MC2 — Grenoble – Le Rendez-vous. Transgressif, féministe et drôle !
Par Régine Hausermann
/

Les projecteurs éclairent un immense rideau violet qui tombe des cintres et se prolonge en large monticule avec lequel la comédienne, en justaucorps rouge, va jouer. D’abord allongée, jambes écartées agitées mais le torse caché par le rideau, elle commence à parler au docteur Seligman qui l’ausculte, sa voix amplifiée par un micro quasi invisible. Puis le corps rampe jusqu’à l’amoncellement du rideau au sol, se dévoile en garçon-fille, qui porte le texte.
Elle en a gros sur le cœur et ne va plus s’arrêter pendant quarante minutes, parlant vite, parlant cru tant elle est révoltée par deux questions qui la taraudent : le statut inférieur des filles et des femmes dans la société dominée par les mâles et le comportement trouble des descendants des nazis antisémites qui n’assument pas vraiment leur culpabilité.
Sa parole jaillit, sans filtre. Fantasmes sexuels avec Hitler qui l’effraient. Évocation de Freud, de ses séances chez son psychanalyste, un certain Jason. Comment être psychanalyste et s’appeler Jason ? Ses relations torrides pour un certain K. Son grand-père chef de gare en Silésie, surveillant les trains en route pour Auschwitz. Répétition fréquente du mot « bite », cet appendice espéré par la jeune femme qui rejette son vagin. S’adressant de façon répétitive au docteur Seligman.
Dans un entretien accordé à une revue, l’autrice déclare que « pour un Allemand, c’est énorme de pouvoir discuter si ouvertement avec un Juif, normalement on ne se le permet pas. On a peur d’offenser, ou d’être obligé de parler de soi. » Plus loin, elle précise que vouloir changer de genre, « au fond, c’est sa manière à elle de vouloir cesser d’être allemande, envie partagée par beaucoup de ses compatriotes ».

Camille Cottin est à l’aise dans les différent registres en accord avec les situations, les personnages et les désirs évoqués. Tantôt femme-mec ou femme fatale. Tantôt mère autoritaire ou petite-fille en robe de princesse formatée pour plaire. Bravo l’artiste !

C’est Camille Cottin qui est à l’origine du spectacle. Le premier roman de Katharina Volckmer l’a saisie par sa puissance, sa provocation, son originalité. D’où le désir de l’adapter pour le jouer au théâtre. Il fallait alors trouver un metteur en scène pour créer un vrai spectacle. Ce fut Jonathan Capdevielle, formé à l’école de marionnettes de Charleville-Mézières. Ce dernier appréciait la comédienne « qui ose et défend des causes multiples ». Il fut séduit par la densité et les thèmes du texte qu’elle lui avait transmis. D’accord sur des sujets brûlants à mettre en lumière, sur le rôle de l’art « de résister aux choses », de « créer une réflexion », tous deux se sont mis au travail, « travaillant dans la nuance ».
Pour notre plus grand plaisir. Public conquis !