Grenoble. Incidents lors de la cérémonie commémorative de la rafle de Bizanet
Par Travailleur Alpin
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Mardi 26 août à Grenoble, une traditionnelle commémoration s’est déroulée pour rendre hommage aux victimes de la « rafle de Bizanet » le 26 août 1942, à Grenoble, en « zone libre ». Ce jour-là 353 hommes, femmes et enfants furent conduits à la caserne Bizanet, avenue Maréchal-Randon. Une centaine d’entre eux fut déportée après un passage à Vénissieux et à Drancy. Cinquante-trois d’entre eux ne revinrent jamais.
Un grave incident est intervenu pendant le discours de M. Claus Habfast, au nom de la ville de Grenoble. M. Alexandre Cohen, prétendu porte drapeau (il est récusé par les responsables du Souvenir français et de l’ANACR), est intervenu pendant le discours pour s’offusquer publiquement des propos de l’élu, arguant que son propos était hors sujet. Il s’en est allé en pleine cérémonie. Le président du CRIF Eric Hattab, la sénatrice Frédérique Puissat, la députée Camille Galliard-Minier, députée, la conseillère régionale Catherine Bolze, et la conseillère départementale Joëlle Hours notamment lui emboîtaient le pas.
Les massacres à Gaza et en Cisjordanie
Les reproches, repris ensuite par des déclarations du CRIF, du groupe en campagne de M. Carignon et d’autres, portaient sur des phrases prononcées par M. Claus Habfast qui évoquait l’actualité des massacres à Gaza et en Cisjordanie perpétrés par l’armée israélienne.
Voici un extrait du discours incriminé : « À ce point, permettez-moi de partager quelques réflexions plus intimes. Il y a 41 ans, je suis arrivé en France en tant qu’immigré, originaire d’un pays porteur d’une histoire douloureuse, celle du pays responsable de la Shoah. Cet héritage douloureux fait partie de mon identité. Il m’a accompagné dans mon engagement politique et citoyen, m’imposant une responsabilité particulière : celle de ne jamais oublier, de ne jamais relativiser, de toujours rester vigilant face à la haine et aux comportements dégradant la dignité de la personne humaine. Mais aujourd’hui, cet héritage me laisse profondément troublé, face à la tragédie et aux morts à Gaza. Je ne suis pas seul. De nombreux juifs de la diaspora, à l’instar d’Ezra Klein, journaliste et figure du judaïsme libéral américain, constatent que trois postulats qui animaient nos pensées depuis des décennies ont volé en éclats : l’action en faveur d’Israël sert également la diaspora juive ; l’antisionisme — s’élever contre Israël — constitue une forme d’antisémitisme ; avec le temps, une solution à deux États finira par émerger. »

Claus Habfast nous a transmis une intervention qu’il a faite à la télévision publique, ICI Isère. « Il n’était pas mon intention de blesser des personnes, j’en suis profondément désolé. J’ai toujours été, je l’ai dit dans mon discours, aux côtés d’Israël, par mon histoire et mon parcours de citoyen. Mais je voulais partager le trouble que je ressens face à la situation à Gaza. Et j’ai mis un doute sur la légitimité du gouvernement Netanyahou face à l’histoire. Je suis prêt à en discuter avec ceux qui ont été choqués. Ce que je regrette. La question est aussi de savoir si l’on peut parler d’une actualité brulante lors d’une cérémonie mémorielle ? Cela a toujours été le cas, à Grenoble et à Paris. Mon intention était de ne pas passer sous silence un sujet qui est dans toutes les têtes, mais sans volonté de blesser ni choquer. »
Parmi les descendants de personnes tuées après la rafle, présents à la cérémonie, il s’en est trouvé qui ont remercié M. Habfast pour son discours, d’autres qui avaient un avis différents.
Témoignages
M. X (qui souhaitait garder l’anonymat) nous a écrit : « Mais quel est celui qui quotidiennement détourne les regards du génocide perpétré à Gaza en invoquant pour le justifier, la Shoah ? C’est Benjamin Netanyahou. Il n’est pas une occasion à ne pas saisir actuellement pour dénoncer le massacre et la colonisation menés par l’Etat d’Israël. Et ce dans l’intérêt des Palestiniens et des Juifs du monde entier. Brecht disait le ventre est encore fécond… Et malheureusement ce sont des Juifs qui aujourd’hui qui sont à la manœuvre. Ceux qui se taisent, ceux qui veulent détourner le regard sur ce drame absolu auront demain à en répondre. Oui c’est faire acte de lucidité, de courage, face aux pressions des soutiens inconditionnels à la bande d’assassins du gouvernement actuel d’Israël que de le dénoncer et tenter d’obtenir la paix et un État palestinien. »
J’ai été auditionné par la police de Grenoble, sur plainte de M. Cohen, pour avoir publiquement rendu compte à la MJC de ce que nous avions vu en 2018 en Palestine.
