Débat. Trois projets pour redonner son sens au travail
Par Edouard Schoene
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Quelles sont les propositions et les différences d’analyses du PCF, du collectif Réseau salariat et de la CGT ? Différences et convergences ? C’est ce qu’a permis de mettre en lumière la rencontre du 19 mai. Au titre des propositions, le PCF avance celle d’une « sécurité emploi formation », le réseau salariat celle d’une « sécurité sociale de l’économie » et la CGT évoque une « sécurité sociale professionnelle ».
La sécurité sociale du Réseau salariat repose sur une idée : « Le communisme n’est pas un idéal utopique. Le dépassement communiste est déjà en cours », relevait l’un des deux représentants du réseau *. Le collectif s’appuie sur les travaux de Bernard Friot pour noter que la Sécurité sociale, hors marché capitaliste, par conventionnement, avec un salaire à la personne, est une conquête communiste, « portée après guerre par la CGT et les communistes ». Tout comme le statut de la fonction publique est un « déjà là » du communisme. Sur cette base, la proposition du Réseau est « la mise en sécurité sociale progressive de l’économie par la création d’un nouveau statut du/de la producteur·ice attaché à un certain nombre de droits : responsabilité sur la production, co-propriété d’usage des moyens de production, salaire à vie, abolition de la propriété lucrative. On ne cherche pas l’abolition du chômage mais la reconnaissance du statut de travailleur, attaché à la personne, dès 18 ans et jusqu’à la retraite à 60 ans. » Le Réseau salariat défend l’idée d’un « salaire à la personne », associé à la reconnaissance d’un statut, soulignant qu’un tiers des salariés aujourd’hui ont un salaire à la personne (fonction publique, hospitaliers…). « Nous proposons la mise en sécurité sociale progressive de l’économie ».

Ce qui conduit à une première différence avec les propositions du PCF. « Nous nous prononçons pour le plein emploi tout au long de la vie. Tout le monde travaillera, moins et mieux », précisait Kevin Guillas-Cavan, membre de la commission économique nationale du PCF. D’où la nécessité d’un cadre collectif, dans les entreprises, pour décider des contenus et des finalités du travail. Tandis que la sécurité sociale professionnelle de la CGT s’inscrit dans le cadre de l’entreprise pour revendiquer de nouveaux droits pour les salariés tout au long de leurs parcours professionnels.
Une seconde différence relève de la conception de l’État. Pour le Réseau, l’objectif est de « sortir des secteurs complets de la logique capitaliste et non pas de réguler le capitalisme. Pour nous, la prise de pouvoir se fait dans l’entreprise qui sort de la production capitaliste ; il s’agit de donner un droit, celui du producteur citoyen, dès 18 ans, indépendamment de l’emploi. »

Ce à quoi répond Kevin Guillas-Cavan en indiquant que « nous n’avons pas un fétichisme de l’Etat. Mais il faut briser le pouvoir d’Etat au service du capital car c’est l’État, au service du capital, qui lui donne sa force ». Citons le niveau des subventions aux grandes entreprises ou encore la privatisation de la création monétaire au service du gonflement des fortunes. Kevin Guillas-Cavan note ainsi que « la prise du pouvoir d’Etat est pour nous un préalable. Le programme de Fabien Roussel notait quarante entreprises à nationaliser. La nationalisation porte sur la propriété, non sur la gestion qui doit être socialisée, dans les mains des travailleurs. C’est le rapport des forces qui déterminera les compromis à faire à partir de notre programme PCF. Nous ne voulons pas accompagner le capitalisme mais prendre la main sur l’argent et la planification ».
« Fondamentalement, précise Kevin Guillas-Cavan, l’idée est de garantir un revenu à vie qui ne peut que croître (en cela on est sur la même ligne que RS). Tout au long de la vie, on est en emploi ou en formation. Cela n’a rien à voir avec « flexsécurité » qui ne garantit pas l’emploi. En même temps que l’on forme, on planifie les investissements, où va l’argent, dans quels domaines. » Une feuille de route pour s’attaquer concrètement au cœur du système capitaliste.

Du côté de la CGT, la proposition d’une sécurité sociale professionnelle se décline sous la forme d’un cahier revendicatif. Laurent Terrier, membre du secrétariat de l’union départementale, expose ainsi les différentes facettes de la proposition : « Un contrat jamais rompu, à temps complet, en CDI (ou contrat fonction publique) avec un salaire à temps complet jusqu’à la retraite à 60 ans ; un salaire en progression (minimum doublement de salaire au cours de la vie) ; la reconnaissance des qualifications ; le droit à la formation initiale et formation professionnelle et continue transférable d’un emploi à l’autre ; le droit aux congés formation notamment pour reconversion, avec maintien du salaire ; une Sécurité sociale intégrant les mutuelles tout au long de la vie et de nouveaux droits démocratique pour participer réellement à l’organisation et aux finalités des activités issues du travail. »
Urgence à proposer une société alternative, face à un patronat qui fait le choix de l’extrême droite
Ces trois approches s’appuient sur des constats largement partagés. « Le travailleur, dans le capitalisme, est dépossédé du produit de son travail, qui devient une force étrangère, contrôlée par le capital. Son activité ne lui appartient plus », analyse un représentant du Réseau salariat. « Le salariat est aliénation, dépossession des travailleurs. Le capitalisme décide du contenu de la socialisation du travail. Nous voulons reprendre la main sur ce que l’on produit pour répondre aux besoins. Le capitalisme lui produit pour le profit. Ainsi pour notre plan climat ce qui m’intéresse ce n’est pas la production de trains mais la production de moyens de transports les plus appropriés pour les citoyens, le climat », précise Kevin Guillas-Cavan.
Tandis que Laurent Terrier souligne l’urgence de faire grandir des propositions alternatives : « Les CDD sont de plus en plus courts et de plus en plus présents dans la fonction publique. Le taux de pauvreté s’est accru (14%). Le salariat s’est déstructuré avec le développement de la sous-traitance, avec la découpe en morceaux des groupes industriels. » Une riposte qui s’élabore aussi sur le terrain : « La CGT organise les travailleurs sans-papiers, développe l’action contre la surexploitation, la discrimination des femmes, en particulier dans les métiers de l’aide. » Urgence et responsabilité accrue des partis et des syndicats de mettre en lumière un modèle de société alternatif après l’arrivée de Trump et le choix du patronat de soutenir l’extrême droite.
Une soirée passionnante, qui appelle assurément d’autres échanges.
Pour aller plus loin
Le projet sécurité emploi formation est issu des travaux de Paul Boccara, Sécurité d’emploi ou de formation, 2002, ed. Eyrolles, et de travaux ultérieurs.
Le projet de sécurité sociale professionnelle a été adopté par le 48e congrès de la CGT, en 2006 à Lille. Plus d’infos.
Des infos sur le réseau salariat et le salaire à vie.
Le livre de Fabien Roussel, Le parti pris du travail (ed. du Cherche-Midi) est en vente au siège du PCF, 20 rue Emile Gueymard à Grenoble.
Le collectif Plus jamais ça avait produit en 2021 un plan de rupture, cité par Laurent Terrier.