Lac baignable de la Villeneuve : le collectif interpelle la mairie de Grenoble

Par Manuel Pavard

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Anne-Françoise Romanet (Villeneuve debout), Paul Hazebroucq (UQ Baladins-Géants), Gilles Kuntz (UQ Villeneuve 1) et Gisèle Martin (CS les Baladins), dans les locaux de l'union de quartier, le 19 mars. © Manuel Pavard
Le Collectif du lac a adressé ce mercredi 19 mars une lettre ouverte au maire de Grenoble et aux élus de la majorité, afin de demander la suspension du projet de lac baignable de la Villeneuve. Après l'avis favorable (avec réserves) de l'enquête publique, le réaménagement du parc Jean-Verlhac - qui englobe le lac - fera en effet l'objet d'une délibération au conseil municipal du lundi 24 mars. Le collectif déplore en outre que son projet alternatif, arrivé en tête des votes du budget participatif mi-février, ait été ensuite invalidé par la Ville.

La lettre ouverte, datée du 19 mars 2025, s’a­dresse au maire de Gre­noble et aux élus de la majo­ri­té. Le Col­lec­tif du lac — qui regroupe unions de quar­tier, conseils syn­di­caux, asso­cia­tions et habi­tants — leur « demande solen­nel­le­ment de rede­ve­nir rai­son­nable et de sus­pendre ce pro­jet ». Ceci en inté­grant leurs pro­po­si­tions, « c’est-à-dire en asso­ciant les habi­tants sans faire sem­blant », sou­ligne-t-il. L’i­ro­nie non dis­si­mu­lée illustre le sen­ti­ment par­ta­gé par les membres du col­lec­tif, réunis ce mer­cre­di 19 mars dans les locaux de l’u­nion de quar­tier Bala­dins-Géants.

Paul Haze­broucq (UQ Bala­dins-Géants) et Gilles Kuntz (UQ Vil­le­neuve 1) signent la lettre ouverte adres­sée aux élus de la majo­ri­té. © Manuel Pavard

Mobi­li­sés depuis fin 2023 contre le pro­jet muni­ci­pal de lac bai­gnable de la Vil­le­neuve — qu’ils qua­li­fient de « pis­cine à ciel ouvert » -, ceux-ci estiment avoir ava­lé bien des cou­leuvres depuis. « Nous avons res­pec­té toutes les pro­cé­dures », assure ain­si Paul Haze­broucq, pré­sident de l’u­nion de quar­tier Bala­dins-Géants, qui sou­haite qu’É­ric Piolle « se rap­pelle de ses pro­messes ». « On a joué le jeu », confirme Étienne Fla­vi­gny, habi­tant du Zénith, îlot de bâti­ments de la Vil­le­neuve. Tous font avant tout réfé­rence à leur récente par­ti­ci­pa­tion au bud­get par­ti­ci­pa­tif.

Le collectif en tête des votes du budget participatif mais non retenu

Le Col­lec­tif du lac s’est en effet por­té can­di­dat au dis­po­si­tif de la Ville de Gre­noble en dépo­sant leur propre pro­jet pour le lac de la Vil­le­neuve, pré­sen­té lors du forum des idées, le 15 février, à l’hô­tel de ville. Une franche réus­site. Cette pro­po­si­tion alter­na­tive a non seule­ment été rete­nue par­mi les trente pro­jets en tout genre sélec­tion­nés ce jour-là (sur une soixan­taine au total), mais elle est même arri­vée en tête des suf­frages. Le tout avec des votants aux pro­fils très divers, notam­ment « beau­coup d’an­ciens habi­tants du quar­tier », se féli­cite le col­lec­tif, devan­çant les cri­tiques habi­tuelles for­mu­lées par la majo­ri­té.

