Une question que je ne poserai plus, après avoir vu à La Vence-Scène de Saint-Egrève, le documentaire d’Anne-Cécile Genre, « Les Incorrectes : Alice Milliat et les débuts du sport au féminin » ! Honteuse de l’avoir ignorée jusqu’ici. En colère contre les préjugés sexistes qui l’ont si longtemps invisibilisée, comme tant d’autres femmes, dans tous les domaines. Déterminée à contribuer à la faire connaître…

Vendredi 22 mars à 20h, La Vence-Scène proposait une séance de cinéma gratuite pour faire connaître Alice Milliat dont un skate-park municipal porte le nom depuis septembre 2023. La grande salle n’était pas pleine : dommage ! Les jeunes des clubs locaux – garçons et filles – auraient été édifié·es sur l’égalité hommes-femmes !

Une pionnière

Une femme s’est dressée contre le Comité national olympique dans les années 1920 pour demander la participation des femmes aux Jeux olympiques, Alice Milliat. Pour elle, « le sport féminin a sa place dans la vie sociale au même titre que le sport masculin. Il devrait même passer au premier plan des préoccupations du gouvernement ; je n’exagère pas ». Déclaration de 1917.

La réponse de Pierre de Coubertin – unaniment salué pour avoir ressuscité les JO en 1896… mais pour les hommes uniquement – est éloquente : « Le rôle de la femme reste ce qu’il a toujours été : elle est avant tout la compagne de l’homme, la future mère de famille, et doit être élevée en vue de cet avenir immuable […]. Les Jeux Olympiques doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs… » Une opinion largement partagée dans les fédérations sportives de l’époque et par tout un chacun… et même chacune ! 

Le premier Comité international olympique, en 1896.

Mais d’où sort-elle ? Née Alice Million à Nantes, de parents épiciers, elle se marie à 20 ans – banal pour l’époque – à Londres – moins banal pour une fille d’origine modeste – avec Joseph Milliat, un jeune Nantais employé de commerce, qui meurt quatre ans plus tard. La voilà veuve, sans enfant, et libre.
On la retrouve à Paris, pratiquant l’aviron au Fémina Sport du 14ème arrondissement – club créé en 1912, toujours en activité – et même présidente du club en 1915. Elle est la première femme à remporter le brevet Audax rameur 80 km pour avoir réalisé cette distance dans une embarcation légère et dans le temps imposé.

Alice Milliat pratiquant l’aviron au Fémina club.

Pendant la première guerre mondiale, les femmes sont sorties du foyer pour remplacer les hommes partis sur le front. Dans ce contexte émancipateur, les responsables des clubs de sport féminins créent la Fédération des sociétés féminines sportives de France (FSFSF). Alice Milliat en est tout d’abord trésorière puis secrétaire générale en juin 1918 avant d’accéder à la présidence le 10 mars 1919. Le documentaire propose des images de compétition sportive montrant des femmes en action. On est frappé par la technicité de leurs gestes sportifs et leur joie de vivre.

Une femme et une militante déterminée

Alice Milliat en 1920 (36 ans).

Refus du CIO ! Qu’à cela ne tienne ! La FSFSF diversifie les sports et organise les premiers championnats de France féminins de football, de basket-ball, de cross, de natation ou de hockey.

1920 – Création de la première équipe de France de football féminin

Mars 1921 – Alice Milliat organise le premier meeting d’éducation physique féminin international à Monte-Carlo entre cinq pays : France, Grande-Bretagne, Italie, Norvège et Suède. Un succès qui l’amène à créer, le 21 mars, la Fédération sportive féminine internationale (FSFI), dont elle est élue présidente. Son domicile parisien rue de Varenne devient le siège social de la Fédération.

1926 – La Suède accueille la seconde édition de ces Jeux olympiques féminins.

Août 1922 – La FSFI participe à l’organisation à Paris de Jeux mondiaux féminins, deux ans avant les Jeux olympiques officiels. Là encore, le succès ! 20 000 personnes sont venues au stade Pershing pour assister à ces jeux où se rencontrent des athlètes de cinq pays – dont les Etats-Unis – dans onze compétitions sportives. L’IAAF (Association internationale des fédérations d’athlétisme) doit céder et décide de mettre en place une commission qui va conduire à l’existence de compétitions athlétiques féminines aux niveaux national et olympique en collaboration avec la FSFI. C’est ainsi que les épreuves considérées par Pierre de Coubertin comme « inintéressantes, inesthétiques et incorrectes » vont obtenir droit de cité.

