Saint-Martin‑d’Hères : histoire et cinéma

Par Edouard Schoene

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Amaury Piotin, Laurent Buisson, Serge Papagalli et Claudine Kahane.
A l’occasion de la commémoration des 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la victoire sur le nazisme, Mon Ciné s'est associé à SMH Histoire Mémoire Vive pour proposer, le 6 avril, deux séances de projection du film "Le Franc-Tireur" (France 1972), de Jean-Max Causse, Roger Taverne (avec Philippe Léotard, Serge Papagalli…). C'est une fiction avec pour cadre le maquis du Vercors, autour de la question de l'engagement et de la résistance. Ludovic Decamp a apporté quelques éclairages précieux à la nombreuse assistance, tandis que Serge Papagalli a témoigné sur le premier long métrage où il a joué, à l’âge de 25 ans.

Au cour du débat qui a sui­vi l’une des pro­jec­tions, Ludo­vic Decamp, docu­men­ta­liste à Sciences Po Gre­noble, spé­cia­liste de l’his­toire du maquis du Ver­cors, a don­né plu­sieurs pistes d’information.

Repères chro­no­lo­giques, tout d’a­bord. Caen a été libé­rée par les troupes bri­tan­niques le 20 juillet 1944. Le 21 juillet, l’ar­mée alle­mande pre­nait d’as­saut le maquis du Ver­cors par la trouée de Vil­lard-de-Lans, les pas de l’Est du mas­sif et une attaque aéro­por­tée à Vas­sieux. Les com­bats ont duré jus­qu’à l’ordre de dis­per­sion du maquis, don­né le 23 juillet au soir.

Ludo­vic Decamp resi­tuait éga­le­ment la nature des rap­port entre le com­man­de­ment allié et la résis­tance inté­rieure. « L’état major allié a dû déca­ler le débar­que­ment en Pro­vence, faute de maté­riel, débar­que­ment qui a eu lieu le 15 août. Le Ver­cors n’existait pas pour Eisen­ho­wer. En mai 1944 à Alger, les ser­vices de la France libre (Giraud et de Gaulle),  avaient pro­mis à Eugène Cha­vant, chef civil du maquis du Ver­cors, des para­chu­tages d’armes dans le Ver­cors. »

Ludo­vic Decamp.

Ludo­vic Decamp rap­pelle éga­le­ment « ce qu’était  la France libre en 1944 : de Gaulle n’était pas tenu au cou­rant du débar­que­ment, l’é­tat major allié ne fait pas confiance à de Gaulle et la France libre n’a pas de moyens. » Le Ver­cors était « maquis refuge » : les camps de maqui­sards avaient été créés pour cacher les réfrac­taires au STO, des mili­taires l’a­vaient rejoint sou­vent après la dis­so­lu­tion de l’ar­mée d’ar­mis­tice. On y trou­vait une grande diver­si­té d’o­pi­nions poli­tiques — des com­mu­nistes, des socia­listes, des mili­tants laïques… — et reli­gieuses, d’o­ri­gines sociales, géo­gra­phiques — trente-et-une natio­na­li­tés étaient repré­sen­tées dans le maquis ; nombre de maqui­sards étaient ori­gi­naires de pays d’A­frique, Algé­rie, Séné­gal…

C’est dans ce contexte que se déroulent les com­bats de la fin juillet 44, avec un maquis qui n’a pas reçu d’ar­me­ment en quan­ti­té néces­saire, en armes lourdes sur­tout. Le 22 juillet, alors que les maqui­sards reculent devant la pous­sée alle­mande, Cha­vant envoie un télé­gramme à Alger : « Si aucune aide, popu­la­tion et nous juge­rons Alger des cri­mi­nels et des lâches. je répète : cri­mi­nels et lâches ».

Ludo­vic Decamp tem­père cepen­dant : « J’ai des témoi­gnages d’anciens du Ver­cors qui disent après guerre : on s’est sen­tis aban­don­nés mais pas tra­his, sinon nous n’aurions pas pour­sui­vis la guerre. »

Serge Papa­gal­li, qui tour­nait là son pre­mier long métrage.

Ludo­vic Decamp a ensuite évo­qué la contro­verse sus­ci­tée par le film Le Franc tireur : « En février 1986, le fes­ti­val du film fran­çais de Gre­noble — en pré­sence de grands du ciné­ma dont Agnès Var­da — avait pro­gram­mé deux pro­jec­tions du film, une à Gre­noble, l’autre à Vil­lard-de-Lans. Le maire de Vil­lard-de-Lans et l’office de tou­risme ont fait venir Louis Bou­chier, pré­sident de l’as­so­cia­tion des pion­niers du Ver­cors, pour lui pro­po­ser de vision­ner le film avant la pro­jec­tion, le 21 jan­vier en pré­sence d’autres anciens du Ver­cors. Il ne s’é­tait pas recon­nu dans cette his­toire et des scènes l’a­vaient cho­qué. « Nous n’avions ni le temps ni  le loi­sir de faire ripaille et de luti­ner les filles », avait décla­ré Louis Bou­chier après avoir vu le Franc Tireur. »

L’his­to­rien pré­cise que l’an­cien résis­tant avait alors deman­dé, dans un cour­rier du 25 jan­vier 1986, à pou­voir inter­ve­nir avant sa pro­jec­tion « afin de pou­voir pré­ve­nir le spec­ta­teur de la fic­tion cari­ca­tu­rale de la Résis­tance qu’il va être ame­né à décou­vrir ». Le maire de Vil­lard-de-Lans avait ensuite annu­lé la pro­jec­tion. « Cela a été lar­ge­ment dénon­cé comme un acte de cen­sure », com­mente Ludo­vic Decamp.

Le film ne sor­ti­ra en salle qu’en 2002, trente ans après sa pro­duc­tion.

Plus d’in­fos sur le film de Jean-Marc Causse et Roger Taverne

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