Edouard Schoene
M. Schoene, notre collaborateur, s’est adressé au Dauphiné libéré et au TA pour apporter son soutien à M. Habfast : « Le discours au nom de la municipalité de Grenoble est juste, courageux, digne . Militant de la paix je porte un badge depuis octobre 2023, édité par le Mouvement de la paix avec le mot paix en français, arabe, hébreu et les drapeaux de la Palestine et d’Israël. Je ne suis pas surpris que l’incident de la commémoration ait été déclenché par M. Alexandre Cohen, connu à Fontaine pour ses agissements assez fanatiques pour soutenir les ultras d’Israël. J’ai été auditionné par la police de Grenoble, sur plainte de M. Cohen, pour avoir publiquement rendu compte à la MJC de ce que nous avions vu en 2018 en Palestine. C’était considéré par M. Cohen comme de l’incitation à la haine antisémite. Mes parents, juifs ont échappé de peu à la déportation à Auschwitz, arrivés au camp de Drancy le 30 juillet 1944, après le dernier convoi pour le camp de la mort. »
Plusieurs de nos lecteurs ont insisté sur la gravité de l’erreur qu’il y aurait à s’interdire de situer les un discours mémoriel dans l’actualité. Sauf à vouloir faire croire que la barbarie appartiendrait définitivement au seul passé.
De fait, les discours prononcés au nom du collectif du 17 octobre et par le maire de Grenoble, pour rendre hommage aux victimes algériennes du massacre du 17 octobre 1961 sont-ils différents chaque année. Le discours des ministres (Sébastien Lecornu et Patricia Mirallès), lus par les maires de France le 8 mai 2025, étaient sans aucun contenu. Il ne rendait même pas hommage à nos alliés.
Quand le président de la République s’exprime « hors sujet »
Rendant hommage aux combattants qui ont permis la victoire sur le nazisme, le discours du président Macron, le même jour, a pourtant quant à lui traité par ailleurs d’autres sujets. Ainsi : « Des peuples colonisés accédaient à la liberté, affirmant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais là aussi, en mai 1945, des violences et des massacres venaient préfigurer l’histoire, Sétif, Béjaïa, la région de Kherrata, Guelma, en Algérie, en Syrie aussi. »
Les militants du CRIF et élus proches de Netanyahu auraient-ils perturbé le discours du président pour propos hors sujets et anticolonialistes ?
Fabien Bobois
Oui, le devoir de mémoire se conjugue au présent !
Une déclaration de Jérémie Giono, secrétaire départemental du Parti communiste français
En lisant le compte-rendu de la « polémique » suscitée par le discours du conseiller municipal de Grenoble lors de la commémoration de la rafle Bizanet ce mardi 26 août, je n’ai pu réprimer un profond sentiment de colère.
En tant que responsable du « parti des fusillés », je tiens aujourd’hui à exprimer tout mon soutien à Claus Habfast.
Condamner le fait qu’un élu lie le souvenir de drames passés à l’Histoire présente, voilà bien une dénégation du principe même de toute commémoration républicaine. Une commémoration, c’est précisément un temps où le passé doit éclairer le présent d’une lumière crue, pour permettre à notre humanité de progresser.
Oui, le devoir de mémoire ne peut se conjuguer qu’au présent !
A ce titre, la référence aux pogroms terroristes du 7 octobre 2023 est effectivement pertinente, et ceux qui y font référence ne doivent pas occulter la part de responsabilité de l’actuel premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qui a soutenu pendant des années le développement du Hamas à Gaza, au côté du Qatar, « meilleur allié » des USA au Moyen-Orient, dans l’objectif cynique de fracturer le peuple palestinien.
Je rappelais ces faits largement documentés dans une tribune publiée en février 2024 sur le média Place Gre’net.
Alors non, personne n’est légitime à s’insurger qu’à l’occasion d’une commémoration de cette nature, le drame qui se déroule en Israël/Palestine soit condamné dans les termes utilisés par Claus Habfast ce mardi 26 août.
Car comme je l’indiquais déjà le 28 mars 2022 aux représentant∙e∙s du CRIF Grenoble-Dauphiné, ce sont bien ceux qui se livrent aux plus abjectes instrumentalisations, allant désormais jusqu’à accuser le président de la République d’antisémitisme en associant abusivement ce terme à toute critique du gouvernement Netanyahou, qui contribuent à mettre en danger les Juifs de France comme d’Israël.
Ce sont eux qui contribuent à donner de l’écho aux pires propos de haine complotiste.
Ce sont eux qui déshonorent et mettent en danger l’Etat d’Israël.
Et que des élu∙e∙s du « bloc de droite » (LR & Renaissance) se permettent de s’engouffrer dans ce type de polémiques, alors qu’ils sont de ceux qui proposent de supprimer la date hautement symbolique du 8 mai 1945 du calendrier des jours fériés, celle-là même qui commémore la victoire sur le régime nazi, c’est le comble de la honte.
Pour leur part, les communistes ne baisseront jamais le drapeau de la Résistance, que vive au présent la mémoire des Justes !
Jérémie GIONO
Secrétaire départemental du PCF Isère