Grenoble. Liste autonome ou union de la gauche, le choix qui divise les insoumis

Par Manuel Pavard

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Militants de la France insoumise dans le cortège grenoblois, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites.
Membre de l'actuelle majorité à Grenoble, la France insoumise a pourtant décidé de présenter une liste autonome, conduite par Allan Brunon, pour les municipales 2026. Et ce, malgré la candidature de Laurence Ruffin, tête de liste du rassemblement de la gauche écologiste et citoyenne. Un choix de la direction nationale de LFI, faute de consensus chez les militants insoumis locaux, partagés entre les deux options.

Les résul­tats de l’é­tude, réa­li­sée par Clus­ter 17 pour le compte de l’As­so­cia­tion démo­cra­tie éco­lo­gie soli­da­ri­té (ADES), ont été dif­fu­sés ven­dre­di 3 octobre. Un son­dage qui teste deux hypo­thèses, en vue du pre­mier tour des muni­ci­pales 2026 à Gre­noble. La pre­mière, avec Lau­rence Ruf­fin tête de liste d’un large ras­sem­ble­ment de la gauche com­pre­nant les Éco­lo­gistes, le PCF, mais aus­si le PS et LFI, place celle-ci très lar­ge­ment en tête, avec près de 45 % des voix. À 21 points devant Alain Cari­gnon. La deuxième, en revanche, la classe tou­jours à la pre­mière place, mais avec 31 %. Sou­te­nue ici par les éco­lo­gistes, com­mu­nistes et socia­listes, elle doit en effet com­po­ser, dans ce scé­na­rio, avec la concur­rence d’une liste insou­mise auto­nome conduite par Allan Bru­non. Laquelle recueille­rait 12 % des votes.

Selon un son­dage com­man­dé par l’ADES, Lau­rence Ruf­fin obtien­drait 45 % si sa liste englo­bait éga­le­ment le PS et LFI.

Dans cette seconde hypo­thèse — qui inclut éga­le­ment une liste Place publique menée par Romain Gen­til -, le can­di­dat de la France insou­mise gri­gnote incon­tes­ta­ble­ment des voix à Lau­rence Ruf­fin. Mais son score plu­tôt modeste inter­pelle : le jeu en vaut-il la chan­delle ? C’est l’un des argu­ments employés par Julien (le pré­nom a été modi­fié), mili­tant insou­mis gre­no­blois défa­vo­rable à la stra­té­gie d’Al­lan Bru­non. « Le son­dage de l’ADES le montre par­fai­te­ment : la gauche unie au pre­mier tour, ça fait 45 %, alors que nous tout seuls, on pla­fonne à 12 % », observe-t-il.

Pas de consensus entre les groupes d’action grenoblois

Si ce son­dage reste, comme tout son­dage, à prendre avec des pin­cettes, Julien est loin d’être le seul à faire ce constat. Par­mi les insou­mis locaux, cer­tains expriment ain­si de sérieuses réserves, voire une réelle incom­pré­hen­sion, face au choix du mou­ve­ment… Là où d’autres assument plei­ne­ment ce posi­tion­ne­ment. Une chose est sûre, le sujet est cli­vant en interne. Des divi­sions qui auraient pesé sur le pro­ces­sus déci­sion­naire.

Celui-ci s’est dérou­lé en deux temps. Avec tout d’a­bord une assem­blée géné­rale, convo­quée dans un délai très bref, à Gre­noble, afin de confron­ter les dif­fé­rents points de vue. « Une par­tie des groupes d’ac­tion étaient pour faire l’u­nion [NDLR : avec Lau­rence Ruf­fin], d’autres non. Comme il n’y a pas eu de consen­sus, c’est le natio­nal qui a tran­ché », raconte Julien.

Dra­peau de la France insou­mise dans une mani­fes­ta­tion contre l’ex­trême droite, en 2021.

La déci­sion du comi­té élec­to­ral — ins­tance natio­nale de LFI — a ensuite été offi­cia­li­sée le 19 sep­tembre, à la Vil­le­neuve, confir­mant ce que beau­coup, à gauche, pres­sen­taient : l’ex­pé­rience « Gre­noble en com­mun » ne sera pas recon­duite en 2026, sauf retour­ne­ment de situa­tion tou­jours pos­sible. Une vraie rup­ture après les alliances nouées lors des deux man­dats d’É­ric Piolle.

