’é­tait plus dans la comé­die. Avait-on vrai­ment besoin d’en arri­ver là ?

 

Texte collectif des super héroïnes du 20 mai

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