Pro­blème : avant le vote final du bud­get par­ti­ci­pa­tif, pré­vu à l’é­té 2025, il res­tait une étape inter­mé­diaire, à savoir l’é­tude de la fai­sa­bi­li­té juri­dique, admi­nis­tra­tive et finan­cière. C’est sur cette base, offi­ciel­le­ment, que les ser­vices muni­ci­paux ont évin­cé le col­lec­tif, à l’is­sue d’une réunion tenue début mars. « La Ville nous a dit qu’il y avait déjà un pro­jet lan­cé, avec de l’argent public inves­ti dans les bureaux d’é­tudes, donc le nôtre s’ar­rê­tait là », raconte Étienne Fla­vi­gny. « Deuxième point, il n’é­tait pas ques­tion de reve­nir sur la bai­gna­bi­li­té, la pro­fon­deur du lac et les bar­rières, mais seule­ment sur des amé­na­ge­ments secon­daires. »

Les membres du Col­lec­tif du lac réunis au local de l’u­nion de quar­tier Bala­dins-Géants, le 19 mars. © Manuel Pavard

Aucune sur­prise tou­te­fois, pour le col­lec­tif, qui avoue avoir anti­ci­pé ce rejet et s’at­ten­daient aux argu­ments de la mai­rie. « On vou­lait mon­trer que notre pro­jet était por­té par une assise popu­laire large », explique Paul Haze­broucq. Mais éga­le­ment pour mettre Éric Piolle face à ses contra­dic­tions, pour­suit-il, rap­pe­lant que le maire a notam­ment été « élu sur la thé­ma­tique de la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive ». D’où cette attaque fron­tale envers l’é­dile : « Vous êtes donc d’accord avec la par­ti­ci­pa­tion des citoyens mais pas quand elle va à l’encontre des pro­jets des élus de la majo­ri­té… »

Avis favorable du commissaire enquêteur, assorti de deux réserves

Quid de la suite main­te­nant ? Le timing de la lettre ouverte ne doit rien au hasard. Ce lun­di 24 mars en effet, le conseil muni­ci­pal débat­tra du dos­sier, lors d’une déli­bé­ra­tion por­tant sur « l’intérêt géné­ral du pro­jet de renou­vel­le­ment des espaces publics de l’Arlequin et du parc Jean-Verl­hac » — por­té conjoin­te­ment par la Métro­pole et la Ville de Gre­noble avec le sou­tien de l’Anru. Et ce, dix jours après la remise des conclu­sions défi­ni­tives de l’en­quête publique sur le réamé­na­ge­ment du parc, dont le lac bai­gnable sera un élé­ment cen­tral.

Le com­mis­saire enquê­teur a ain­si émis, ven­dre­di 14 mars, un avis favo­rable « assor­ti de deux réserves s’agissant de la pos­sible ‘réver­si­bi­li­té’ du lac bai­gnable et de la prise en compte de l’avis de l’autorité envi­ron­ne­men­tale », pré­cise la mai­rie dans un com­mu­ni­qué. Là encore, pas de sur­prise pour le Col­lec­tif du lac. « Dès le départ, on avait conscience qu’il y aurait un avis favo­rable car celui-ci concerne l’en­semble du parc Jean-Verl­hac », indique Paul Haze­broucq.

L’en­quête publique por­tait sur le pro­jet de réamé­na­ge­ment de l’en­semble du parc Jean-Verl­hac (image de syn­thèse de la crique cen­trale). © Ville de Gre­noble

De fait, les habi­tants de la Vil­le­neuve « sou­tiennent l’im­mense majo­ri­té des amé­na­ge­ments », recon­naît-il, poin­tant « un sou­ci spé­ci­fique à pro­pos du lac ». De son côté, la Ville de Gre­noble affirme qu’elle « pren­dra bien évi­dem­ment en compte ces réserves ». Elle a d’ailleurs « déjà modi­fié cer­tains élé­ments tech­niques du pro­jet (pro­fil du lac) », ajoute-t-elle, et « déli­bé­re­ra en ce sens lun­di 24 mars », en conseil muni­ci­pal.

« Si l’ex­pé­rience du nou­veau dis­po­si­tif n’est pas posi­tive, le com­mis­saire enquê­teur demande que le pro­jet pré­voit une réver­si­bi­li­té, pour reve­nir à l’u­sage actuel du lac. Mais qu’est-ce qu’une expé­rience posi­tive ? Il n’y a aucun cri­tère défi­ni. C’est au bon vou­loir de la muni­ci­pa­li­té. »

Nicole Mac­kie­wicz (union de quar­tier Bala­dins-Géants)

