Métropole de Grenoble. Face au rôle trouble de la préfecture, les occupants interpellent les maires
Par Manuel Pavard
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« Des logements maintenant ! » Le slogan, affiché sur les banderoles et scandé par le cortège défilant ce lundi midi entre le siège de Grenoble Alpes Métropole et la mairie de Grenoble, illustre autant la « simplicité » des revendications que l’urgence de la situation. De fait, les familles dormant depuis mercredi 19 novembre dans les locaux de la Métropole ne font « que » demander un toit sur leur tête, chose à laquelle celles-ci ont droit au vu du « caractère inconditionnel » de l’hébergement. Mais les conditions d’accueil de plus en plus précaires, place André-Malraux, rendent la quête d’une solution particulièrement pressante.

Le premier jour, ils étaient en effet quelques dizaines, pour la plupart des livreurs à vélo et leurs familles, expulsés à la demande du bailleur social Actis, les 28 octobre et 18 novembre, des logements qu’ils occupaient, place des Géants, à la Villeneuve. Un nombre qui a très vite gonflé, pour atteindre aujourd’hui près de 180 personnes, entassées dans une salle de réunion du siège métropolitain. Parmi eux, « des femmes enceintes, des bébés, beaucoup d’enfants », détaille Kadiatou, l’une des occupantes. Quant aux conditions d’hygiène, « impossible de se laver ou prendre une douche », déplore Mohamed Fofana, secrétaire général du syndicat CGT des livreurs à vélo et président de l’association Adali. « Beaucoup de gens sont tombés malades », constate-t-il.

Dans de telles conditions, les militants de Droit au logement (DAL), du syndicat des livreurs et des autres associations soutenant l’occupation ont décidé d’organiser une déambulation jusqu’à la mairie de Grenoble, ce lundi 24 novembre. La préfecture étant comme toujours aux abonnés absents, ceux-ci ont décidé d’interpeller les maires, à commencer par celui de la ville-centre. « On est venu demander au maire de Grenoble des actions rapides », explique Raphaël Beth, du DAL 38. « Il s’est engagé en mai 2025 à réquisitionner des logements vides privés appartenant à des multipropriétaires. Mais ça traîne beaucoup ! »
« Emboîter le pas à la mairie de Saint-Martin-d’Hères »
Le DAL avait également identifié des immeubles appartenant au patrimoine municipal, lesquels se sont finalement avérés inadaptés, comme l’ont indiqué les services de la ville à la délégation reçue en mairie. Cette réunion, menée avec l’élue à la grande précarité Céline Deslattes, le directeur de cabinet du maire et la directrice du CCAS, a accouché d’un « bilan en demi-teinte », estime Raphaël Beth. Côté « positif », la municipalité va « déclencher un travail contre les expulsions à la Villeneuve ».
Concernant les demandes de réquisition, c’est pour l’instant le statu quo. Néanmoins, tout pourrait se décanter à partir de ce mardi 25 novembre au soir. « On leur a demandé [NDLR : aux représentants de la ville de Grenoble] de revenir avec des propositions à l’issue de la réunion prévue demain soir, à l’initiative de la Métro, entre les maires », précise le militant du DAL, qui espère que les édiles pourront « emboîter le pas à la mairie de Saint-Martin-d’Hères ».

La Métropole a en effet demandé aux maires du territoire de « mettre à disposition leurs logements », ajoute-t-il. « Le maire de Saint-Martin-d’Hères a répondu qu’il était d’accord pour jouer le jeu, notamment dans un hôtel vide de la commune, si les autres maires s’y mettaient. » Dans ce dossier, la position de David Queiros, maire de Saint-Martin-d’Hères, et des autres élus communistes est clairement affichée : ok pour héberger des occupants mais, souligne un militant PCF, « il faut une solidarité intercommunale pour éviter de concentrer la misère » en un même point.
Une « préfecture politisée »
Quid des services de l’État ? Pour Raphaël Beth, « avec un gouvernement bien à droite et ayant repris la plupart des idées d’extrême droite », difficile de compter dessus. Toutefois, Christophe Ferrari, président de la Métropole, et Jérôme Rubes, vice-président au logement, ont bien interpellé la préfète de l’Isère Catherine Séguin, dans une lettre datée du samedi 22 novembre, l’implorant « d’ouvrir un dialogue » pour trouver une solution. Car « l’État, en charge de l’hébergement d’urgence, ne peut pas être absent », assènent-ils.
L’inaction et le silence de la préfecture depuis le début de l’occupation questionnent cependant. Jérémie Giono, secrétaire départemental du PCF Isère, n’hésite pas ainsi à pointer le rôle trouble joué par l’institution : « L’hébergement d’urgence et la lutte contre le mal-logement relevant des compétences de l’État, c’est inadmissible que la préfecture se défausse sur les collectivités et crée elle-même des tensions. »

Il accuse cette dernière de « complicité objective avec les marchands de sommeil ». Lesquels ont pourtant exploité la misère des familles en leur relouant à prix d’or les logements vides qu’ils s’étaient appropriés illégalement. Et en les menaçant. Mais au lieu de sévir contre ces individus, « l’État a préféré expulser les victimes », s’indigne le responsable communiste, constatant que cette position n’est « pas nouvelle » — référence au module de prise de rendez-vous en ligne pour le renouvellement des titres de séjour.
Métropole et mairies incitées à « envoyer la facture à l’État »
Jérémie Giono s’interroge en outre sur les réels objectifs poursuivis par les services préfectoraux à quelques mois des élections municipales, allant jusqu’à évoquer une « préfecture politisée. Elle ne gère pas les problèmes, fabrique des crises, attise les divisions et le racisme », égrène-t-il. Tout cela, assure le secrétaire départemental, « pour déstabiliser la gauche ».
De son côté, Raphaël Beth incite les mairies qui se montreraient hésitantes à « prendre les devants et financer les hébergements, puis derrière envoyer la facture à l’État. Les tribunaux suivent », affirme-t-il. La ville de Grenoble l’a déjà expérimenté, tout comme, de manière plus importante, « la ville de Rennes et surtout la communauté d’agglomération du Pays basque qui a fait un recours et a vu l’État condamné à lui reverser un million d’euros ».

Les quelque 180 occupants sont plus que jamais déterminés à ne pas céder d’un pouce. « Tant que les bâtiments vides ne seront pas réquisitionnés, on ne bougera pas de la Métro », prévient ainsi Mohamed Fofana. Il en va, selon le livreur, de « la dignité et du respect des droits humains » de ces familles.
Appelant la population à la solidarité, Raphaël Beth rappelle quant à lui une évidence : les Grenoblois sont bien contents de trouver ces femmes pour faire le ménage dans les bureaux ou ces hommes (en majorité livreurs à vélo pour les plateformes comme Uber Eats ou Deliveroo) pour leur livrer des repas à domicile à toute heure, « qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige ».


