Pont-de-Claix. Exalia, le projet qui entend faire revivre la chimie grenobloise

Par Manuel Pavard

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Olivier Six, Séverine Dejoux et Christophe Ferrari, toujours à la manœuvre, ont présenté le projet Exalia à l'entrée de la plateforme chimique de Pont-de-Claix.
Les porteurs d'Exalia ont présenté ce lundi 7 juillet leur projet de renaissance industrielle de la plateforme chimique de Pont-de-Claix, près de trois mois après la cession de Vencorex à BorsodChem. Objectif, relancer la production de sel, de chlore et de soude et ce, de manière décarbonée. Exalia vise une mise en service en septembre 2027, moyennant un investissement de plus de 60 millions d'euros dans les deux ans. Avec à la clé, 250 emplois créés à court terme, et plus d'un millier à l'horizon 2030. Un projet ambitieux, soutenu par les collectivités locales, mais qui devra encore convaincre l'État et le tribunal de commerce.

C’é­tait il y a trois mois, au même endroit, avec les mêmes per­sonnes. Le 10 avril, Séve­rine Dejoux, délé­guée syn­di­cale CGT, Oli­vier Six, PDG de CIC Orio, et Chris­tophe Fer­ra­ri, pré­sident de la Métro­pole de Gre­noble et maire de Pont-de-Claix, com­men­taient, le cœur lourd, la déci­sion ren­due quelques heures plus tôt par le tri­bu­nal de com­merce de Lyon, qui enté­ri­nait la ces­sion de Ven­co­rex à Bor­sod­Chem, filiale du groupe chi­nois Wan­hua. Juge­ment qui, de fac­to, enter­rait le pro­jet de reprise en coopé­ra­tive por­té par les sala­riés. Pour­tant, ce lun­di 7 juillet, le trio est de retour devant la pla­te­forme chi­mique et l’a­mer­tume a lais­sé place à l’es­poir. Un espoir nom­mé Exa­lia.

Les por­teurs du pro­jet Exa­lia réunis sur le site, lun­di 7 juillet.

Chris­tophe Fer­ra­ri se féli­cite en effet de pou­voir, pour la pre­mière fois depuis long­temps, « annon­cer une bonne nou­velle ». Ceci « pour le ter­ri­toire, pour la filière chi­mie et pour l’a­ve­nir indus­triel de notre pays. Le pro­jet de reprise de Ven­co­rex n’est pas mort », assène l’é­lu. Si l’i­dée de SCIC a, elle, été aban­don­née, « depuis la déci­sion du tri­bu­nal de com­merce, les por­teurs de pro­jet, les col­lec­ti­vi­tés, les indus­triels ont conti­nué à tra­vailler main dans la main pour trou­ver une solu­tion à la reprise de l’ou­til indus­triel », indique-t-il.

« Recommencer à produire du sel, du chlore et de la soude »

Ceux-ci, à l’ins­tar d’une par­tie des sala­riés, ne pou­vaient pas « se rési­gner » à accep­ter la liqui­da­tion de Ven­co­rex, sans envi­sa­ger de suite. « On savait qu’il y avait quelque chose à faire, qu’il y avait une pépite der­rière nous, à Pont-de-Claix », raconte Séve­rine Dejoux. « On a une pla­te­forme qui, his­to­ri­que­ment, a tou­jours pro­duit du chlore. Puis, on a cette élec­tro­lyse, payée lar­ge­ment par les deniers publics et qui est qua­si neuve. Et on a une mine de sel à 83 kilo­mètres d’i­ci, qui pro­duit un sel d’une extrême pure­té, trans­por­té via un sau­mo­duc, c’est-à-dire de manière tota­le­ment décar­bo­née jus­qu’i­ci. »

Séve­rine Dejoux, ancienne sala­riée de Ven­co­rex et délé­guée syn­di­cale CGT.

C’est donc en pre­nant conscience de ces mul­tiples atouts que les por­teurs ont ima­gi­né ce pro­jet « né de la rési­lience et de la sueur de beau­coup d’entre nous », sou­ligne l’ex-élue CGT au CSE de Ven­co­rex. « Exa­lia, c’est la renais­sance indus­trielle au cœur des Alpes. Un nou­veau pro­jet pour une chi­mie plus sobre, plus res­pon­sable », pour­suit-elle.