Si les réserves de l’en­quête publique sont glo­ba­le­ment bien accueillies par les membres du col­lec­tif, elles sus­citent néan­moins éga­le­ment quelques… réserves de leur part. Nicole Mac­kie­wicz, de l’u­nion de quar­tier Bala­dins-Géants, cite ain­si la recom­man­da­tion du com­mis­saire enquê­teur : « Si l’ex­pé­rience du nou­veau dis­po­si­tif n’est pas posi­tive, il demande que le pro­jet pré­voit une réver­si­bi­li­té, pour reve­nir à l’u­sage actuel du lac. Mais qu’est-ce qu’une expé­rience posi­tive ? Il n’y a aucun cri­tère défi­ni. C’est au bon vou­loir de la muni­ci­pa­li­té. »

Étienne Fla­vi­gny s’in­ter­roge lui aus­si sur de telles réserves : « Si ça ne marche pas, on fait un essai à 4 ou 5 mil­lions d’eu­ros et on revient en arrière ? Ce serait un peu gas­piller l’argent public. » Pour­quoi le pro­jet de lac bai­gnable « ne mar­che­rait pas », demande-t-on au col­lec­tif ? Par exemple, pour « la qua­li­té de l’eau », répond Gilles Kuntz, pré­sident de l’u­nion de quar­tier Vil­le­neuve 1. « La nappe d’eau sous Gre­noble est pré­sen­tée comme la plus pol­luée de France, selon une étude récente. Depuis, il y a eu un pro­jet de dépol­lu­tion. Mais ça signi­fie qu’à tout moment, ça pour­rait s’ar­rê­ter si les ana­lyses font état d’une qua­li­té non conforme. »

« Vivre au pays de Oui-Oui »

Le col­lec­tif se dit scep­tique face au plan B évo­qué par la Ville, avec « de l’eau potable », et à ses revi­re­ments concer­nant la pro­fon­deur du lac. Mêmes réti­cences sur la ques­tion des bar­rières. S’ap­puyant sur les exemples dans le quar­tier, Paul Haze­broucq sou­ligne le « risque de casse et d’in­cen­die ». Pour lui, « pen­ser qu’il n’y aura jamais de fran­chis­se­ment des bar­rières, jamais de dégra­da­tions, c’est vivre au pays de Oui-Oui » ! Une vision qu’il oppose à celle des habi­tants, les­quels seraient « lucides, réa­listes » et par­ti­sans d’une « ges­tion ration­nelle ».

Image de syn­thèse du futur lac bai­gnable vu de la butte, selon la muni­ci­pa­li­té. © Ville de Gre­noble

Le Col­lec­tif du lac met éga­le­ment en cause l’in­ves­tis­se­ment finan­cier, avec un mon­tant glo­bal qui pour­rait avoi­si­ner les 5 mil­lions d’eu­ros pour l’en­semble de l’o­pé­ra­tion. Et un coût de fonc­tion­ne­ment annuel pas­sé de 450 000 à envi­ron 665 000 euros désor­mais. « Une jolie baga­telle, pour des élus qui prêchent la sobrié­té », raillent les auteurs de la lettre ouverte.

Quant à la fré­quen­ta­tion pré­vue par la muni­ci­pa­li­té, soit 450 usa­gers par jour en moyenne, pen­dant sept jours, celle-ci paraît tota­le­ment irréa­liste aux yeux des oppo­sants au pro­jet. « Ce chiffre de 450 vient uni­que­ment du volume du lac », s’é­tonne Nicole Mac­kie­wicz. Une sur­éva­lua­tion qui per­met de réduire arti­fi­ciel­le­ment le coût par usa­ger…

« Dialogue » ou « rouleau compresseur » ?

Accu­sée par ses détrac­teurs de « ne pas tenir compte des avis des habi­tants », la Ville se défend. Elle « rap­pelle que le pro­jet de lac bai­gnable a déjà for­te­ment évo­lué en lien avec les demandes de cer­tains habi­tant-es ou asso­cia­tions du quar­tier ». Illus­tra­tion : « Ini­tia­le­ment pré­vue pour être supé­rieure à 1 hec­tare, la sur­face de bai­gnade envi­sa­gée a été réduite en 2022 pour res­ter dans le péri­mètre du bas­sin actuel, le sys­tème de clô­tures a été modi­fié pour prendre en compte les nom­breuses demandes de pré­ser­va­tion des vues pay­sa­gères. »

