Pont-de-Claix. Exalia, le projet qui entend faire revivre la chimie grenobloise
Par Manuel Pavard
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C’était il y a trois mois, au même endroit, avec les mêmes personnes. Le 10 avril, Séverine Dejoux, déléguée syndicale CGT, Olivier Six, PDG de CIC Orio, et Christophe Ferrari, président de la Métropole de Grenoble et maire de Pont-de-Claix, commentaient, le cœur lourd, la décision rendue quelques heures plus tôt par le tribunal de commerce de Lyon, qui entérinait la cession de Vencorex à BorsodChem, filiale du groupe chinois Wanhua. Jugement qui, de facto, enterrait le projet de reprise en coopérative porté par les salariés. Pourtant, ce lundi 7 juillet, le trio est de retour devant la plateforme chimique et l’amertume a laissé place à l’espoir. Un espoir nommé Exalia.

Christophe Ferrari se félicite en effet de pouvoir, pour la première fois depuis longtemps, « annoncer une bonne nouvelle ». Ceci « pour le territoire, pour la filière chimie et pour l’avenir industriel de notre pays. Le projet de reprise de Vencorex n’est pas mort », assène l’élu. Si l’idée de SCIC a, elle, été abandonnée, « depuis la décision du tribunal de commerce, les porteurs de projet, les collectivités, les industriels ont continué à travailler main dans la main pour trouver une solution à la reprise de l’outil industriel », indique-t-il.
« Recommencer à produire du sel, du chlore et de la soude »
Ceux-ci, à l’instar d’une partie des salariés, ne pouvaient pas « se résigner » à accepter la liquidation de Vencorex, sans envisager de suite. « On savait qu’il y avait quelque chose à faire, qu’il y avait une pépite derrière nous, à Pont-de-Claix », raconte Séverine Dejoux. « On a une plateforme qui, historiquement, a toujours produit du chlore. Puis, on a cette électrolyse, payée largement par les deniers publics et qui est quasi neuve. Et on a une mine de sel à 83 kilomètres d’ici, qui produit un sel d’une extrême pureté, transporté via un saumoduc, c’est-à-dire de manière totalement décarbonée jusqu’ici. »

C’est donc en prenant conscience de ces multiples atouts que les porteurs ont imaginé ce projet « né de la résilience et de la sueur de beaucoup d’entre nous », souligne l’ex-élue CGT au CSE de Vencorex. « Exalia, c’est la renaissance industrielle au cœur des Alpes. Un nouveau projet pour une chimie plus sobre, plus responsable », poursuit-elle.
L’idée initiale est de relancer le cœur de la plateforme et plus largement de la chimie grenobloise. « On promet simplement, dans un premier temps, de recommencer à produire du sel, du chlore et de la soude. Soit la base de toute la chimie », explique Olivier Six, PDG de CIC Orio, qui serait l’actionnaire majoritaire de la future société commerciale Exalia. L’industriel insiste lui aussi sur leur « chance incroyable ». À savoir « des barrages juste au-dessus qui produisent une énergie décarbonée et pas très chère » ainsi qu’une « mine de sel qui amène le sel en tuyaux jusqu’ici ».
« On va transformer cette usine et en faire une des usines les plus modernes, les plus efficientes et les plus décarbonées d’Europe. »
Olivier Six, PDG de CIC Orio
Exalia permettrait ainsi de redonner vie à une filière essentielle à la souveraineté économique et à la transition écologique. Le chlore est un intrant critique pour de nombreux secteurs, nucléaire, pharmaceutique, plastique, électronique ou le traitement de l’eau. La soude est, elle, indispensable à la chimie, l’agroalimentaire, la santé, l’hygiène et l’eau potable. Et le sel ultra-purifié est stratégique pour l’industrie spatiale, militaire et technologique.