L’i­dée ini­tiale est de relan­cer le cœur de la pla­te­forme et plus lar­ge­ment de la chi­mie gre­no­bloise. « On pro­met sim­ple­ment, dans un pre­mier temps, de recom­men­cer à pro­duire du sel, du chlore et de la soude. Soit la base de toute la chi­mie », explique Oli­vier Six, PDG de CIC Orio, qui serait l’ac­tion­naire majo­ri­taire de la future socié­té com­mer­ciale Exa­lia. L’in­dus­triel insiste lui aus­si sur leur « chance incroyable ». À savoir « des bar­rages juste au-des­sus qui pro­duisent une éner­gie décar­bo­née et pas très chère » ain­si qu’une « mine de sel qui amène le sel en tuyaux jus­qu’i­ci ».

« On va trans­for­mer cette usine et en faire une des usines les plus modernes, les plus effi­cientes et les plus décar­bo­nées d’Eu­rope. »

Oli­vier Six, PDG de CIC Orio

Exa­lia per­met­trait ain­si de redon­ner vie à une filière essen­tielle à la sou­ve­rai­ne­té éco­no­mique et à la tran­si­tion éco­lo­gique. Le chlore est un intrant cri­tique pour de nom­breux sec­teurs, nucléaire, phar­ma­ceu­tique, plas­tique, élec­tro­nique ou le trai­te­ment de l’eau. La soude est, elle, indis­pen­sable à la chi­mie, l’agroalimentaire, la san­té, l’hygiène et l’eau potable. Et le sel ultra-puri­fié est stra­té­gique pour l’industrie spa­tiale, mili­taire et tech­no­lo­gique.

L’in­dus­triel Oli­vier Six, dont le groupe détien­drait majo­ri­tai­re­ment la socié­té Exa­lia.

Tout ceci ne se fera cepen­dant pas avec un simple redé­mar­rage des uni­tés. « Suite à un dépôt de bilan, une faillite, on va trans­for­mer cette usine et en faire une des usines les plus modernes, les plus effi­cientes et les plus décar­bo­nées d’Eu­rope », assure Oli­vier Six. Pour cela, « il faut un peu de temps et des inves­tis­se­ments », recon­naît-il.

Plus de 60 millions d’euros d’investissement et deux ans d’arrêt de la plateforme

Les pro­mo­teurs d’Exa­lia se donnent ain­si deux ans avant la mise en ser­vice indus­trielle, avec un calen­drier idéal pré­voyant un démar­rage opé­ra­tion­nel du pro­jet en sep­tembre pro­chain. L’ob­jec­tif est de pro­fi­ter de ces deux ans d’ar­rêt pour faire de la pla­te­forme de Pont-de-Claix « un site moderne, exem­plaire et attrac­tif pour de nou­veaux pro­jets indus­triels durables ». Néan­moins, une telle ambi­tion a natu­rel­le­ment un coût. Obte­nir une ins­tal­la­tion moderne, sobre et com­pé­ti­tive néces­si­te­ra plus de 60 mil­lions d’eu­ros d’in­ves­tis­se­ments indus­triels, mobi­li­sés jus­qu’en sep­tembre 2027.

Les por­teurs de pro­jets attendent, outre la ving­taine de mil­lions d’eu­ros de fonds pri­vés déjà qua­si­ment acquis, une ving­taine de mil­lions d’eu­ros de sub­ven­tions et peuvent déjà comp­ter sur le sou­tien des com­munes concer­nées, de la Métro­pole et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Mais ils espèrent aus­si béné­fi­cier de dis­po­si­tifs natio­naux et euro­péens. « On n’est pas là pour faire la men­di­ci­té, affirme Oli­vier Six. On a un pro­jet qui est juste, viable, et qui est un pro­jet d’a­ve­nir : construire la chi­mie de demain. Donc on attend bien sûr un appui très fort de l’É­tat. » Un sou­tien finan­cier mais éga­le­ment une véri­table aide des ser­vices.

Exalia lance un appel aux anciens salariés de Vencorex

Quid des emplois ? « Dès le mois de sep­tembre, quand l’en­ti­té sera créée, on construi­ra une équipe pro­jet : quinze per­sonnes dans un pre­mier temps, puis on embau­che­ra au fur et à mesure les per­sonnes dont on aura besoin », pré­cise Séve­rine Dejoux. L’un des objec­tifs de cette pré­sen­ta­tion était ain­si de « faire appel aux sala­riés de Ven­co­rex », ajoute leur ancienne col­lègue. « On a besoin de leurs com­pé­tences, de leur savoir-faire, de leur tech­ni­ci­té. On a donc mis à dis­po­si­tion des réseaux sociaux pour qu’ils puissent prendre contact avec nous. »

Outre les jour­na­listes, la confé­rence de presse a ras­sem­blé des élus et d’ex-sala­riés de Ven­co­rex.