La mai­rie pro­met en outre que « le dia­logue va se pour­suivre ». Et les adjoints Chloé Pan­tel et Gilles Namur d’a­bon­der : « Pour rele­ver le défi d’un espace de frai­cheur gra­tuit acces­sible au cœur du plus grand quar­tier popu­laire de l’agglomération, nous conti­nue­rons à asso­cier étroi­te­ment les habi­tant-es, asso­cia­tions, et acteurs du quar­tier pour que ce pro­jet soit une réus­site col­lec­tive. »

Paul Haze­broucq, pré­sident de l’u­nion de quar­tier Bala­dins-Géants, signe la lettre ouverte. © Manuel Pavard

Des pro­pos qui font rire jaune les mili­tants du col­lec­tif. D’a­près eux, au contraire, « la muni­ci­pa­li­té arrive en fin de man­dat et veut donc rendre irré­ver­sible le pro­jet ». Pour cela, « les élus vont déli­bé­rer au conseil muni­ci­pal, puis en conseil métro­po­li­tain le 4 avril, afin de lan­cer le rou­leau com­pres­seur, puis le chan­tier », craint Paul Haze­broucq. Ambi­tion­nant d’en­rayer ce pro­ces­sus, la lettre ouverte « demande que le pro­jet soit sus­pen­du dans son état actuel », explique-t-il.

« On interpelle officiellement la Métropole »

Bien sûr, il n’est « pas ques­tion de tra­vailler sans la Ville », admet le pré­sident de l’u­nion de quar­tier. Pour autant, les der­niers épi­sodes ont for­te­ment abî­mé la confiance mutuelle. Il fal­lait dès lors ima­gi­ner une alter­na­tive. « Une fois la sus­pen­sion du pro­jet déci­dée, le Col­lec­tif du lac pro­pose qu’un groupe ani­mé par une per­sonne neutre, dési­gnée par une ins­ti­tu­tion neutre (donc hors Ville et col­lec­tif) et com­pé­tente, tra­vaille à recons­truire ensemble un pro­jet de res­tau­ra­tion et de reva­lo­ri­sa­tion du lac », écrit-il dans la lettre ouverte. « Ce groupe devra être com­po­sé d’élus, de tech­ni­ciens et d’habitants. »

Quelle serait cette ins­ti­tu­tion neutre ? Le Col­lec­tif du lac songe à un troi­sième acteur, jusque-là peu disert sur le sujet, et « inter­pelle offi­ciel­le­ment la Métro­pole, au titre de sa fonc­tion de maître d’ou­vrage et de sa com­pé­tence sur la poli­tique de la ville », annonce Paul Haze­broucq, qui tend éga­le­ment la perche à l’en­semble des élus concer­nés, muni­ci­paux comme métro­po­li­tains.

« Qu’on ne vienne pas nous donner des leçons de mixité »

Les membres du col­lec­tif tiennent enfin à men­tion­ner un sujet qui leur tient à cœur et qui les a una­ni­me­ment cho­qués. Il s’a­git d’une phrase du com­mis­saire enquê­teur décri­vant ces oppo­sants au pro­jet comme « une popu­la­tion rela­ti­ve­ment âgée, qui ne repré­sente pas la diver­si­té cultu­relle et eth­nique du quar­tier ». Cette cita­tion mal­heu­reuse, sem­blable à cer­taines remarques récur­rentes de l’é­quipe muni­ci­pale, les a « tous mis très en colère », s’in­dignent de concert Anne-Fran­çoise Roma­net, mili­tante de l’as­so­cia­tion Vil­le­neuve debout, et Solange Sel­na, habi­tante de la place des Saules.

Les membres du col­lec­tif ont été très cho­qués d’être cari­ca­tu­rés par le com­mis­saire enquê­teur comme une popu­la­tion non repré­sen­ta­tive du quar­tier. © Manuel Pavard

Toutes deux mettent en avant leur tra­vail dans le quar­tier, notam­ment dans les centres de loi­sirs, la « diver­si­té impor­tante » dans leurs bâti­ments res­pec­tifs et au sein de leur propre foyer, avec « beau­coup de familles mixtes » par­mi les per­sonnes pré­sentes autour de la table… Sans oublier les péti­tions signées ou les mul­tiples dis­cus­sions enga­gées avec des habi­tants de tous âges et toutes ori­gines. « À la Vil­le­neuve, on ren­contre les gens par­tout, à la mai­son médi­cale, sur le mar­ché, etc », assène Solange Sel­na. « Qu’on ne vienne pas nous don­ner des leçons de mixi­té ! »

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