Saint-Martin‑d’Hères : histoire et cinéma
Par Edouard Schoene
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Au cour du débat qui a suivi l’une des projections, Ludovic Decamp, documentaliste à Sciences Po Grenoble, spécialiste de l’histoire du maquis du Vercors, a donné plusieurs pistes d’information.
Repères chronologiques, tout d’abord. Caen a été libérée par les troupes britanniques le 20 juillet 1944. Le 21 juillet, l’armée allemande prenait d’assaut le maquis du Vercors par la trouée de Villard-de-Lans, les pas de l’Est du massif et une attaque aéroportée à Vassieux. Les combats ont duré jusqu’à l’ordre de dispersion du maquis, donné le 23 juillet au soir.
Ludovic Decamp resituait également la nature des rapport entre le commandement allié et la résistance intérieure. « L’état major allié a dû décaler le débarquement en Provence, faute de matériel, débarquement qui a eu lieu le 15 août. Le Vercors n’existait pas pour Eisenhower. En mai 1944 à Alger, les services de la France libre (Giraud et de Gaulle), avaient promis à Eugène Chavant, chef civil du maquis du Vercors, des parachutages d’armes dans le Vercors. »

Ludovic Decamp rappelle également « ce qu’était la France libre en 1944 : de Gaulle n’était pas tenu au courant du débarquement, l’état major allié ne fait pas confiance à de Gaulle et la France libre n’a pas de moyens. » Le Vercors était « maquis refuge » : les camps de maquisards avaient été créés pour cacher les réfractaires au STO, des militaires l’avaient rejoint souvent après la dissolution de l’armée d’armistice. On y trouvait une grande diversité d’opinions politiques — des communistes, des socialistes, des militants laïques… — et religieuses, d’origines sociales, géographiques — trente-et-une nationalités étaient représentées dans le maquis ; nombre de maquisards étaient originaires de pays d’Afrique, Algérie, Sénégal…
C’est dans ce contexte que se déroulent les combats de la fin juillet 44, avec un maquis qui n’a pas reçu d’armement en quantité nécessaire, en armes lourdes surtout. Le 22 juillet, alors que les maquisards reculent devant la poussée allemande, Chavant envoie un télégramme à Alger : « Si aucune aide, population et nous jugerons Alger des criminels et des lâches. je répète : criminels et lâches ».
Ludovic Decamp tempère cependant : « J’ai des témoignages d’anciens du Vercors qui disent après guerre : on s’est sentis abandonnés mais pas trahis, sinon nous n’aurions pas poursuivis la guerre. »

Ludovic Decamp a ensuite évoqué la controverse suscitée par le film Le Franc tireur : « En février 1986, le festival du film français de Grenoble — en présence de grands du cinéma dont Agnès Varda — avait programmé deux projections du film, une à Grenoble, l’autre à Villard-de-Lans. Le maire de Villard-de-Lans et l’office de tourisme ont fait venir Louis Bouchier, président de l’association des pionniers du Vercors, pour lui proposer de visionner le film avant la projection, le 21 janvier en présence d’autres anciens du Vercors. Il ne s’était pas reconnu dans cette histoire et des scènes l’avaient choqué. « Nous n’avions ni le temps ni le loisir de faire ripaille et de lutiner les filles », avait déclaré Louis Bouchier après avoir vu le Franc Tireur. »
L’historien précise que l’ancien résistant avait alors demandé, dans un courrier du 25 janvier 1986, à pouvoir intervenir avant sa projection « afin de pouvoir prévenir le spectateur de la fiction caricaturale de la Résistance qu’il va être amené à découvrir ». Le maire de Villard-de-Lans avait ensuite annulé la projection. « Cela a été largement dénoncé comme un acte de censure », commente Ludovic Decamp.
Le film ne sortira en salle qu’en 2002, trente ans après sa production.
Plus d’infos sur le film de Jean-Marc Causse et Roger Taverne
