Lac baignable de la Villeneuve : le collectif interpelle la mairie de Grenoble
Par Manuel Pavard
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La lettre ouverte, datée du 19 mars 2025, s’adresse au maire de Grenoble et aux élus de la majorité. Le Collectif du lac — qui regroupe unions de quartier, conseils syndicaux, associations et habitants — leur « demande solennellement de redevenir raisonnable et de suspendre ce projet ». Ceci en intégrant leurs propositions, « c’est-à-dire en associant les habitants sans faire semblant », souligne-t-il. L’ironie non dissimulée illustre le sentiment partagé par les membres du collectif, réunis ce mercredi 19 mars dans les locaux de l’union de quartier Baladins-Géants.

Mobilisés depuis fin 2023 contre le projet municipal de lac baignable de la Villeneuve — qu’ils qualifient de « piscine à ciel ouvert » -, ceux-ci estiment avoir avalé bien des couleuvres depuis. « Nous avons respecté toutes les procédures », assure ainsi Paul Hazebroucq, président de l’union de quartier Baladins-Géants, qui souhaite qu’Éric Piolle « se rappelle de ses promesses ». « On a joué le jeu », confirme Étienne Flavigny, habitant du Zénith, îlot de bâtiments de la Villeneuve. Tous font avant tout référence à leur récente participation au budget participatif.
Le collectif en tête des votes du budget participatif mais non retenu
Le Collectif du lac s’est en effet porté candidat au dispositif de la Ville de Grenoble en déposant leur propre projet pour le lac de la Villeneuve, présenté lors du forum des idées, le 15 février, à l’hôtel de ville. Une franche réussite. Cette proposition alternative a non seulement été retenue parmi les trente projets en tout genre sélectionnés ce jour-là (sur une soixantaine au total), mais elle est même arrivée en tête des suffrages. Le tout avec des votants aux profils très divers, notamment « beaucoup d’anciens habitants du quartier », se félicite le collectif, devançant les critiques habituelles formulées par la majorité.
Problème : avant le vote final du budget participatif, prévu à l’été 2025, il restait une étape intermédiaire, à savoir l’étude de la faisabilité juridique, administrative et financière. C’est sur cette base, officiellement, que les services municipaux ont évincé le collectif, à l’issue d’une réunion tenue début mars. « La Ville nous a dit qu’il y avait déjà un projet lancé, avec de l’argent public investi dans les bureaux d’études, donc le nôtre s’arrêtait là », raconte Étienne Flavigny. « Deuxième point, il n’était pas question de revenir sur la baignabilité, la profondeur du lac et les barrières, mais seulement sur des aménagements secondaires. »

Aucune surprise toutefois, pour le collectif, qui avoue avoir anticipé ce rejet et s’attendaient aux arguments de la mairie. « On voulait montrer que notre projet était porté par une assise populaire large », explique Paul Hazebroucq. Mais également pour mettre Éric Piolle face à ses contradictions, poursuit-il, rappelant que le maire a notamment été « élu sur la thématique de la démocratie participative ». D’où cette attaque frontale envers l’édile : « Vous êtes donc d’accord avec la participation des citoyens mais pas quand elle va à l’encontre des projets des élus de la majorité… »
Avis favorable du commissaire enquêteur, assorti de deux réserves
Quid de la suite maintenant ? Le timing de la lettre ouverte ne doit rien au hasard. Ce lundi 24 mars en effet, le conseil municipal débattra du dossier, lors d’une délibération portant sur « l’intérêt général du projet de renouvellement des espaces publics de l’Arlequin et du parc Jean-Verlhac » — porté conjointement par la Métropole et la Ville de Grenoble avec le soutien de l’Anru. Et ce, dix jours après la remise des conclusions définitives de l’enquête publique sur le réaménagement du parc, dont le lac baignable sera un élément central.
Le commissaire enquêteur a ainsi émis, vendredi 14 mars, un avis favorable « assorti de deux réserves s’agissant de la possible ‘réversibilité’ du lac baignable et de la prise en compte de l’avis de l’autorité environnementale », précise la mairie dans un communiqué. Là encore, pas de surprise pour le Collectif du lac. « Dès le départ, on avait conscience qu’il y aurait un avis favorable car celui-ci concerne l’ensemble du parc Jean-Verlhac », indique Paul Hazebroucq.

De fait, les habitants de la Villeneuve « soutiennent l’immense majorité des aménagements », reconnaît-il, pointant « un souci spécifique à propos du lac ». De son côté, la Ville de Grenoble affirme qu’elle « prendra bien évidemment en compte ces réserves ». Elle a d’ailleurs « déjà modifié certains éléments techniques du projet (profil du lac) », ajoute-t-elle, et « délibérera en ce sens lundi 24 mars », en conseil municipal.
« Si l’expérience du nouveau dispositif n’est pas positive, le commissaire enquêteur demande que le projet prévoit une réversibilité, pour revenir à l’usage actuel du lac. Mais qu’est-ce qu’une expérience positive ? Il n’y a aucun critère défini. C’est au bon vouloir de la municipalité. »
Nicole Mackiewicz (union de quartier Baladins-Géants)
Si les réserves de l’enquête publique sont globalement bien accueillies par les membres du collectif, elles suscitent néanmoins également quelques… réserves de leur part. Nicole Mackiewicz, de l’union de quartier Baladins-Géants, cite ainsi la recommandation du commissaire enquêteur : « Si l’expérience du nouveau dispositif n’est pas positive, il demande que le projet prévoit une réversibilité, pour revenir à l’usage actuel du lac. Mais qu’est-ce qu’une expérience positive ? Il n’y a aucun critère défini. C’est au bon vouloir de la municipalité. »
Étienne Flavigny s’interroge lui aussi sur de telles réserves : « Si ça ne marche pas, on fait un essai à 4 ou 5 millions d’euros et on revient en arrière ? Ce serait un peu gaspiller l’argent public. » Pourquoi le projet de lac baignable « ne marcherait pas », demande-t-on au collectif ? Par exemple, pour « la qualité de l’eau », répond Gilles Kuntz, président de l’union de quartier Villeneuve 1. « La nappe d’eau sous Grenoble est présentée comme la plus polluée de France, selon une étude récente. Depuis, il y a eu un projet de dépollution. Mais ça signifie qu’à tout moment, ça pourrait s’arrêter si les analyses font état d’une qualité non conforme. »
« Vivre au pays de Oui-Oui »
Le collectif se dit sceptique face au plan B évoqué par la Ville, avec « de l’eau potable », et à ses revirements concernant la profondeur du lac. Mêmes réticences sur la question des barrières. S’appuyant sur les exemples dans le quartier, Paul Hazebroucq souligne le « risque de casse et d’incendie ». Pour lui, « penser qu’il n’y aura jamais de franchissement des barrières, jamais de dégradations, c’est vivre au pays de Oui-Oui » ! Une vision qu’il oppose à celle des habitants, lesquels seraient « lucides, réalistes » et partisans d’une « gestion rationnelle ».

