Grenoble. Gilbert Achcar esquisse l’avenir incertain du peuple palestinien

Par Maryvonne Mathéoud

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Le militant marxiste libanais Gilbert Achcar, professeur à l’Université SOAS de Londres, était invité à Grenoble après la parution, en mai 2025, de son dernier ouvrage, "Gaza, génocide annoncé - un tournant dans l’histoire mondiale". © Michel Szempruch
Vendredi 5 décembre, le NPA-l’Anticapitaliste organisait une conférence-débat avec le chercheur et militant libanais Gilbert Achcar, à la maison du tourisme de Grenoble, avec le soutien de différentes organisations (AFPS, AIAK, Attac 38, Collectif du 17 octobre, LDH Iran, Réseau coopératif pour la gauche alternative, Survie 38, UJFP 38). Le sujet ? "Après la descente de Gaza aux enfers, quel avenir pour la question palestinienne ?"

Après un rap­pel de l’or­ga­ni­sa­teur Maz­dak Kafai sur le suc­cès de la mani­fes­ta­tion natio­nale pour la Pales­tine — qui a réuni plus de 50 000 per­sonnes à Paris, le 29 novembre -, sa cama­rade Marianne, mili­tante éga­le­ment du NPA-l’An­ti­ca­pi­ta­liste, a intro­duit la confé­rence en pré­sen­tant Gil­bert Ach­car. Intel­lec­tuel et mili­tant liba­nais, pro­fes­seur émé­rite à la School of Orien­tal and Afri­can Stu­dies (École des études orien­tales et afri­caines — SOAS) de l’Université de Londres, il écrit régu­liè­re­ment dans dif­fé­rentes publi­ca­tions, dont Le Monde diplo­ma­tique. Son der­nier ouvrage, Gaza, géno­cide annon­cé : un tour­nant dans l’histoire mon­diale, est paru en mai 2025, aux édi­tions La Dis­pute.

Le public avait répon­du pré­sent à la Mai­son du tou­risme, à l’in­vi­ta­tion du NPA-l’An­ti­ca­pi­ta­liste et de plu­sieurs autres orga­ni­sa­tions. © Michel Szem­pruch

« Nous obser­vons que le ces­sez-le-feu n’est pas res­pec­té mais au-delà de ça, c’est la guerre d’Israël qui n’est pas ter­mi­née. » C’est par cette phrase qu’a débu­té la confé­rence de Gil­bert Ach­car. « Pour Benya­min Neta­nya­hou, le plan de paix de Trump n’est qu’une trêve pour que les otages soient libé­rés et pour don­ner un répit à son armée avant de se relan­cer dans la bataille, comme il l’avait fait quelques semaines après un ces­sez-le-feu. Son objec­tif est de prendre toute la bande de Gaza », a‑t-il affir­mé.

« À ce jour, 53 % du ter­ri­toire de Gaza est sous occu­pa­tion israé­lienne. Le plan de paix de Trump n’ira pas loin, il est déjà blo­qué », a pour­sui­vi le cher­cheur liba­nais. Avant de détailler : « La réso­lu­tion du conseil de sécu­ri­té de l’ONU vient d’analyser ce plan et ne fait que reprendre les termes du plan de Trump. Ce plan ne pré­voit même pas le retrait total de Gaza de l’envahisseur. Ce texte est en vio­la­tion du droit des peuples à dis­po­ser d’eux-mêmes. Il fait fi du droit à l’auto-détermination du peuple pales­ti­nien de choi­sir ses repré­sen­tants. Ce droit est signi­fié, dans le plan, comme une hypo­thèse au cas où l’Autorité pales­ti­nienne serait réfor­mée selon les desi­de­ra­ta d’Israël. C’est une nou­velle ver­sion des man­dats colo­niaux de l’entre-deux-guerres. »

« Une guerre coloniale »

Gil­bert Ach­car est reve­nu sur l’his­toire de la région et sur les ori­gines du conflit, à savoir la Nak­ba. En 1948, 80 % des Pales­ti­niens ont fui mais n’ont jamais pu reve­nir chez eux. Et quatre cents vil­lages ont été détruits. Il s’agit bien d’une « guerre colo­niale », a sou­li­gné l’in­tel­lec­tuel mar­xiste liba­nais. Et de poin­ter les dis­cours tenus au sein du gou­ver­ne­ment israé­lien, avec « d’un côté, les civi­li­sés et de l’autre, les bar­bares ». « Nous com­bat­tons des ani­maux humains », a d’ailleurs décla­ré le ministre israé­lien de la Défense Yoav Gal­lant.

