Eybens. La médiathèque poursuit sa grève pour défendre le service public
Par Manuel Pavard
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La grève reconduite jeudi 13 février
Faute d’avancées et de propositions satisfaisantes de la part de la municipalité, l’équipe de la médiathèque d’Eybens a décidé d’une nouvelle journée de mobilisation, ce jeudi 13 février. Les agent-es cesseront de nouveau le travail et accueilleront les lecteurs sur leur piquet de grève, durant l’après-midi, devant la médiathèque.
« Ce préavis de grève couvre tous les agents de la Ville d’Eybens », précise le syndicat CGT de la Ville, qui appelle à « rejoindre les grévistes à l’Odyssée à partir de 16h, jusqu’à 19h ».
(Mise à jour du 12/02/2025)
Un petit garçon qui se met à pleurer à chaudes larmes en découvrant la porte de la médiathèque fermée. La scène se déroule dans le hall de l’Odyssée, ce mercredi 5 février au matin. « Ça fait même pleurer les enfants », plaisante une agente, en grève comme toute l’équipe de la médiathèque d’Eybens. Derrière la boutade évidente se cache pourtant une parfaite allégorie de l’impact des coupes drastiques réalisées dans les services publics. Soit un effet domino, avec des suppressions de postes qui se répercutent, en bout de chaîne, sur les usagers.

Aux sources du conflit, la décision du gouvernement d’amplifier la désastreuse politique budgétaire entamée depuis 2014, en demandant « 5 milliards d’euros d’économies aux collectivités territoriales », s’émeut le syndicat CGT de la ville d’Eybens. Les estimations varient, le budget de l’État, adopté ce jeudi 6 février, prévoyant officiellement un montant de 2,2 milliards, tandis que l’Association des maires de France évoque, elle, une somme avoisinant les 6 milliards. Quoiqu’il en soit, l’effort exigé est énorme.
Forte réduction des horaires d’ouverture
« À Eybens, la médiathèque n’est pas le premier service à avoir subi les suppressions de postes : les espaces verts en ont déjà perdu cinq, il y a une personne en moins aux finances, une personne en moins aux RH, le contrat de la médiatrice environnementale n’est pas renouvelé », égrène Betty Demange, secrétaire du syndicat. Mais la médiathèque est néanmoins particulièrement touchée et ce, de manière « disproportionnée et injuste ».
« Il y a un départ en retraite non remplacé, une personne (à 80 %) absente depuis longtemps pour des raisons de santé, qui n’a pas été remplacée et qui ne le sera pas, et une mutation où là, le poste est gelé », détaille la représentante CGT. L’équipe se retrouve ainsi amputée de trois postes consécutifs (2,8 équivalents temps plein) dès ce mois-ci, passant de neuf à six agent-es. Avec des conséquences à très court terme, à plusieurs niveaux.

Si rien n’est encore définitif du côté des élus, la situation devrait impliquer en premier lieu de « réduire les horaires d’ouverture, déjà fortement restreints en septembre 2023. Et là, on s’orienterait a priori vers seulement quinze heures d’ouverture hebdomadaires. Ce qui, par rapport aux bibliothèques de l’agglomération de même taille, est vraiment ridicule », déplore une agente. « Pour nous, la mission essentielle d’une bibliothèque, c’est quand même d’être ouverte et d’accueillir le public. »
Concrètement, la CGT évoque « une fermeture pressentie le vendredi » ainsi qu’une « réduction de deux heures d’ouverture le mercredi », qui est pourtant « la plus forte journée d’affluence ». Sans oublier un autre « souci qui va se poser pour l’ouverture le samedi matin où, par obligation réglementaire, il faut au moins trois personnes », précise Betty Demange. « Comme les agents passent de neuf à six, il y aura automatiquement trois personnes : s’il y en a une qui tombe malade le vendredi soir, les usagers trouveront porte close le samedi matin ! »
« L’impression de ne plus pouvoir assumer notre mission de service public »
L’autre crainte majeure de l’équipe, c’est de faire face à « une réduction des activités proposées », indique une agente. Ateliers d’écriture, partenariat avec les écoles et crèches eybinoises pour l’accueil des publics scolaires et petite enfance, contes et comptines, projections, médiation culturelle, accueil d’auteurs… La médiathèque d’Eybens offre un large éventail d’animations, actions culturelles et projets divers qui, pour certains, devront sans doute être annulés — les détails ne sont pas encore connus — malgré le plébiscite du public.
La situation est d’autant plus ubuesque que cela survient « dans un contexte où la médiathèque est très loin d’être en baisse d’activité. L’an dernier, on a passé la barre symbolique des 100 000 prêts annuels », souligne la bibliothécaire. « Toutes nos animations sont pleines, le public est satisfait… On fait du bon boulot ! » À ses côtes, sa collègue abonde, rappelant « qu’une bibliothèque a une mission de service public à laquelle on est tous très attachés. Mais là, on a l’impression de ne plus pouvoir l’assumer », déplore-t-elle.