Le pro­jet vise ain­si à créer plus de 250 emplois directs et indi­rects à court terme, soit dans les deux années à venir. Par­mi eux, une équipe de recherche et déve­lop­pe­ment qui devra être recru­tée d’i­ci la fin de l’an­née 2025, afin de « déve­lop­per des pro­duits inno­vants et adap­tés aux nou­velles exi­gences indus­trielles et envi­ron­ne­men­tales ». À plus long terme, Exa­lia table sur plus d’un mil­lier d’emplois recréés sur la pla­te­forme, à l’ho­ri­zon 2030. Le tout notam­ment grâce à l’ins­tal­la­tion d’in­dus­triels par­te­naires et au lan­ce­ment d’une pépi­nière d’entreprises de la chi­mie du chlore décar­bo­née et bio­sour­cée.

« L’État peut mettre son veto sur la mine »

Deux écueils res­tent tou­te­fois à sur­mon­ter… Et pas des moindres. Tout d’a­bord, la reprise de tous les actifs indus­triels non cédés à Bor­sod­chem lors du plan de ces­sion. Une offre de reprise de ces actifs sera dépo­sée auprès du liqui­da­teur de Ven­co­rex France dès que pos­sible. Mais la balle est dans le camp du tri­bu­nal de com­merce. « Le juge déci­de­ra soit de nous céder les actifs, soit de décou­per l’u­sine en mor­ceaux, expose Oli­vier Six. On appelle clai­re­ment le tri­bu­nal à aller dans notre sens et à avoir une vision d’in­té­rêt géné­ral. »

Séve­rine Dejoux et Oli­vier Six.

Deuxième sujets, la saline d’Hau­te­rives, dans la Drôme. Les por­teurs d’Exa­lia ont fait une offre pour la reprise de la mine de sel et du sau­mo­duc, qui appar­tiennent encore à Ven­co­rex Hol­ding. Les dis­cus­sions sont aujourd’­hui en bonne voie et proches d’a­bou­tir mais atten­tion. « On aura besoin là aus­si de l’ac­cord de l’É­tat », pré­vient le PDG de CIC Orio. En effet, cela relève « du droit minier et l’É­tat peut donc s’op­po­ser à ce trans­fert ».

Un point qui inter­pelle d’ailleurs le conseiller régio­nal com­mu­niste Éric Hours. S’il salue « un beau pro­jet indus­triel et éco­lo­gique », celui-ci s’in­quiète mal­gré tout du « rôle de l’É­tat, en sachant qu’il peut mettre son veto sur la mine. Aujourd’­hui, on sent bien que l’É­tat est réti­cent sur ce pro­jet ; le ministre de l’In­dus­trie est venu mais n’a pas pris d’en­ga­ge­ment réel. » L’é­lu PCF peine à voir le vrai pro­jet de l’É­tat, rap­pe­lant son oppo­si­tion à la natio­na­li­sa­tion tem­po­raire de Ven­co­rex, puis à la SCIC. D’où l’ap­pel lan­cé par Éric Hours à l’en­semble des col­lec­ti­vi­tés, pour « faire pres­sion » sur le gou­ver­ne­ment.

Un atout également pour Arkema et Framatome

Garant de la sou­ve­rai­ne­té indus­trielle et d’une chi­mie « res­pon­sable, inté­grée et sobre », Exa­lia aurait en outre l’a­van­tage de s’ins­crire plei­ne­ment dans l’é­co­sys­tème de la chi­mie du sud gre­no­blois, en ravi­vant notam­ment la connexion avec les entre­prises de la pla­te­forme chi­mique de Jar­rie. Aujourd’­hui, Fra­ma­tome uti­lise du chlore qu’elle fait venir d’I­ta­lie et d’ailleurs tan­dis qu’Ar­ke­ma va cher­cher du sel en Alle­magne, en pro­ve­nance de Pologne.

Chris­tophe Fer­ra­ri a salué « une bonne nou­velle », trois mois après le coup de mas­sue don­né par le tri­bu­nal de com­merce.

Selon Oli­vier Six, les deux socié­tés seraient ain­si « extrê­me­ment inté­res­sées » que leur chlore et leur sel res­pec­tifs soient four­nis loca­le­ment, à des coûts incom­pa­rables. Sans par­ler de la qua­li­té. Un nou­vel atout — un de plus — à mettre au cré­dit d’Exa­lia. Certes, le che­min est encore long et tor­tueux mais, conclut Chris­tophe Fer­ra­ri, « une nou­velle espé­rance s’est levée ».

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