Métropole de Grenoble. Face au rôle trouble de la préfecture, les occupants interpellent les maires

Par Manuel Pavard

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Les manifestants ont investi le parvis de l'hôtel de ville, en attendant que leur délégation s'entretienne avec les représentants de la ville et du CCAS.
Les familles expulsées occupant le siège de la Métropole depuis le 19 novembre ont manifesté ce lundi 24 novembre jusqu'à la mairie de Grenoble où une délégation a été reçue. Face à l'inaction de la préfecture - dénoncée par les collectivités -, le DAL et le syndicat CGT des livreurs à vélo appellent les municipalités à réquisitionner des logements vides. Une réunion cruciale est prévue ce mardi soir entre les maires du territoire. Les occupants espèrent que ceux-ci suivront l'exemple de la ville de Saint-Martin-d'Hères, disposée à accueillir une partie des personnes si d'autres communes y participent également.

« Des loge­ments main­te­nant ! » Le slo­gan, affi­ché sur les ban­de­roles et scan­dé par le cor­tège défi­lant ce lun­di midi entre le siège de Gre­noble Alpes Métro­pole et la mai­rie de Gre­noble, illustre autant la « sim­pli­ci­té » des reven­di­ca­tions que l’ur­gence de la situa­tion. De fait, les familles dor­mant depuis mer­cre­di 19 novembre dans les locaux de la Métro­pole ne font « que » deman­der un toit sur leur tête, chose à laquelle celles-ci ont droit au vu du « carac­tère incon­di­tion­nel » de l’hé­ber­ge­ment. Mais les condi­tions d’ac­cueil de plus en plus pré­caires, place André-Mal­raux, rendent la quête d’une solu­tion par­ti­cu­liè­re­ment pres­sante.

Les familles devant le siège de la Métro­pole, avant le départ de la mani­fes­ta­tion en direc­tion de la mai­rie de Gre­noble, lun­di midi.

Le pre­mier jour, ils étaient en effet quelques dizaines, pour la plu­part des livreurs à vélo et leurs familles, expul­sés à la demande du bailleur social Actis, les 28 octobre et 18 novembre, des loge­ments qu’ils occu­paient, place des Géants, à la Vil­le­neuve. Un nombre qui a très vite gon­flé, pour atteindre aujourd’­hui près de 180 per­sonnes, entas­sées dans une salle de réunion du siège métro­po­li­tain. Par­mi eux, « des femmes enceintes, des bébés, beau­coup d’en­fants », détaille Kadia­tou, l’une des occu­pantes. Quant aux condi­tions d’hy­giène, « impos­sible de se laver ou prendre une douche », déplore Moha­med Fofa­na, secré­taire géné­ral du syn­di­cat CGT des livreurs à vélo et pré­sident de l’as­so­cia­tion Ada­li. « Beau­coup de gens sont tom­bés malades », constate-t-il.

Mal­gré la pluie conti­nue, les mani­fes­tants ont défi­lé dans les rues jus­qu’à l’hô­tel de ville, inter­pel­lant l’en­semble des col­lec­ti­vi­tés (pré­fec­ture, métro­pole, muni­ci­pa­li­tés).

Dans de telles condi­tions, les mili­tants de Droit au loge­ment (DAL), du syn­di­cat des livreurs et des autres asso­cia­tions sou­te­nant l’oc­cu­pa­tion ont déci­dé d’or­ga­ni­ser une déam­bu­la­tion jus­qu’à la mai­rie de Gre­noble, ce lun­di 24 novembre. La pré­fec­ture étant comme tou­jours aux abon­nés absents, ceux-ci ont déci­dé d’in­ter­pel­ler les maires, à com­men­cer par celui de la ville-centre. « On est venu deman­der au maire de Gre­noble des actions rapides », explique Raphaël Beth, du DAL 38. « Il s’est enga­gé en mai 2025 à réqui­si­tion­ner des loge­ments vides pri­vés appar­te­nant à des mul­ti­pro­prié­taires. Mais ça traîne beau­coup ! »

« Emboîter le pas à la mairie de Saint-Martin-d’Hères »

Le DAL avait éga­le­ment iden­ti­fié des immeubles appar­te­nant au patri­moine muni­ci­pal, les­quels se sont fina­le­ment avé­rés inadap­tés, comme l’ont indi­qué les ser­vices de la ville à la délé­ga­tion reçue en mai­rie. Cette réunion, menée avec l’é­lue à la grande pré­ca­ri­té Céline Des­lattes, le direc­teur de cabi­net du maire et la direc­trice du CCAS, a accou­ché d’un « bilan en demi-teinte », estime Raphaël Beth. Côté « posi­tif », la muni­ci­pa­li­té va « déclen­cher un tra­vail contre les expul­sions à la Vil­le­neuve ».

Concer­nant les demandes de réqui­si­tion, c’est pour l’ins­tant le sta­tu quo. Néan­moins, tout pour­rait se décan­ter à par­tir de ce mar­di 25 novembre au soir. « On leur a deman­dé [NDLR : aux repré­sen­tants de la ville de Gre­noble] de reve­nir avec des pro­po­si­tions à l’is­sue de la réunion pré­vue demain soir, à l’i­ni­tia­tive de la Métro, entre les maires », pré­cise le mili­tant du DAL, qui espère que les édiles pour­ront « emboî­ter le pas à la mai­rie de Saint-Mar­tin-d’Hères ».

