« Bloquons tout » : une marée humaine dans les rues de Grenoble
Par Manuel Pavard
/

Combien étaient-ils à défiler entre la place Victor-Hugo et le parc Paul-Mistral ce mercredi après-midi ? Près de 30 000, selon les organisateurs ; environ 11 000 d’après la police — estimation objectivement très basse. Une chose est sûre, on n’avait pas vu une telle foule dans les rues de Grenoble depuis un bon moment, sans doute depuis les grandes manifestations contre la réforme des retraites, début 2023.

« Vous vous rendez compte, on est déjà au niveau des bulles alors qu’une partie du cortège n’a toujours pas bougé », s’exclame Alban, agent territorial. « Et un mercredi en plus ! » Un vrai succès pour les instigateurs locaux du mouvement « Bloquons tout », aréopage hétéroclite réunissant syndicalistes, militants politiques et associatifs, ex-gilets jaunes, membres de collectifs et citoyens. Mais aussi un joli pied de nez « à tous ces chroniqueurs et éditorialistes qui prédisaient un flop au mouvement du 10 septembre », tacle Cécile, infirmière se présentant comme « une révoltée par nécessité ».

Pour la trentenaire comme pour de nombreux autres manifestants isérois, cette manifestation est venue ponctuer une longue et intense journée de mobilisation, débutée aux aurores. Des blocages et barrages fiiltrants ont ainsi été mis en place dès 6 heures du matin dans une grande partie du département : à Saint-Marcellin, Moirans, Crolles, Voiron, Saint-Quentin-Fallavier, Lans-en-Vercors, Vienne, Bourgoin-Jallieu… Et bien sûr dans l’agglomération grenobloise : Porte de France, pont de Catane, boulevard Jean-Pain, arrêt de tram La Poya à Fontaine ou encore rond-point d’Ikea à Saint-Martin-d’Hères.
Des automobilistes ralentis mais souvent compréhensifs
Si certains d’entre eux ont été assez rapidement délogés par la police, venue disperser les manifestants sans ménagement, d’autres ont tenu un peu plus longtemps, à l’instar du blocage boulevard Jean-Pain. Plus de 200 personnes s’y sont massées dans la matinée, filtrant à l’aide de barrières la circulation des automobilistes, contraints de rouler sur une seule file. Mais parmi ces derniers, beaucoup se montraient très compréhensifs, voire totalement solidaires du mouvement.

Belle mobilisation également à Fontaine où un barrage filtrant a été organisé dès 6h30 au niveau de l’arrêt de tram La Poya, terminus de la ligne A. Une demi-heure plus tard, ils étaient une bonne cinquantaine : chasubles CGT, Solidaires, gilets jaunes, militants PCF, LFI, NPA, libertaires… Et comme partout, beaucoup de jeunes.

Les automobilistes ralentis ont accueilli avec le sourire l’attestation de retard ou absence délivrée par les manifestants et le tract appelant à la manifestation de l’après-midi. Certains ont même été « enrôlés », à l’image de ce jeune chauffeur déclarant aux militants : « Vous m’avez convaincu, je n’irai pas travailler aujourd’hui. Je manifesterai avec vous. » Et lorsque les publications sur les réseaux sociaux ont informé de la charge policière aux gaz lacrymogènes sur le pont de Catane, l’indignation a été générale.
Des jeunes présents en nombre
Pour Cécile, la présence policière massive et les nombreuses interventions des forces de l’ordre, tout au long de la matinée, témoignent d’un « pouvoir macroniste aux abois, qui ne tient plus que par la répression tellement tout le monde les déteste ». Rencontrée au départ du défilé, place Victor-Hugo, l’infirmière est, comme ses collègues, « agréablement surprise de voir autant de monde. Et surtout ravie du nombre de jeunes présents », affirme-t-elle.

Ceux-ci sont en effet largement représentés, avec notamment un cortège étudiant très imposant. Rien d’étonnant, à en croire Alice et Mehdi, étudiants en licence à l’Université Grenoble Alpes (UGA). « Pour nous, c’est vraiment de pire en pire, déplorent-ils. On a du mal à se loger, du mal à se nourrir, du mal à se chauffer… Et on ne voit aucune amélioration à l’horizon ! » L’étudiante raconte la file de « plusieurs centaines de personnes qui faisaient la queue, dimanche dernier, pour une distribution alimentaire sur le campus ». « Même quand on travaille à côté, on galère », abonde son camarade.

Plus loin, Sylvain, militant CGT, ne décolère pas. « Ce qu’on fait aux jeunes, c’est lamentable : on leur laisse une planète détruite, un avenir avec du chômage et des salaires de misère…Comment voulez-vous qu’ils n’aient pas envie de se révolter ? » Lui ne se « remet pas des mesures d’austérité » avancées par François Bayrou, avant sa démission : « Nous sucrer les deux jours fériés, c’est vraiment le pompon ! Surtout quand on voit les 211 milliards d’aides publiques pour les entreprises. »
« Nommer Lecornu (…), c’est de la provocation »
Melina, salariée dans le secteur culturel, fait quant à elle des allers-retours sur les quais de l’Isère noirs de monde, comme pour mieux évaluer l’ampleur de la foule. « C’est impressionnant », se félicite-t-elle. « Mais en même temps, c’est normal vu comment Macron se fout de notre g… (sic) Nommer Lecornu, un mec de droite, Premier ministre, dans le contexte social actuel, c’est vraiment de la provocation ! Je ne devrais pas mais il arrive encore à me surprendre, dans le mauvais sens du terme. »

Après un passage par les places Notre-Dame et Sainte-Claire, les manifestants ont fait halte devant la préfecture, place de Verdun. Le tout sous la surveillance étroite des policiers, cibles de différents slogans scandés par la tête du cortège. Le défilé s’est ensuite achevé dans le parc Paul-Mistral, plusieurs milliers de personnes investissant l’anneau de vitesse pour une assemblée générale destinée à évoquer les suites du mouvement.

Après ce galop d’essai réussi, tous ont en effet le regard tourné vers les prochains jours. Avec de nouveaux blocages prévus dès le lendemain matin, jeudi 11 septembre. Et une nouvelle manifestation samedi 13 septembre, à 16 heures, à Grenoble, avant la grande manifestation intersyndicale programmée lors de la journée nationale de grève du 18 septembre.