« Une contradiction »

Un détail sau­tait tou­te­fois aux yeux ce jour-là. Aux côtés d’Al­lan Bru­non figu­rait bien la dépu­tée Éli­sa Mar­tin, ancienne pre­mière adjointe au maire de Gre­noble. Mais nulle trace des élus LFI de la majo­ri­té muni­ci­pale, Alan Confes­son et Lau­ra Pfis­ter. Si le can­di­dat insou­mis a invo­qué, auprès de nos confrères du Dau­phi­né libé­ré, « un empê­che­ment lié à leur man­dat », leur absence pou­vait dif­fi­ci­le­ment pas­ser inaper­çue.

À ce stade, aucun des deux adjoints n’a sou­hai­té s’ex­pri­mer sur le sujet. Il se mur­mure cepen­dant qu’A­lan Confes­son pour­rait bien­tôt prendre la parole publi­que­ment. De leur côté, cer­tains mili­tants LFI relèvent « une contra­dic­tion », à l’ins­tar de Tania (le pré­nom a été modi­fié) : « Com­ment expli­quer qu’on puisse d’un côté, faire par­tie de la majo­ri­té durant tout le man­dat, voter les déli­bé­ra­tions, etc, et de l’autre, faire cava­lier seul pour les muni­ci­pales ? Sur­tout que le pro­fil de Lau­rence Ruf­fin semble assez en accord avec nos idées. Ce n’est pas comme si on nous deman­dait de sou­te­nir une liste PS ou Place publique… »

La Nupes… à l’é­poque (pas si loin­taine) de la gauche unie.

Julien n’est lui non plus pas convain­cu par l’ar­gu­men­taire d’une par­tie de ses cama­rades. Certes, « on peut se dire que ça a du sens de pré­sen­ter une liste auto­nome à Gre­noble quand Jean-Luc Mélen­chon obtient 40 % ici, dans une élec­tion natio­nale », recon­naît-il. Mais pour le mili­tant, cela ne suf­fit pas : « Notre groupe d’ac­tion était pour l’u­nion de la gauche, ce qui n’empêchait pas de poser cer­taines condi­tions. » À savoir « ne pas être sous la tutelle des Éco­lo­gistes ». Et concoc­ter « une liste où la France insou­mise pèse­rait plus qu’en 2020 ». Une posi­tion qui était, selon lui, « celle de beau­coup de groupes d’ac­tion gre­no­blois ».

« On a milité et manifesté ensemble »

C’est dans ce sens éga­le­ment que la conseillère régio­nale insou­mise Émi­lie Marche a répon­du aux ques­tions du Dau­phi­né libé­ré, le 1er octobre, regret­tant la can­di­da­ture d’Al­lan Bru­non. Inter­view qui lui a valu une sus­pen­sion par LFI le soir même. « Je ne vois pas quelle rup­ture idéo­lo­gique jus­ti­fie­rait de pré­sen­ter une liste auto­nome à Gre­noble », expli­quait-elle, le len­de­main, au Tra­vailleur alpin. « En tant que res­pon­sable poli­tique et élue régio­nale, je suis cohé­rente et en accord avec mes idées, qui se retrouvent jus­te­ment dans la liste de Lau­rence Ruf­fin. Ça n’a pas de sens que la gauche se divise. »

L’é­lue régio­nale Émi­lie Marche a été sus­pen­due par LFI pour avoir mis en doute la stra­té­gie insou­mise dans une inter­view.

Pour Émi­lie Marche, refu­ser cette union que « l’é­lec­to­rat de gauche attend » n’au­ra qu’un résul­tat : « favo­ri­ser Cari­gnon ». Sans comp­ter, sou­ligne Sarah (le pré­nom a été modi­fié) que les insou­mis ont tis­sé « de vrais liens » avec leurs cama­rades des autres orga­ni­sa­tions de gauche, ces der­nières années. « On a mili­té et mani­fes­té ensemble, par­ta­gé des com­bats, des mobi­li­sa­tions », rap­pelle-t-elle. Après ça, « dif­fi­cile d’ex­pli­quer aux mili­tants qu’ils doivent être main­te­nant en concur­rence pen­dant la cam­pagne ».

Les partisans d’une liste LFI autonome invoquent aussi le programme

Qu’en pensent Allan Bru­non et ses sou­tiens ? Mal­gré nos sol­li­ci­ta­tions, ces der­niers n’ont pu être joints ou n’ont pas sou­hai­té nous répondre direc­te­ment. Tout en glis­sant néan­moins, pour cer­tains, quelques argu­ments en off. Il y a d’a­bord ce besoin de « radi­ca­li­té » qu’ex­pri­me­raient les élec­teurs de gauche gre­no­blois dans le contexte poli­tique actuel ain­si que leur attente « d’é­lus de com­bat ». Un concept décli­né par le can­di­dat lors de sa confé­rence de presse à la Vil­le­neuve.