Par­mi les occu­pants du siège de la Métro­pole, de nom­breuses familles avec des enfants en bas âge.

La Métro­pole a en effet deman­dé aux maires du ter­ri­toire de « mettre à dis­po­si­tion leurs loge­ments », ajoute-t-il. « Le maire de Saint-Mar­tin-d’Hères a répon­du qu’il était d’ac­cord pour jouer le jeu, notam­ment dans un hôtel vide de la com­mune, si les autres maires s’y met­taient. » Dans ce dos­sier, la posi­tion de David Quei­ros, maire de Saint-Mar­tin-d’Hères, et des autres élus com­mu­nistes est clai­re­ment affi­chée : ok pour héber­ger des occu­pants mais, sou­ligne un mili­tant PCF, « il faut une soli­da­ri­té inter­com­mu­nale pour évi­ter de concen­trer la misère » en un même point.

Une « préfecture politisée »

Quid des ser­vices de l’É­tat ? Pour Raphaël Beth, « avec un gou­ver­ne­ment bien à droite et ayant repris la plu­part des idées d’ex­trême droite », dif­fi­cile de comp­ter des­sus. Tou­te­fois, Chris­tophe Fer­ra­ri, pré­sident de la Métro­pole, et Jérôme Rubes, vice-pré­sident au loge­ment, ont bien inter­pel­lé la pré­fète de l’I­sère Cathe­rine Séguin, dans une lettre datée du same­di 22 novembre, l’im­plo­rant « d’ou­vrir un dia­logue » pour trou­ver une solu­tion. Car « l’État, en charge de l’hébergement d’urgence, ne peut pas être absent », assènent-ils.

L’i­nac­tion et le silence de la pré­fec­ture depuis le début de l’oc­cu­pa­tion ques­tionnent cepen­dant. Jéré­mie Gio­no, secré­taire dépar­te­men­tal du PCF Isère, n’hé­site pas ain­si à poin­ter le rôle trouble joué par l’ins­ti­tu­tion : « L’hé­ber­ge­ment d’ur­gence et la lutte contre le mal-loge­ment rele­vant des com­pé­tences de l’É­tat, c’est inad­mis­sible que la pré­fec­ture se défausse sur les col­lec­ti­vi­tés et crée elle-même des ten­sions. »

Les mani­fes­tants — par­mi les­quels beau­coup de livreurs à vélo — sur le par­vis de l’hô­tel de ville de Gre­noble.

Il accuse cette der­nière de « com­pli­ci­té objec­tive avec les mar­chands de som­meil ». Les­quels ont pour­tant exploi­té la misère des familles en leur relouant à prix d’or les loge­ments vides qu’ils s’é­taient appro­priés illé­ga­le­ment. Et en les mena­çant. Mais au lieu de sévir contre ces indi­vi­dus, « l’É­tat a pré­fé­ré expul­ser les vic­times », s’in­digne le res­pon­sable com­mu­niste, consta­tant que cette posi­tion n’est « pas nou­velle » — réfé­rence au module de prise de ren­dez-vous en ligne pour le renou­vel­le­ment des titres de séjour.

Métropole et mairies incitées à « envoyer la facture à l’État »

Jéré­mie Gio­no s’in­ter­roge en outre sur les réels objec­tifs pour­sui­vis par les ser­vices pré­fec­to­raux à quelques mois des élec­tions muni­ci­pales, allant jus­qu’à évo­quer une « pré­fec­ture poli­ti­sée. Elle ne gère pas les pro­blèmes, fabrique des crises, attise les divi­sions et le racisme », égrène-t-il. Tout cela, assure le secré­taire dépar­te­men­tal, « pour désta­bi­li­ser la gauche ».

De son côté, Raphaël Beth incite les mai­ries qui se mon­tre­raient hési­tantes à « prendre les devants et finan­cer les héber­ge­ments, puis der­rière envoyer la fac­ture à l’É­tat. Les tri­bu­naux suivent », affirme-t-il. La ville de Gre­noble l’a déjà expé­ri­men­té, tout comme, de manière plus impor­tante, « la ville de Rennes et sur­tout la com­mu­nau­té d’ag­glo­mé­ra­tion du Pays basque qui a fait un recours et a vu l’É­tat condam­né à lui rever­ser un mil­lion d’eu­ros ».

Au méga­phone, Moha­med Fofa­na, secré­taire géné­ral du syn­di­cat CGT des livreurs à vélo et pré­sident de l’as­so­cia­tion Ada­li.

Les quelque 180 occu­pants sont plus que jamais déter­mi­nés à ne pas céder d’un pouce. « Tant que les bâti­ments vides ne seront pas réqui­si­tion­nés, on ne bou­ge­ra pas de la Métro », pré­vient ain­si Moha­med Fofa­na. Il en va, selon le livreur, de « la digni­té et du res­pect des droits humains » de ces familles.

Appe­lant la popu­la­tion à la soli­da­ri­té, Raphaël Beth rap­pelle quant à lui une évi­dence : les Gre­no­blois sont bien contents de trou­ver ces femmes pour faire le ménage dans les bureaux ou ces hommes (en majo­ri­té livreurs à vélo pour les pla­te­formes comme Uber Eats ou Deli­ve­roo) pour leur livrer des repas à domi­cile à toute heure, « qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige ».

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