Selon Gil­bert Ach­car, le 7 octobre était un mau­vais cal­cul du Hamas, qui a per­mis la catas­trophe que l’on connait aujourd’hui. Mais l’ac­tion d’Israel n’a plus rien à voir avec de l’auto-défense.

Le 7 octobre est ain­si deve­nu un pré­texte pour pour­suivre l’objectif de la droite israé­lienne dont la fina­li­té est une opé­ra­tion eth­nique, c’est-à-dire chas­ser les Pales­ti­niens de Gaza mais aus­si de Cis­jor­da­nie.

Dans la lutte anti-colo­niale que mènent les Pales­ti­niens depuis des décen­nies, il y a eu des « bourdes », a recon­nu l’u­ni­ver­si­taire de 74 ans, à pro­pos de l’at­taque du 7 octobre 2023. Néan­moins, dans la guerre que mène Israël au peuple pales­ti­nien, il est évident que la supé­rio­ri­té miliaire est immense. Israël est mille fois plus armé que les Pales­ti­niens. C’est la condi­tion de la pro­por­tion­na­li­té qui indique quand vous sor­tez du cadre du droit. Il s’agit alors d’un géno­cide, c’est une des­truc­tion mas­sive.

« Les peuples colo­ni­sés se libèrent (…) par les mobi­li­sa­tions de masse des peuples eux-mêmes et par la soli­da­ri­té des peuples d’autres pays. »

Gil­bert Ach­car

Pour­sui­vant son expo­sé à la tri­bune, le mili­tant liba­nais a évo­qué plu­sieurs épi­sodes impor­tants. La pre­mière inti­fa­da, en 1987, résis­tance et vraie lutte popu­laire. L’OLP s’en est sai­sie et a pro­cla­mé l’in­dé­pen­dance de l’État pales­ti­nien un an plus tard. Un long pro­ces­sus qui a abou­ti sur les accords d’Oslo, en 1993. Puis la seconde inti­fa­da, lutte armée qui a conduit, en 2001, à l’ar­ri­vée au poste de Pre­mier ministre d’A­riel Sha­ron. Lequel avait allu­mé l’in­cen­die par sa visite sur l’es­pla­nade des Mos­quées, en tant que chef de l’op­po­si­tion israé­lienne.

Pour Gil­bert Ach­car, « les peuples colo­ni­sés ne se libèrent pas par les luttes armées qui sont sou­vent faibles par rap­port à l’occupant mais par les mobi­li­sa­tions de masse des peuples eux-mêmes et par la soli­da­ri­té des peuples d’autres pays ». Il a éga­le­ment com­men­té la créa­tion du Hamas, mou­ve­ment issu des Frères musul­mans, favo­ri­sé alors par Israël qui s’en sert comme d’un repous­soir — et qui y voyait, à l’é­poque, un contre­poids aux orga­ni­sa­tions com­po­sant l’OLP (Fatah, FPLP, FDLP…).

Dans la salle, avant le coup d’en­voi de la confé­rence-débat. © Michel Szem­pruch

Le cher­cheur a en outre appor­té un éclai­rage sur le sou­tien amé­ri­cain à Israël ain­si que sur les inté­rêts com­mer­ciaux des États-Unis et — plus per­son­nel­le­ment — de Donald Trump avec les monar­chies pétro­lières du Golfe. Reve­nant sur les chiffres du géno­cide de Gaza, il a enfin insis­té sur un élé­ment lour­de­ment incri­mi­nant pour le gou­ver­ne­ment israé­lien : sur les 70 000 vic­times directes, 70 % sont des femmes et des enfants. Et par­mi les 30 % res­tants, une petite par­tie seule­ment repré­sente des com­bat­tants — les­quels sont pour la plu­part dans des gale­ries sou­ter­raines.

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