Mais les par­ti­sans d’une liste LFI auto­nome invoquent aus­si le pro­gramme, repro­chant à la liste de ras­sem­ble­ment de la gauche éco­lo­giste une « inca­pa­ci­té à dis­cu­ter du fond » — pour reprendre les mots d’É­li­sa Mar­tin le 1er octobre. Par­mi leurs pro­po­si­tions, issues d’une « consul­ta­tion popu­laire » menée dans les quar­tiers de Gre­noble, cer­taines semblent témoi­gner d’une volon­té de rup­ture ou du moins d’une prise de dis­tance avec la poli­tique de l’ac­tuelle majo­ri­té muni­ci­pale… Et ce, alors que les insou­mis en font tou­jours plei­ne­ment par­tie.

Jean-Luc Mélen­chon à Ven­co­rex, aux côtés des dépu­tées LFI Éli­sa Mar­tin et San­drine Nos­bé, en mars 2025. © Manuel Pavard

D’au­cuns pointent ain­si les man­que­ments des man­da­tures Piolle, concer­nant les biblio­thèques, le milieu de la culture ou les quar­tiers Sud. Et plu­sieurs axes de cam­pagne de LFI remettent en cause des réa­li­sa­tions ou pro­jets de la muni­ci­pa­li­té. Citons la mise en place d’un réfé­ren­dum sur le lac bai­gnable de la Vil­le­neuve, le refus de la ZFE — qui relève tou­te­fois davan­tage de la métro­pole — ou encore l’ar­rêt du jume­lage avec la ville israé­lienne de Reho­vot, sim­ple­ment sus­pen­du sine die par le maire. Même sur le loge­ment, Allan Bru­non affirme vou­loir appli­quer une véri­table réqui­si­tion des loge­ments vacants, pro­messe d’É­ric Piolle tar­dant à être res­pec­tée, d’a­près le DAL.

« Laurence Ruffin, ce n’est pas Éric Piolle ni François Ruffin »

Pour­tant, Lau­rence Ruf­fin l’a répé­té après sa dési­gna­tion, elle n’en­tend pas conduire un troi­sième man­dat mais bien écrire « une nou­velle page » pour la gauche. « Lau­rence Ruf­fin, ce n’est pas Éric Piolle… Ni Fran­çois Ruf­fin », abonde Tania, navrée de voir la tête de liste assi­mi­lée à son frère par cer­tains cama­rades, par­ti­cu­liè­re­ment hos­tiles au dépu­té de la Somme depuis son départ de la France insou­mise.

« En fait, les invec­tives et les passes d’armes entre les diri­geants de nos par­tis res­pec­tifs finissent par se réper­cu­ter à Gre­noble, pour­suit la mili­tante. C’est dom­mage car à la base, les mili­tants sont plus sou­vent pour l’u­nion, j’ai l’im­pres­sion — et je ne parle pas que pour LFI. Fina­le­ment, on arrive mieux à s’en­tendre entre nous sur le ter­rain que dans les états-majors pari­siens. »

Sur le fond, il existe certes « des diver­gences » entre LFI et les autres par­tis de gauche, admet Julien. « Mais ce sont des points qu’on aurait pu enter­rer », estime-t-il. Lui déplore éga­le­ment un « manque de cohé­rence à l’é­chelle de la métro­pole. On essaye de s’al­lier avec les éco­lo­gistes et les com­mu­nistes à Fon­taine ou à Échi­rolles, par exemple, et à côté de ça, il y a l’ex­cep­tion gre­no­bloise… »

« Chacun a son libre arbitre »

Reste un point d’in­ter­ro­ga­tion : com­ment vont réagir les mili­tants insou­mis durant la cam­pagne, notam­ment ceux qui n’é­taient pas enchan­tés par la déci­sion ? « C’est sûr que cer­tains groupes d’ac­tion seront un peu moins moti­vés que d’autres. Il y a un petit coup de mou pour ceux qui étaient dans une dyna­mique unio­niste », recon­naît Julien. « Dans notre groupe, on va écou­ter tout le monde et voir ce que les gens veulent faire. Mais cha­cun a son libre arbitre. »

Contac­té, Allan Bru­non n’a pas sou­hai­té s’ex­pri­mer.

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