Les lecteurs croisés ce mercredi dans le hall de l’Odyssée reconnaissent d’ailleurs unanimement la qualité de l’équipement, de l’accueil et des services fournis. Tout comme la légitimité du combat des agent-es. « Je venais chercher des livres ce matin, je viens de l’apprendre », raconte Marie-Hélène, fidèle lectrice et abonnée depuis vingt-cinq ans. « Ça me fait très mal au cœur de voir autant de postes supprimés. Ils sont toujours là, tout le temps avec le sourire, c’est un bonheur de venir. Maintenant, ils vont être surchargés de boulot ! »
Marie-Hélène se dit « totalement solidaire » des grévistes. « Pourtant, je soutiens la municipalité dans plein de domaines mais là, non », assène-t-elle. Pointés du doigt, les élus de la majorité refusent de porter le chapeau et « se positionnent en solidarité avec l’équipe ». Pour eux en effet, « le fait générateur, c’est les mesures gouvernementales qui sont brutales, soudaines et imprévisibles », accuse Jean-François Michon, adjoint aux ressources humaines et aux finances. « C’est vraiment la contrainte gouvernementale qui nous oblige à faire des économies tout de suite, dans une collectivité où il y a beaucoup de services. »
La Ville promet le maintien des activités petite enfance et scolaires
L’élu invoque la forte pression pesant sur la commune d’Eybens qui doit composer « en trois ans, avec 600 000 euros de moins, sur un budget de l’ordre de 25 millions d’euros ». Jean-François Michon tente cependant de rassurer les agent-es : « On ne leur demande pas de faire plus avec moins, mais de faire moins avec moins. » Ce qui suppose donc d’effectuer des choix douloureux, comme le redoute l’équipe de la médiathèque.
« On maintient toutes les activités en direction de la petite enfance et des scolaires », promet Béatrice Garnier, adjointe au développement culturel, qui s’engage à « ne pas déroger à ces axes politiques ». « Ce qui est touché et allégé, ce sont les activités culturelles qui étaient en plus », ajoute-t-elle, saluant, à l’instar de Jean-François Michon, « la qualité du travail des médiathécaires ».

De leur côté, la CGT comme les agents sont pleinement conscients des contraintes budgétaires et de la lourde responsabilité du gouvernement. Mais ces derniers n’épargnent pas totalement la Ville, certains lui reprochant notamment une « décision trop verticale » ainsi qu’un « manque d’anticipation et d’informations ». « Cela fait quand même un moment qu’on est au courant pour ces postes », observe une agente. « En plus, on n’avait pas l’autorisation de communiquer jusque-là donc on ne savait pas comment répondre à certaines questions des lecteurs. »
La CGT interpelle donc directement le maire, les élus et la direction, auxquels elle demande de « revenir sur leur décision et de répartir différemment l’effort budgétaire qu’ils pensent nécessaire en trouvant d’autres solutions ». Des discussions sont toujours en cours entre les différentes parties. Le syndicat a par ailleurs déposé un préavis de grève reconductible, ouvrant la porte, en cas de statu quo, à une potentielle nouvelle journée de mobilisation la semaine prochaine. Affaire à suivre…
(Article publié le 5 février 2025 et mis à jour le 12 février 2025 avec ajout encadré)