Alpes. Des assises de la montagne face au réchauffement climatique

Par Luc Renaud

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Henriette Picchioni et François Simon, co-organisateurs, et Erik Salvatori et Damien Ferrier, syndicats CGT de l’ONF et de l’agriculture.

Le PCF organisait le 4 mai dernier des assises de la montagne avec le concours de chercheurs scientifiques, de syndicalistes, d’élus et de militants des différents massifs dauphinois et savoyards. Avec une conclusion : face aux évolutions climatiques, des adaptations sont nécessaires et une montagne vivante ne se construira pas sans ses habitants.

« Le panier de dépenses d’un skieur est quatre fois supé­rieur à celui d’un tou­riste hors ski. » Le constat émane de Emma­nuel Briant, ancien direc­teur de la sta­tion de Vil­lard-de-Lans. Certes, à l’échelle de tous les mas­sifs de l’hexagone, le chiffre d’affaires tou­ris­tique esti­val approche celui de l’hiver. Mais pas dans les val­lées alpines où le ski est une indus­trie. « L’Oisans compte dix mille habi­tants et 100 000 lits en sta­tions », témoigne Michelle Pel­le­tier, du Secours popu­laire de Bourg‑d’Oisans. Des lits occu­pés l’hiver par des tou­ristes « ren­tables », des lits beau­coup moins occu­pés le reste du temps et par des tou­ristes qui dépensent quatre fois moins.

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Michelle Pel­le­tier, Bourg d’Oi­sans.

Pen­ser l’après ski, mais aus­si gérer les conflits d’usage géné­rés par le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. « L’été der­nier, les agents d’EDF qui gèrent le bar­rage de Serre-Pon­çon ont dû faire face le même jour à deux ras­sem­ble­ments de mécon­tents : les agri­cul­teurs qui tra­vaillent dans la val­lée de la Durance en aval du lac récla­maient l’ouverture des vannes tan­dis que les pro­fes­sion­nels du tou­risme sur le lac exi­geait le main­tien de l’étiage à un niveau com­pa­tible avec leurs gagne-pain », indique Fran­çois Simon, che­ville ouvrière de l’organisation de ces assises de la mon­tagne. Deux exemples, par­mi de nom­breux autres des ques­tions débat­tues le 4 mai à la mai­son du tou­risme de Gre­noble.

Avec une ques­tion trans­ver­sale, celle de l’avenir d’une mon­tagne qui chauffe et qui chauffe plus vite que le reste du ter­ri­toire natio­nal.

Pré­ser­ver la mon­tagne pour ceux qui y résident… et tous les autres

Gilles Rotillon, pro­fes­seur à l’université Paris Ouest Nan­terre et conseiller scien­ti­fique du ser­vice d’observation et de sta­tis­tiques du minis­tère de l’Environnement, décri­vait le pro­ces­sus. « Pour res­ter sous deux degrés de réchauf­fe­ment pla­né­taire, il ne faut pas émettre plus de 900 mil­liards de tonnes de C02 sup­plé­men­taires ; nous en reje­tons aujourd’hui près de 60 mil­liards par an et, en 2022, nos émis­sions étaient supé­rieures de 2,9 % à celles de 2019. Faites le cal­cul, nous aurons atteint notre quo­ta pour une pla­nète vivable dans une quin­zaine d’années, si rien ne se passe d’ici là. »

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Gilles Rotillon, uni­ver­si­té de Paris Ouest Nan­terre, et Laurent Jadeau, co-orga­ni­sa­teur des assises.

Un réchauf­fe­ment dont les consé­quences sont mul­tiples. Au delà du phé­no­mène main­te­nant bien connu de la dis­pa­ri­tion en cours des gla­ciers alpins, sont concer­nées les forêt, l’agriculture, la via­bi­li­té des routes en mon­tagne (la route de Brian­çon est en tra­vaux après le Bourg‑d’Oisans du 13 mai au 5 juillet), le ski, mais aus­si l’alpinisme. « Nombre des courses que j’ai faites sont aujourd’hui impra­ti­cables, témoigne Gilles Rotillon, alpi­niste che­vron­né, et le télé­phé­rique de l’aiguille du Midi, à Cha­mo­nix, vit ses der­nières années avant la ruine com­plète de l’aiguille. »

