MC2 — Grenoble – Maldonne de Leïla Ka. Danse avec les robes !
Par Régine Hausermann
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Le rideau s’ouvre sur cinq femmes en robes fluides à fleurs, alignées face au public, silencieuses, immobiles, visages fermés. Elles s’animent de gestes saccadés portés à leur visage, à leur corps. Violences qu’elles s’infligent ou mime de violences infligées ? Seuls sons : leurs halètements. Les mouvements sont mesurés, comme entravés. Cette entame met presque mal à l’aise.
Après un passage au noir, les cinq danseuses reparaissent avec d’autres robes, à dominante dorées, plus élégantes. Elles frappent le plateau de leurs pieds au rythme d’un roulement de basse puissant. Finie l’immobilité, place à l’action, à la détermination, à l’affirmation de soi. Plus tard, leur rage s’exprime à travers l’utilisation de pans de leurs robes comme serpillières essuyant le sol. La libération n’est pas instantanée, les tâches attribuées aux femmes continuent à leur coller à la peau.
Après un autre passage au noir, elles apparaissent regroupées sur le devant de la scène, coquines, souriantes, aguicheuses. Autre stéréotype féminin, après la ménagère, la putain. Mais ce jeu ne dure pas. De nouveau alignées face à nous, elles entonnent à plein poumons, la chanson de Serge Lama, « Je suis malade / Complètement malade ». Enfin, elles semblent entonner, quand c’est la voix de Lara Fabian qui interprète l’impuissance, la colère, l’infantilisation par ces femmes à cause de l’homme qui les humilie :
T’arrives on ne sait jamais quand
Tu pars on ne sait jamais où
Et ça va faire bientôt deux ans
Que tu t’en fous
Mais elles prononcent les paroles avec un tel engagement, une telle torsion de leurs corps, qu’on croirait qu’elles chantent vraiment.
Plus tard encore, rentrées avec d’autres robes colorées laissant dépasser un jupon, elles tirent leurs robes sur leurs têtes pour en faire une sorte de burqa qui les emprisonnent, avant de se libérer et de pendre les objets de leur oppression à des crochets descendus des cintres. Elles entament alors, avec leurs seules robes gitanes noires, une danse échevelée qui en laissent deux épuisées sur le sol.
Dans le dernier tableau, elles rentrent avec plusieurs robes passées l’une sur l’autre dont elles se dépouillent progressivement pour finir en combinaisons blanches, agitant leurs robes au-dessus d’elles, comme les trophées de leur émancipation enfin gagnée.
Lors de la création de la pièce à La Garance, scène nationale de Cavaillon, Leïla Ka expliquait l’origine et l’usage de ces robes : « Nous portons une trentaine de robes dans la pièce, que j’ai dégotées en friperie. Elles sont toutes différentes, too much chacune dans leur style, trop grandes, souvent datées… et renvoient à des stéréotypes féminins. En revêtant ces habits, on rentre à chaque fois dans la peau d’une nouvelle femme, qui affecte nos façons de danser. Mais à l’inverse, on transforme aussi les clichés véhiculés par le costume. »
De fait, la pièce met en scène les divers sentiments qui peuvent traverser les femmes : la tristesse, la dépendance, la colère, la rage, l’insolence, le désir de liberté, la révolte. Il ne suffit pas de claquer dans les doigts pour se libérer, c’est une prise de conscience et c’est un combat. Un combat collectif, solidaire. Ce que ces cinq femmes manifestent avec panache.