MC2 — Grenoble – « Carcass ». Surprenant, intense et politique

Par Régine Hausermann

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© José Caldeira

Jeudi 4 avril 2024 – Le jeune chorégraphe portugais, Marco da Silva Ferreira, invente son écriture et c’est une réussite. Les dix interprètes plein·es de fougue et les deux musiciens live nous étonnent, nous séduisent, nous transportent. Une heure et quart d’un spectacle très intense, d’une grande originalité esthétique et assurément politique.

La salle ne s’éteint pas pour accueillir une pre­mière dan­seuse sur scène, venue de jar­din. Elle évite le grand tapis blanc, épouse le rythme de la bat­te­rie ani­mée par José Mar­ru­cho en contre­bas. Trois autres dan­seuses et six dan­seurs la rejoignent bien­tôt, par l’entrée du public, côté jar­din. Ils montent sur scène et se déplacent au rythme de la bat­te­rie, autour du tapis blanc, bas­kets aux pieds, dans une sorte d’élan ins­tinc­tif.

Une danse sau­vage dans leurs cos­tumes noirs, près du corps, curieu­se­ment décou­pés, aucun sem­blable, lais­sant appa­raître des par­ties dif­fé­rentes de leur ana­to­mie, allant du blanc au noir. Ici un mor­ceau de buste, là de jambe, de bras, d’épaule, de cuisse, de ventre, puzzle en mou­ve­ment.

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© José Cal­dei­ra

Construc­tion d’une iden­ti­té col­lec­tive

Puis les dix dan­seurs et dan­seuses s’enhardissent à ren­trer sur le tapis blanc lumi­neux. Luis Pes­ta­na, côté cour, lance des sons de musique élec­tro­nique. Les jambes se croisent, les bras se tendent ou s’arrondissent, les corps se rap­prochent, se dressent, s’allongent. Scène très éton­nante ou les inter­prètes allon­gés et reliés les uns aux autres – sortes de che­nilles pro­ces­sion­naires – roulent sur eux-mêmes vers le devant de la scène. Le col­lec­tif s’ébauche mais il fau­dra encore du temps avant que le groupe de dix dansent à l’unisson sur dans des registres variés évo­quant aus­si bien le voguing que les danses tra­di­tion­nelles por­tu­gaises.

Carac­té­ris­tiques de l’écriture cho­ré­gra­phique de Mar­co Da sil­va Per­ei­ra : des mains légères et mobiles, des bas­sins ondu­lants et des pieds croi­sés qui font craindre la chute et créent des effets éton­nants. Et aus­si la diver­si­té des mor­pho­lo­gies et des tenues colo­rées, cha­toyantes pas­sées sur les jus­tau­corps noirs. Ils et elles sont grand·es et bara­qués ou minces, petite avec une masse de che­veux fri­sés, grande et les che­veux atta­chés, tatoué·es ou non. L’un des dan­seurs porte une pro­thèse tubu­laire au bras droit qu’on ne remarque pas tout de suite. Dans un solo sur­pre­nant, pro­thèse enle­vée, il joue avec son bras muti­lé. Et tous et toutes nous emportent avec leur folle éner­gie.

Un spec­tacle enga­gé

Avec « Can­ti­ga sem manei­ras » écrit par José Mario Bran­co, chan­té par deux puis tous les inter­prètes à l’u­nis­son, le poing levé, « Car­cass » devient poli­tique. Le tapis blanc a été redres­sé, deve­nant mur de scène, sur lequel s’inscrivent la tra­duc­tion des paroles en fran­çais et en anglais. On y parle de tra­vailleuses et de tra­vailleurs, d’exploitation, de bour­geoi­sie pos­sé­dante. Puis le dan­seur au bras droit tubu­laire ins­crit de sa main gauche, en grosses lettres, le slo­gan « Tous les murs tombent ».

Dans sa note d’intention, Mar­co da Sil­va Fer­rei­ra affirme « qu’il fal­lait rompre avec le pas­sé auto­ri­taire, tota­li­taire et pater­na­liste ».

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© José Cal­dei­ra

Mar­co da Sil­va Fer­rei­ra est né en 1986 à San­ta Maria da Fei­ra, au sud de Por­to. Il a d’abord été diplô­mé en physiothérapie sans en exer­cer le métier. Sa pra­tique cor­po­relle a com­mencé en 1996 à tra­vers la nata­tion de haut niveau. En 2002, il passe à la pra­tique cor­po­relle dans les arts du spec­tacle. Son par­cours auto­di­dacte se construit à tra­vers des styles de danse qui évoluent dans un contexte urbain avec des influences afro-des­cen­dantes.

Entre 2018–2019, il a été artiste asso­cié au Tea­tro Muni­ci­pal do Por­to, puis de 2019 à 2021 au centre cho­ré­gra­phique natio­nal de Caen en Nor­man­die.

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