Tout ceci ne se fera cependant pas avec un simple redémarrage des unités. « Suite à un dépôt de bilan, une faillite, on va transformer cette usine et en faire une des usines les plus modernes, les plus efficientes et les plus décarbonées d’Europe », assure Olivier Six. Pour cela, « il faut un peu de temps et des investissements », reconnaît-il.
Plus de 60 millions d’euros d’investissement et deux ans d’arrêt de la plateforme
Les promoteurs d’Exalia se donnent ainsi deux ans avant la mise en service industrielle, avec un calendrier idéal prévoyant un démarrage opérationnel du projet en septembre prochain. L’objectif est de profiter de ces deux ans d’arrêt pour faire de la plateforme de Pont-de-Claix « un site moderne, exemplaire et attractif pour de nouveaux projets industriels durables ». Néanmoins, une telle ambition a naturellement un coût. Obtenir une installation moderne, sobre et compétitive nécessitera plus de 60 millions d’euros d’investissements industriels, mobilisés jusqu’en septembre 2027.
Les porteurs de projets attendent, outre la vingtaine de millions d’euros de fonds privés déjà quasiment acquis, une vingtaine de millions d’euros de subventions et peuvent déjà compter sur le soutien des communes concernées, de la Métropole et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Mais ils espèrent aussi bénéficier de dispositifs nationaux et européens. « On n’est pas là pour faire la mendicité, affirme Olivier Six. On a un projet qui est juste, viable, et qui est un projet d’avenir : construire la chimie de demain. Donc on attend bien sûr un appui très fort de l’État. » Un soutien financier mais également une véritable aide des services.
Exalia lance un appel aux anciens salariés de Vencorex
Quid des emplois ? « Dès le mois de septembre, quand l’entité sera créée, on construira une équipe projet : quinze personnes dans un premier temps, puis on embauchera au fur et à mesure les personnes dont on aura besoin », précise Séverine Dejoux. L’un des objectifs de cette présentation était ainsi de « faire appel aux salariés de Vencorex », ajoute leur ancienne collègue. « On a besoin de leurs compétences, de leur savoir-faire, de leur technicité. On a donc mis à disposition des réseaux sociaux pour qu’ils puissent prendre contact avec nous. »

Le projet vise ainsi à créer plus de 250 emplois directs et indirects à court terme, soit dans les deux années à venir. Parmi eux, une équipe de recherche et développement qui devra être recrutée d’ici la fin de l’année 2025, afin de « développer des produits innovants et adaptés aux nouvelles exigences industrielles et environnementales ». À plus long terme, Exalia table sur plus d’un millier d’emplois recréés sur la plateforme, à l’horizon 2030. Le tout notamment grâce à l’installation d’industriels partenaires et au lancement d’une pépinière d’entreprises de la chimie du chlore décarbonée et biosourcée.
« L’État peut mettre son veto sur la mine »
Deux écueils restent toutefois à surmonter… Et pas des moindres. Tout d’abord, la reprise de tous les actifs industriels non cédés à Borsodchem lors du plan de cession. Une offre de reprise de ces actifs sera déposée auprès du liquidateur de Vencorex France dès que possible. Mais la balle est dans le camp du tribunal de commerce. « Le juge décidera soit de nous céder les actifs, soit de découper l’usine en morceaux, expose Olivier Six. On appelle clairement le tribunal à aller dans notre sens et à avoir une vision d’intérêt général. »

Deuxième sujets, la saline d’Hauterives, dans la Drôme. Les porteurs d’Exalia ont fait une offre pour la reprise de la mine de sel et du saumoduc, qui appartiennent encore à Vencorex Holding. Les discussions sont aujourd’hui en bonne voie et proches d’aboutir mais attention. « On aura besoin là aussi de l’accord de l’État », prévient le PDG de CIC Orio. En effet, cela relève « du droit minier et l’État peut donc s’opposer à ce transfert ».
Un point qui interpelle d’ailleurs le conseiller régional communiste Éric Hours. S’il salue « un beau projet industriel et écologique », celui-ci s’inquiète malgré tout du « rôle de l’État, en sachant qu’il peut mettre son veto sur la mine. Aujourd’hui, on sent bien que l’État est réticent sur ce projet ; le ministre de l’Industrie est venu mais n’a pas pris d’engagement réel. » L’élu PCF peine à voir le vrai projet de l’État, rappelant son opposition à la nationalisation temporaire de Vencorex, puis à la SCIC. D’où l’appel lancé par Éric Hours à l’ensemble des collectivités, pour « faire pression » sur le gouvernement.
Un atout également pour Arkema et Framatome
Garant de la souveraineté industrielle et d’une chimie « responsable, intégrée et sobre », Exalia aurait en outre l’avantage de s’inscrire pleinement dans l’écosystème de la chimie du sud grenoblois, en ravivant notamment la connexion avec les entreprises de la plateforme chimique de Jarrie. Aujourd’hui, Framatome utilise du chlore qu’elle fait venir d’Italie et d’ailleurs tandis qu’Arkema va chercher du sel en Allemagne, en provenance de Pologne.

Selon Olivier Six, les deux sociétés seraient ainsi « extrêmement intéressées » que leur chlore et leur sel respectifs soient fournis localement, à des coûts incomparables. Sans parler de la qualité. Un nouvel atout — un de plus — à mettre au crédit d’Exalia. Certes, le chemin est encore long et tortueux mais, conclut Christophe Ferrari, « une nouvelle espérance s’est levée ».