Grenoble. S’éveiller à la Chine, la proposition de Marianne Dunlop

Par Luc Renaud

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Marianne Dunlop, polyglotte, agrégée de russe, professeur de lingusitique chinoise à l'université d'Arras, traductrice.
Que se passe-t-il en Chine ? C’était un peu la question posée lors de la soirée organisée le 8 décembre par la section communiste de Grenoble, avec la contribution de l’universitaire Marianne Dunlop, professeur de chinois et de russe. Une rencontre qui a permis d’entrevoir l’ampleur des bouleversements d’un pays sorti en quelques décennies du sous-développement pour devenir un acteur majeur de l’économie et de la politique mondiales.

« Macron demande aujourd’hui à la Chine d’autoriser des trans­ferts de tech­no­lo­gies vers l’Europe », s’amusait un inter­ve­nant. Anec­dote qui dit assez l’ampleur des bou­le­ver­se­ments qu’entraîne l’irruption tech­no­lo­gique de la Chine sur la scène inter­na­tio­nale. Aus­si la ren­contre avec Marianne Dun­lop, l’une des autrices du livre Quand la France s’éveillera à la Chine – la longue marche vers un monde mul­ti­po­laire, fut-elle riche d’informations autant que d’interrogations.

Le constat, tout d’abord. En quelques décen­nies, la Chine a réus­si à sor­tir de l’extrême pau­vre­té 800 mil­lions de per­sonnes. C’est aujourd’hui un pays moderne, qui riva­lise avec les éco­no­mies indus­trielles les plus déve­lop­pées dans l’électronique, les éner­gies renou­ve­lables, l’automobile à moteurs élec­triques, le fer­ro­viaire ou la télé­pho­nie.

Un développement qui a commencé dès les années 50

Com­ment ces trans­for­ma­tions mas­sives ont-elles pu s’opérer ? Marianne Dun­lop connaît bien cet immense pays pour y avoir vécu et entre­te­nu des rela­tions fami­liales. Pour elle, il convient tout d’abord d’éviter une erreur d’interprétation : « la Chine ne n’est pas déve­lop­pée avec une trans­for­ma­tion du sys­tème pré­sen­tée comme l’instauration du capi­ta­lisme et l’abandon d’un sys­tème socia­liste », dit-elle. Elle fait réfé­rence aux années qui ont sui­vi ce que « les Chi­nois nomment la libé­ra­tion », en 1949, après l’arrivée du Par­ti com­mu­niste chi­nois à la direc­tion du pays.

Plus de cin­quante per­sonnes ont par­ti­ci­pé à cette ren­contre débat.

Des décen­nies au cours des­quelles il a fal­lu recons­truire un pays lais­sé exsangue par l’invasion japo­naise qui a pré­cé­dé la Seconde Guerre mon­diale — « entre 1931 et 1945, 35 mil­lions de Chi­nois sont morts sous l’occupation japo­naise d’une par­tie du ter­ri­toire ». Inva­sion qui fai­sait suite aux guerres de l’opium du XIXe siècle, conduites par la Grande-Bre­tagne et la France, qui ont impo­sé la colo­ni­sa­tion d’une par­tie du pays. En 1949, « la Chine était un pays plus pauvre que Haï­ti ou que n’importe quel État afri­cain », dit-elle. Et, «  de 1950 à 1965, la pro­duc­tion indus­trielle a été mul­ti­pliée par treize, et le niveau de vie a tri­plé, compte tenu de l’augmentation de la popu­la­tion ».

« Le capitaliste est libre comme l’oiseau en cage »

Ce que montre l’ouvrage co-écrit par Marianne Dun­lop, c’est un pays où « le capi­ta­liste est libre comme l’oiseau en cage », selon une for­mule chi­noise uti­li­sée dans une langue férue de méta­phores. Marianne Dun­lop insiste sur l’importance de la pla­ni­fi­ca­tion de l’économie. « Ce ne sont pas les grandes entre­prises qui décident des choix de déve­lop­pe­ment, mais le plan quin­quen­nal éla­bo­ré après de mul­tiples débats, qui défi­nit les grands domaines dans les­quels un effort conti­nu devra être por­té ».

L’universitaire fait éga­le­ment litière de l’image d’un dum­ping social qui per­met­trait à l’économie chi­noise d’exporter à bas coûts. « Dans mon uni­ver­si­té, nous avons un jume­lage avec l’université de Nan­kin ; en 1995, lorsqu’un ensei­gnant chi­nois venait tra­vailler chez nous, il gagnait en pou­voir d’achat ; en 2005, les chi­nois avaient tou­jours plai­sir à venir pour un séjour en France, mais ils y per­daient finan­ciè­re­ment. » Une image qui, si elle ne dit pas tout de la réa­li­té du pays, n’en va pas moins à l’encontre des idées reçues.

Des témoi­gnages, des faits, une his­toire qui n’écartent pas les ques­tions et inter­ro­ga­tions comme l’illustrait le débat qui a sui­vi dans la salle la pré­sen­ta­tion de Marianne Dun­lop.

