Grenoble. Gilbert Achcar esquisse l’avenir incertain du peuple palestinien
Par Maryvonne Mathéoud
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Après un rappel de l’organisateur Mazdak Kafai sur le succès de la manifestation nationale pour la Palestine — qui a réuni plus de 50 000 personnes à Paris, le 29 novembre -, sa camarade Marianne, militante également du NPA-l’Anticapitaliste, a introduit la conférence en présentant Gilbert Achcar. Intellectuel et militant libanais, professeur émérite à la School of Oriental and African Studies (École des études orientales et africaines — SOAS) de l’Université de Londres, il écrit régulièrement dans différentes publications, dont Le Monde diplomatique. Son dernier ouvrage, Gaza, génocide annoncé : un tournant dans l’histoire mondiale, est paru en mai 2025, aux éditions La Dispute.

« Nous observons que le cessez-le-feu n’est pas respecté mais au-delà de ça, c’est la guerre d’Israël qui n’est pas terminée. » C’est par cette phrase qu’a débuté la conférence de Gilbert Achcar. « Pour Benyamin Netanyahou, le plan de paix de Trump n’est qu’une trêve pour que les otages soient libérés et pour donner un répit à son armée avant de se relancer dans la bataille, comme il l’avait fait quelques semaines après un cessez-le-feu. Son objectif est de prendre toute la bande de Gaza », a‑t-il affirmé.
« À ce jour, 53 % du territoire de Gaza est sous occupation israélienne. Le plan de paix de Trump n’ira pas loin, il est déjà bloqué », a poursuivi le chercheur libanais. Avant de détailler : « La résolution du conseil de sécurité de l’ONU vient d’analyser ce plan et ne fait que reprendre les termes du plan de Trump. Ce plan ne prévoit même pas le retrait total de Gaza de l’envahisseur. Ce texte est en violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il fait fi du droit à l’auto-détermination du peuple palestinien de choisir ses représentants. Ce droit est signifié, dans le plan, comme une hypothèse au cas où l’Autorité palestinienne serait réformée selon les desiderata d’Israël. C’est une nouvelle version des mandats coloniaux de l’entre-deux-guerres. »
« Une guerre coloniale »
Gilbert Achcar est revenu sur l’histoire de la région et sur les origines du conflit, à savoir la Nakba. En 1948, 80 % des Palestiniens ont fui mais n’ont jamais pu revenir chez eux. Et quatre cents villages ont été détruits. Il s’agit bien d’une « guerre coloniale », a souligné l’intellectuel marxiste libanais. Et de pointer les discours tenus au sein du gouvernement israélien, avec « d’un côté, les civilisés et de l’autre, les barbares ». « Nous combattons des animaux humains », a d’ailleurs déclaré le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant.

Selon Gilbert Achcar, le 7 octobre était un mauvais calcul du Hamas, qui a permis la catastrophe que l’on connait aujourd’hui. Mais l’action d’Israel n’a plus rien à voir avec de l’auto-défense.
Le 7 octobre est ainsi devenu un prétexte pour poursuivre l’objectif de la droite israélienne dont la finalité est une opération ethnique, c’est-à-dire chasser les Palestiniens de Gaza mais aussi de Cisjordanie.
Dans la lutte anti-coloniale que mènent les Palestiniens depuis des décennies, il y a eu des « bourdes », a reconnu l’universitaire de 74 ans, à propos de l’attaque du 7 octobre 2023. Néanmoins, dans la guerre que mène Israël au peuple palestinien, il est évident que la supériorité miliaire est immense. Israël est mille fois plus armé que les Palestiniens. C’est la condition de la proportionnalité qui indique quand vous sortez du cadre du droit. Il s’agit alors d’un génocide, c’est une destruction massive.
« Les peuples colonisés se libèrent (…) par les mobilisations de masse des peuples eux-mêmes et par la solidarité des peuples d’autres pays. »
Gilbert Achcar
Poursuivant son exposé à la tribune, le militant libanais a évoqué plusieurs épisodes importants. La première intifada, en 1987, résistance et vraie lutte populaire. L’OLP s’en est saisie et a proclamé l’indépendance de l’État palestinien un an plus tard. Un long processus qui a abouti sur les accords d’Oslo, en 1993. Puis la seconde intifada, lutte armée qui a conduit, en 2001, à l’arrivée au poste de Premier ministre d’Ariel Sharon. Lequel avait allumé l’incendie par sa visite sur l’esplanade des Mosquées, en tant que chef de l’opposition israélienne.
Pour Gilbert Achcar, « les peuples colonisés ne se libèrent pas par les luttes armées qui sont souvent faibles par rapport à l’occupant mais par les mobilisations de masse des peuples eux-mêmes et par la solidarité des peuples d’autres pays ». Il a également commenté la création du Hamas, mouvement issu des Frères musulmans, favorisé alors par Israël qui s’en sert comme d’un repoussoir — et qui y voyait, à l’époque, un contrepoids aux organisations composant l’OLP (Fatah, FPLP, FDLP…).

Le chercheur a en outre apporté un éclairage sur le soutien américain à Israël ainsi que sur les intérêts commerciaux des États-Unis et — plus personnellement — de Donald Trump avec les monarchies pétrolières du Golfe. Revenant sur les chiffres du génocide de Gaza, il a enfin insisté sur un élément lourdement incriminant pour le gouvernement israélien : sur les 70 000 victimes directes, 70 % sont des femmes et des enfants. Et parmi les 30 % restants, une petite partie seulement représente des combattants — lesquels sont pour la plupart dans des galeries souterraines.