Autant dire que nous sommes devant un choix vital. Fran­çois Simon cite le gla­cio­logue Ber­nard Fran­cou et la cli­ma­to­logue Marie Antoi­nette Mélières. Dans le livre dont ils sont co-auteurs, Coup de chaud sur les mon­tagnes, ces der­niers écrivent : « On a le choix entre déve­lop­per sans dis­cer­ne­ment un ter­ri­toire sous pré­texte qu’il va être mal­me­né par le chan­ge­ment cli­ma­tique – c’est par exemple la fuite en avant des sta­tions de ski qui veulent s’étendre vers le haut au détri­ment des espaces pro­té­gés – ou culti­ver un patri­moine dont les futures géné­ra­tions, rési­dant en mon­tagne ou pas, auront le plus grand besoin dans un monde deve­nu glo­ba­le­ment hos­tile ». Ce que Fran­çois Simon reprend en ces termes : « soit on choi­sit de per­pé­tuer la pré­sence des hommes sur la tota­li­té du ter­ri­toire, ce qui signi­fie, en zone de mon­tagne, main­te­nir et deve­lop­per un tis­su vivant et pro­duc­tif, soit on opte pour un réseau de grands métro­poles qui concen­tre­rait l’essentiel de l’activité humaine, en lais­sant à l’abandon plus de la moi­tié du pays : le sort réser­vé aux ser­vices publics de proxi­mi­té consti­tue un baro­mètre édi­fiant des choix poli­tiques opé­rés ».

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Marc-Jérôme Has­sid, du Col­lec­tif de l’é­toile fer­ro­viaire de Veynes.

Pour les JO, le train de Genève à Nice ?

De fait, la ten­dance actuelle est plu­tôt à la concentration/désertification. Les dif­fi­cul­tés de la ligne SNCF Gre­noble Gap en attestent. « La pre­mière annonce de fer­me­ture remonte à 1976, rap­pelle Marc-Jérôme Has­sid, du Col­lec­tif de l’étoile fer­ro­viaire de Veynes, ce n’est que grâce à la mobi­li­sa­tion des che­mi­nots, des habi­tants et des élus que cette ligne a pu être main­te­nue en acti­vi­té et que des tra­vaux ont pu être récem­ment obte­nus. » Une ligne qui pour­rait être l’épine dor­sale des jeux olym­piques de 2030, avec des trains Genève Nice qui ont cir­cu­lé jusqu’à la fin des années 80 avant la fer­me­ture à la cir­cu­la­tion d’une ving­taine de kilo­mètres avant Digne. JO éco­los ? Chiche ! Ser­vices publics en déshé­rence avec les fer­me­tures de bureaux de poste, la dévi­ta­li­sa­tion des hôpi­taux, celui de la Mure par exemple, les fer­me­tures de classes et d’écoles mais aus­si plus lar­ge­ment des dif­fi­cul­tés du quo­ti­dien comme la pos­si­bi­li­té de se loger ou l’accès aux soins. « Nous n’avons plus de den­tiste au Bourg‑d’Oisans », relève Michelle Pel­le­tier. « Nous avons du mal à recru­ter à la mai­rie ; les agents ne peuvent se loger et les trans­ports vers l’agglomération sont insuf­fi­sants », constate Sté­phane Fal­co, maire d’Engins. La contra­dic­tion est fron­tale : « Pour main­te­nir la popu­la­tion, il faut qu’elle puisse avoir accès à un mini­mum de ser­vices et c’est la pos­si­bi­li­té de vivre en mon­tagne qui assu­re­ra l’avenir de ces ter­ri­toires et la pos­si­bi­li­té qu’ils demeurent un atout pour la popu­la­tion de tout le pays », note Fran­çois Simon.