Le débat s’est lar­ge­ment pour­sui­vi dans la salle.

Échanges sur le le Tibet et les Ouï­ghours de la région auto­nome du Xin­jiang, les orga­ni­sa­tions syn­di­cales chi­noises, mais aus­si la situa­tion inter­na­tio­nale et les rap­ports entre la dés­in­dus­tria­li­sa­tion que connaît la France et le dyna­misme de l’industrie chi­noise.

Sur les droits de l’homme, Marianne Dun­lop réfute le dis­cours domi­nant qui mar­tèle un asser­vis­se­ment des peuples de l’Ouest chi­nois. « Je vous invite à lire les ouvrages d’Élisabeth Mar­tens, autrice belge, qui décrit ce qu’elle a vu au Tibet », pro­pose-t-elle. Un pays qui a été par­tie inté­grante de l’histoire chi­noise dès le XIIIe siècle. Marianne Dun­lop raconte éga­le­ment ce qu’elle a vu au Xin­jiang, de culture tur­co­phone et majo­ri­tai­re­ment musul­mane, « où j’ai vu les pré­pa­ra­tifs de la fête de l’Aïd, et les manuels sco­laires ouï­ghours, ce qui contre­dit la vision d’une culture com­bat­tue par le pou­voir cen­trale chi­nois ».

 « Traverser le gué en tâtant les pierres »

Le long che­mi­ne­ment qui a conduit la Chine à son déve­lop­pe­ment actuel fait aus­si l’objet d’analyses. Marianne Dun­lop évoque sa culture mil­lé­naire construite sur un bras­sage de popu­la­tions et note que cette obli­ga­tion créée par l’histoire du vivre ensemble n’a pas été sans effets sur l’émergence du contrat social chi­nois. Tout en notant que cela ne s’est pas fait sans affron­te­ments, graves erreurs et tâton­ne­ments, du Grand bond en avant à la Révo­lu­tion cultu­relle, mais aus­si aux erre­ments de la période de pri­va­ti­sa­tion des années 1990 – « tra­ver­ser le gué en tâtant les pierres », imagent les Chi­nois en évo­quant cette période.

La place de la Chine sur la scène inter­na­tio­nale sus­cite éga­le­ment des inter­ro­ga­tions. Le constat, c’est celui d’une posi­tion gran­dis­sante dans le com­merce inter­na­tio­nal qu’illustre le pro­jet pla­né­taire des Routes de la soie. La Chine, c’est aus­si l’un des pays majeurs du groupe d’États nom­més BRICS, qui, dans toute son hété­ro­gé­néi­té, se pré­sente aujourd’hui comme une alter­na­tive aux domi­na­tions occi­den­tales, dans le domaine de la mon­naie par exemple.

Un nouvel impérialisme ?

La Chine est-elle aujourd’hui le centre d’un nou­vel impé­ria­lisme ? Là encore, Marianne Dun­lop prend le contre­pied des ana­lyses en vogue. « La Chine n’a aucun inté­rêt à l’appauvrissement de ses par­te­naires du Sud glo­bal ; elle contri­bue au contraire au déve­lop­pe­ment de ces pays parce qu’elle en béné­fi­cie­ra, grâce à la crois­sance des échanges et des coopé­ra­tions Sud-Sud. »

Débat éga­le­ment sur le poids des grands groupes indus­triel chi­nois en Europe. Avec une ques­tion. Est-ce la Chine qui est res­pon­sable de la vente à la découpe de Rhône-Pou­lenc – méthodes de dépe­çage aujourd’hui à l’œuvre chez Atos comme elles l’ont été chez Alstom ? Écla­te­ment qui se tra­duit, in fine, par la liqui­da­tion de Ven­co­rex par un groupe thaï­lan­dais avant qu’une entre­prise chi­noise ne reprennent qu’une petite mino­ri­té de l’activité, sur déci­sion du tri­bu­nal de com­merce qui l’a pré­fé­ré à la pro­po­si­tion de reprise des sala­riés. On pour­ra noter encore la déci­sion d’EDF d’équiper le site de Creys-Mal­ville de pan­neaux pho­to­vol­taïques chi­nois, à quelques kilo­mètres de Pho­to­watt, qui en fabri­quait à Bour­goin-Jailleu. « La Chine, c’est un bouc émis­saire facile ; ce ne sont pas les Chi­nois qui ont délo­ca­li­sé l’industrie euro­péenne qui a, au pas­sage, expor­té sa pol­lu­tion. »

Consommation

Débat encore sur le poids de la reli­gion en Chine, avec des temples boud­dhistes très fré­quen­tés, des temples entiè­re­ment recons­truits à neuf ces der­nières décen­nies. Ou encore sur les inéga­li­tés sociales contem­po­raines, sur la socié­té de consom­ma­tion qui s’affiche dans les centres des grandes villes…

Une soi­rée pour ten­ter d’approcher le fonc­tion­ne­ment d’un pays en pleine muta­tion ; un pays majeur dans les bou­le­ver­se­ments géo­po­li­tiques de notre pla­nète com­mune.

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