Grenoble. S’éveiller à la Chine, la proposition de Marianne Dunlop
Par Luc Renaud
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« Macron demande aujourd’hui à la Chine d’autoriser des transferts de technologies vers l’Europe », s’amusait un intervenant. Anecdote qui dit assez l’ampleur des bouleversements qu’entraîne l’irruption technologique de la Chine sur la scène internationale. Aussi la rencontre avec Marianne Dunlop, l’une des autrices du livre Quand la France s’éveillera à la Chine – la longue marche vers un monde multipolaire, fut-elle riche d’informations autant que d’interrogations.
Le constat, tout d’abord. En quelques décennies, la Chine a réussi à sortir de l’extrême pauvreté 800 millions de personnes. C’est aujourd’hui un pays moderne, qui rivalise avec les économies industrielles les plus développées dans l’électronique, les énergies renouvelables, l’automobile à moteurs électriques, le ferroviaire ou la téléphonie.
Un développement qui a commencé dès les années 50
Comment ces transformations massives ont-elles pu s’opérer ? Marianne Dunlop connaît bien cet immense pays pour y avoir vécu et entretenu des relations familiales. Pour elle, il convient tout d’abord d’éviter une erreur d’interprétation : « la Chine ne n’est pas développée avec une transformation du système présentée comme l’instauration du capitalisme et l’abandon d’un système socialiste », dit-elle. Elle fait référence aux années qui ont suivi ce que « les Chinois nomment la libération », en 1949, après l’arrivée du Parti communiste chinois à la direction du pays.

Des décennies au cours desquelles il a fallu reconstruire un pays laissé exsangue par l’invasion japonaise qui a précédé la Seconde Guerre mondiale — « entre 1931 et 1945, 35 millions de Chinois sont morts sous l’occupation japonaise d’une partie du territoire ». Invasion qui faisait suite aux guerres de l’opium du XIXe siècle, conduites par la Grande-Bretagne et la France, qui ont imposé la colonisation d’une partie du pays. En 1949, « la Chine était un pays plus pauvre que Haïti ou que n’importe quel État africain », dit-elle. Et, « de 1950 à 1965, la production industrielle a été multipliée par treize, et le niveau de vie a triplé, compte tenu de l’augmentation de la population ».
« Le capitaliste est libre comme l’oiseau en cage »
Ce que montre l’ouvrage co-écrit par Marianne Dunlop, c’est un pays où « le capitaliste est libre comme l’oiseau en cage », selon une formule chinoise utilisée dans une langue férue de métaphores. Marianne Dunlop insiste sur l’importance de la planification de l’économie. « Ce ne sont pas les grandes entreprises qui décident des choix de développement, mais le plan quinquennal élaboré après de multiples débats, qui définit les grands domaines dans lesquels un effort continu devra être porté ».
L’universitaire fait également litière de l’image d’un dumping social qui permettrait à l’économie chinoise d’exporter à bas coûts. « Dans mon université, nous avons un jumelage avec l’université de Nankin ; en 1995, lorsqu’un enseignant chinois venait travailler chez nous, il gagnait en pouvoir d’achat ; en 2005, les chinois avaient toujours plaisir à venir pour un séjour en France, mais ils y perdaient financièrement. » Une image qui, si elle ne dit pas tout de la réalité du pays, n’en va pas moins à l’encontre des idées reçues.
Des témoignages, des faits, une histoire qui n’écartent pas les questions et interrogations comme l’illustrait le débat qui a suivi dans la salle la présentation de Marianne Dunlop.

Échanges sur le le Tibet et les Ouïghours de la région autonome du Xinjiang, les organisations syndicales chinoises, mais aussi la situation internationale et les rapports entre la désindustrialisation que connaît la France et le dynamisme de l’industrie chinoise.
Sur les droits de l’homme, Marianne Dunlop réfute le discours dominant qui martèle un asservissement des peuples de l’Ouest chinois. « Je vous invite à lire les ouvrages d’Élisabeth Martens, autrice belge, qui décrit ce qu’elle a vu au Tibet », propose-t-elle. Un pays qui a été partie intégrante de l’histoire chinoise dès le XIIIe siècle. Marianne Dunlop raconte également ce qu’elle a vu au Xinjiang, de culture turcophone et majoritairement musulmane, « où j’ai vu les préparatifs de la fête de l’Aïd, et les manuels scolaires ouïghours, ce qui contredit la vision d’une culture combattue par le pouvoir centrale chinois ».
« Traverser le gué en tâtant les pierres »
Le long cheminement qui a conduit la Chine à son développement actuel fait aussi l’objet d’analyses. Marianne Dunlop évoque sa culture millénaire construite sur un brassage de populations et note que cette obligation créée par l’histoire du vivre ensemble n’a pas été sans effets sur l’émergence du contrat social chinois. Tout en notant que cela ne s’est pas fait sans affrontements, graves erreurs et tâtonnements, du Grand bond en avant à la Révolution culturelle, mais aussi aux errements de la période de privatisation des années 1990 – « traverser le gué en tâtant les pierres », imagent les Chinois en évoquant cette période.
La place de la Chine sur la scène internationale suscite également des interrogations. Le constat, c’est celui d’une position grandissante dans le commerce international qu’illustre le projet planétaire des Routes de la soie. La Chine, c’est aussi l’un des pays majeurs du groupe d’États nommés BRICS, qui, dans toute son hétérogénéité, se présente aujourd’hui comme une alternative aux dominations occidentales, dans le domaine de la monnaie par exemple.
Un nouvel impérialisme ?
La Chine est-elle aujourd’hui le centre d’un nouvel impérialisme ? Là encore, Marianne Dunlop prend le contrepied des analyses en vogue. « La Chine n’a aucun intérêt à l’appauvrissement de ses partenaires du Sud global ; elle contribue au contraire au développement de ces pays parce qu’elle en bénéficiera, grâce à la croissance des échanges et des coopérations Sud-Sud. »
Débat également sur le poids des grands groupes industriel chinois en Europe. Avec une question. Est-ce la Chine qui est responsable de la vente à la découpe de Rhône-Poulenc – méthodes de dépeçage aujourd’hui à l’œuvre chez Atos comme elles l’ont été chez Alstom ? Éclatement qui se traduit, in fine, par la liquidation de Vencorex par un groupe thaïlandais avant qu’une entreprise chinoise ne reprennent qu’une petite minorité de l’activité, sur décision du tribunal de commerce qui l’a préféré à la proposition de reprise des salariés. On pourra noter encore la décision d’EDF d’équiper le site de Creys-Malville de panneaux photovoltaïques chinois, à quelques kilomètres de Photowatt, qui en fabriquait à Bourgoin-Jailleu. « La Chine, c’est un bouc émissaire facile ; ce ne sont pas les Chinois qui ont délocalisé l’industrie européenne qui a, au passage, exporté sa pollution. »
Consommation
Débat encore sur le poids de la religion en Chine, avec des temples bouddhistes très fréquentés, des temples entièrement reconstruits à neuf ces dernières décennies. Ou encore sur les inégalités sociales contemporaines, sur la société de consommation qui s’affiche dans les centres des grandes villes…
Une soirée pour tenter d’approcher le fonctionnement d’un pays en pleine mutation ; un pays majeur dans les bouleversements géopolitiques de notre planète commune.