La fuite en avant sous la pres­sion du pro­fit

Dès lors, com­ment faire ? Des débats res­sor­tait une double exi­gence : construire avec les habi­tants et ne pas céder à la pres­sion du court terme. Ce que Gilles Rotillon rap­proche plus glo­ba­le­ment de la crise du capi­ta­lisme : « Pour faire face à la baisse des gains de pro­duc­ti­vi­té, la stra­té­gie est de mettre en exploi­ta­tion de nou­veaux gise­ments, là où il reste des acti­vi­tés que l’on pour­ra vendre – la pri­va­ti­sa­tion de l’enseignement, par exemple – et dont les acti­vi­tés de loi­sirs font par­tie : « venez voir la Mer de glace tant qu’elle existe », c’est l’un des der­niers slo­gans publi­ci­taires pour vendre plus cher ».
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Marie-Noëlle Bat­tis­tel, dépu­tée socia­liste de l’I­sère.

Le court terme, c’est la fuite en avant des grands groupes qui gèrent le ski. A force de cam­pagne de com­mu­ni­ca­tion et de sou­tiens finan­ciers de la région Auvergne-Rhône-Alpes, ils mar­tèlent une idée : le ski a de longues et belles années à vivre. En met­tant en avant des résul­tats : la Com­pa­gnie des Alpes et la Sata (l’Alpe‑d’Huez et les 2 Alpes), les deux groupes qui gèrent l’essentiel des grandes sta­tions alpines, sortent d’une belle sai­son : plus 15 % de chiffre d’affaires pour la Sata. En oubliant de dire que ces chiffres résultent de l’absence de neige à plus basse alti­tude et d’un apport mas­sif d’une clien­tèle for­tu­née recru­tée à l’étranger – 50 % des skieurs en jan­vier en Oisans. Ce qui fonc­tion­ne­ra encore quelques années – le temps que la limite pluie neige remonte à 3000 mètres en jan­vier – avec comme corol­laire une spé­cu­la­tion immo­bi­lière qui rend le loge­ment inac­ces­sible aux habi­tants à l’année.

Un fonds pour la remise en état des sites

D’où l’idée énon­cée lors des débats pré­pa­ra­toires à la tenue de ces assises, celle de la créa­tion d’un fonds ali­men­tés par les béné­fi­cies des indus­triels du ski pour finan­cer la décons­truc­tion à venir des remon­tées méca­niques deve­nues inutiles et la remise en état des sites. Idée qui a récem­ment été reprise par la Cour des comptes et dont Marie-Noëlle Bat­tis­tel, dépu­tée socia­liste de l’Isère, se pro­po­sait au cours de débat de se faire la porte-parole à l’Assemblée natio­nale.

Remettre en cause la pres­sion du pro­fit à court terme, c’est éga­le­ment une ques­tion majeure dans la ges­tion de la forêt. Ce dont témoi­gnait abon­de­ment Erik Sal­va­to­ri, tech­ni­cien du triage Oisans Mathey­sine et syn­di­ca­liste CGT à l’Office natio­nal des forêts, en sou­li­gnant que les essais en cours pour adap­ter la forêt à la mon­tée des tem­pé­ra­tures et aux séche­resses ne pou­vaient s’envisager que sur plu­sieurs décen­nies. « Le mor­cel­le­ment de la forêt pri­vée est un obs­tacle à ce niveau et cela demande une évo­lu­tion légis­la­tive », indi­quait-il. Tout comme la dévi­ta­li­sa­tion de l’Office natio­nal des forêts qui perd des agents chaque année au pro­fit de socié­tés fores­tières pri­vées dont les exi­gences de ren­ta­bi­li­té ne se conçoivent pas sur le temps long – sans oublier les condi­tions de tra­vail de leurs sala­riés.

Les droits des sala­riés

Damien Fer­rier, secré­taire de l’union régio­nale CGT de agroa­li­men­taire et de la forêt, évo­quait d’ailleurs les condi­tions de vie et de tra­vail de l’ensemble des sala­riés de l’agriculture et de la forêt. « La durée légale maxi­male du tra­vail est de 48 heures heb­do­ma­daire, avec des déro­ga­tions, notam­ment pour les sai­son­niers agri­coles, les patrons que repré­sente la FNSEA peuvent obte­nir 66 heures, et jusqu’à 72 heures heb­do­ma­daires ; ils vont jusqu’à orga­ni­ser, avec le concours de l’État, des recru­te­ments au Maroc et en Tuni­sie notam­ment, pour pou­voir impo­ser ces horaires et les condi­tions de tra­vail qui vont avec. » Une situa­tion qui concerne moins la mon­tagne, encore que, mais que l’on retrouve dans cer­tains alpages. Horaires non pris en compte dans les rému­né­ra­tions, loge­ment par­fois indigne, équi­pe­ments pro­fes­sion­nels à la charge des ber­gers… Le pas­to­ra­lisme est pour­tant une acti­vi­té essen­tielle à l’entretien de la mon­tagne qui demande aujourd’hui un savoir faire poin­tu, dans le contexte de la raré­fac­tion de l’eau et de la pré­sence du loup, entre autres.