Le Collectif du lac met également en cause l’investissement financier, avec un montant global qui pourrait avoisiner les 5 millions d’euros pour l’ensemble de l’opération. Et un coût de fonctionnement annuel passé de 450 000 à environ 665 000 euros désormais. « Une jolie bagatelle, pour des élus qui prêchent la sobriété », raillent les auteurs de la lettre ouverte.
Quant à la fréquentation prévue par la municipalité, soit 450 usagers par jour en moyenne, pendant sept jours, celle-ci paraît totalement irréaliste aux yeux des opposants au projet. « Ce chiffre de 450 vient uniquement du volume du lac », s’étonne Nicole Mackiewicz. Une surévaluation qui permet de réduire artificiellement le coût par usager…
« Dialogue » ou « rouleau compresseur » ?
Accusée par ses détracteurs de « ne pas tenir compte des avis des habitants », la Ville se défend. Elle « rappelle que le projet de lac baignable a déjà fortement évolué en lien avec les demandes de certains habitant-es ou associations du quartier ». Illustration : « Initialement prévue pour être supérieure à 1 hectare, la surface de baignade envisagée a été réduite en 2022 pour rester dans le périmètre du bassin actuel, le système de clôtures a été modifié pour prendre en compte les nombreuses demandes de préservation des vues paysagères. »
La mairie promet en outre que « le dialogue va se poursuivre ». Et les adjoints Chloé Pantel et Gilles Namur d’abonder : « Pour relever le défi d’un espace de fraicheur gratuit accessible au cœur du plus grand quartier populaire de l’agglomération, nous continuerons à associer étroitement les habitant-es, associations, et acteurs du quartier pour que ce projet soit une réussite collective. »

Des propos qui font rire jaune les militants du collectif. D’après eux, au contraire, « la municipalité arrive en fin de mandat et veut donc rendre irréversible le projet ». Pour cela, « les élus vont délibérer au conseil municipal, puis en conseil métropolitain le 4 avril, afin de lancer le rouleau compresseur, puis le chantier », craint Paul Hazebroucq. Ambitionnant d’enrayer ce processus, la lettre ouverte « demande que le projet soit suspendu dans son état actuel », explique-t-il.
« On interpelle officiellement la Métropole »
Bien sûr, il n’est « pas question de travailler sans la Ville », admet le président de l’union de quartier. Pour autant, les derniers épisodes ont fortement abîmé la confiance mutuelle. Il fallait dès lors imaginer une alternative. « Une fois la suspension du projet décidée, le Collectif du lac propose qu’un groupe animé par une personne neutre, désignée par une institution neutre (donc hors Ville et collectif) et compétente, travaille à reconstruire ensemble un projet de restauration et de revalorisation du lac », écrit-il dans la lettre ouverte. « Ce groupe devra être composé d’élus, de techniciens et d’habitants. »
Quelle serait cette institution neutre ? Le Collectif du lac songe à un troisième acteur, jusque-là peu disert sur le sujet, et « interpelle officiellement la Métropole, au titre de sa fonction de maître d’ouvrage et de sa compétence sur la politique de la ville », annonce Paul Hazebroucq, qui tend également la perche à l’ensemble des élus concernés, municipaux comme métropolitains.
« Qu’on ne vienne pas nous donner des leçons de mixité »
Les membres du collectif tiennent enfin à mentionner un sujet qui leur tient à cœur et qui les a unanimement choqués. Il s’agit d’une phrase du commissaire enquêteur décrivant ces opposants au projet comme « une population relativement âgée, qui ne représente pas la diversité culturelle et ethnique du quartier ». Cette citation malheureuse, semblable à certaines remarques récurrentes de l’équipe municipale, les a « tous mis très en colère », s’indignent de concert Anne-Françoise Romanet, militante de l’association Villeneuve debout, et Solange Selna, habitante de la place des Saules.

Toutes deux mettent en avant leur travail dans le quartier, notamment dans les centres de loisirs, la « diversité importante » dans leurs bâtiments respectifs et au sein de leur propre foyer, avec « beaucoup de familles mixtes » parmi les personnes présentes autour de la table… Sans oublier les pétitions signées ou les multiples discussions engagées avec des habitants de tous âges et toutes origines. « À la Villeneuve, on rencontre les gens partout, à la maison médicale, sur le marché, etc », assène Solange Selna. « Qu’on ne vienne pas nous donner des leçons de mixité ! »