D’où la ques­tion plus géné­rale de la par­ti­ci­pa­tion des habi­tants aux déci­sions qui les concernent. « La muta­tion de la mon­tagne ne se réa­li­se­ra pas sans ser­vices public de proxi­mi­té et sans que les habi­tants soient par­ties pre­nantes d’un pro­jet pour l’avenir », insiste Fran­çois Simon. Ces assises de la mon­tagne ont mis au jour une pro­po­si­tion, celle de la créa­tion de conseils de mas­sifs, asso­ciant élus locaux, acteurs socio-pro­fes­sion­nels et repré­sen­tants de la popu­la­tion. Des conseils qui pour­raient exa­mi­ner les pro­jets de déve­lop­pe­ment et pré­ve­nir les conflits d’usage : un lieu de débat per­ma­nent qui per­met­trait tout à la fois de don­ner un cadre à l’expression des habi­tants et de vita­li­ser ain­si la démo­cra­tie locale aux côtés des assem­blées com­mu­nales et inter­com­mu­nales ; de quoi gui­der la néces­saire inter­ven­tion de la puis­sance publique.

Une note posi­tive ? Emma­nuel Briant veut mal­gré la sai­sir. « La moyenne mon­tagne peut béné­fi­cier de l’es­sor des acti­vi­tés de pleine nature, elle est acces­sible, sou­vent à proxi­mi­té de grandes agglo­mé­ra­tions ; elle peut aus­si se déve­lop­per des acti­vi­tés nou­velles, dans le bien-être et la san­té en béné­fi­ciant de tem­pé­ra­tures moins cani­cu­laires », explique-t-il. L’a­dap­ta­tion, pas les canons à neige, pro­fesse-t-il.

Au final, une très riche jour­née de réflexion qui son­nait comme un point de départ bien plus qu’un abou­tis­se­ment.

Une proposition de loi

Ces assises de la mon­tagne ont été orga­ni­sées par un groupe de tra­vail asso­ciant des mili­tants et des élus com­mu­nistes des mas­sifs dau­phi­nois de l’Isère et des Hautes-Alpes ain­si que de Savoie. Il se réunit depuis sep­tembre 2022, asso­cie à ses réflexions des acteurs du mou­ve­ment syn­di­cal et asso­cia­tif, et croise ses ana­lyses avec les exper­tises scien­ti­fiques et les pro­po­si­tions d’élus poli­tiques de toutes sen­si­bi­li­tés ayant tra­vaillé sur ces dos­siers. L’objectif de ces tra­vaux est de for­mu­ler des pro­po­si­tions d’action immé­diates et à long terme débou­chant sur une pro­po­si­tion de loi conte­nant des mesures concrètes, appli­cables dès main­te­nant, sus­cep­tible d’être sou­mise au vote du Par­le­ment. Huit grands ensemble de pro­po­si­tions sont d’ores et déjà défi­nis. Elles portent sur la créa­tion d’un fonds pour la recon­ver­sion du ski, la recon­duc­tion des contrats de sai­son­niers du tou­risme, l’amélioration de leur pro­tec­tion sociale, le loge­ment, le trans­port en mon­tagne, les droits des sala­riés, l’accès à la mon­tagne pour les éco­liers du pays et l’organisation de séjours en mon­tagne à l’attention de per­sonnes dont l’état de san­té le néces­si­te­rait.

Retrouvez les vidéos des débats

Pre­mière par­tie : Vivre en mon­tagne

Seconde par­tie : Tra­vailler en mon­tagne

Troi­sième par­tie : la mon­tagne pour toutes & tous

Vidéo inté­grale

 

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