1928 – Aux JO d’Amsterdam, l’athlétisme apparaît comme discipline olympique. Cinq épreuves féminines sont disputées pour la première fois lors d’un événement olympique. Et Alice Milliat devient la première femme juge lors des épreuves d’athlétisme des hommes.

Jury des épreuves d’athlétisme aux JO d’Amsterdam. Cherchez l’erreur !

1930 à 1936 – Championnats du monde féminins dus à sa ténacité. Mais en 1936, un vent réactionnaire et fasciste souffle sur l’Europe, IAAF et FSFI sonne la fin de la récréation. Le gouvernement interrompt ses subventions. Retour des femmes à la maison. Alice Milliat s’épuise à trouver de nouvelles sources de financement. La Fédération sportive féminine internationale (FSFI) disparaît de la scène internationale.

En 1935, malade et moquée pour son projet de lancement d’une loterie destinée à l’acquisition d’un terrain d’entraînement, elle se retire définitivement de la scène sportive. La société patriarcale a eu raison d’elle. Les femmes auront le droit de pratiquer des sports féminins comme la gymnastique qui sied à leur beauté et n’entrave pas leur devoir de procréation.

Jusqu’à sa mort en 1957, elle accepte des travaux de secrétaire bilingue ou de traductrice pour subvenir à ses besoins.

Cent ans plus tard, Alice Milliat sort de l’ombre

– Récemment, plusieurs villes, dont sa cité natale de Nantes, ont donné son nom à des installations sportives.
– Mars 2021 – Sa statue a été inaugurée face à celle de Pierre Coubertin à la Maison du sport français qui abrite le siège du Comité national olympique. 
– 2015 – Création d’une Fondation Alice Milliat visant à promouvoir la pratique du sport féminin, mais aussi à faire mieux connaître la grande oubliée du sport français. Pour Aurélie Bresson, présidente de la Fondation, « elle a vraiment été invisibilisée. C’est une sportive qui s’est battue et qui a été un porte-voix pour les femmes […] ; elle avait une vision progressiste, humaniste, mais trop en avance sur son temps ».
– 2022 – La future Arena de la Porte de La Chapelle à Paris – 8 000 places devant accueillir des épreuves olympiques et paralympiques lors des Jeux 2024 – a failli porter son nom… mais Adidas a finalement été préféré. Devinez pourquoi ! Lot de consolation, l’esplanade devant l’Arena s’appellera Esplanade Alice Milliat.
– 2022 – Sortie du documentaire « Les Incorrectes ». Dans le cadre de son programme « Génération 2024 », Paris 2024 met le film à disposition de tous les établissements scolaires et de l’enseignement supérieur. Le site présente ce documentaire comme « une opportunité idéale pour susciter la réflexion des jeunes générations sur les valeurs olympiques et paralympiques et les sujets d’inclusion, de respect et d’égalité homme-femme à travers l’étude d’un projet artistique et culturel ».

Athlètes aux Jeux olympiques féminins de 1922.

Quelques dates instructives

En 1900, lors de la première participation des femmes aux olympiades, seules deux disciplines étaient strictement féminines, le golf et le tennis.
Jusque dans les années 80, la part des femmes participant aux Jeux olympiques ne dépassait pas 15%.

Depuis 1991, tout sport qui souhaite être inclus au programme des JO doit obligatoirement comporter des épreuves féminines.

Depuis 2007, la charte olympique rend obligatoire leur présence dans tout sport ; un engagement renforcé en 2015.
En 2012, lors des jeux de Londres, avec l’introduction de la boxe féminine, la participation des femmes a été réalisée dans toutes les disciplines. La boxe masculine est présente aux Jeux depuis 1904. Il a fallu plus d’un siècle pour vaincre les stéréotypes de genre !

2024 – La parité, enfin ! Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris auront une participation des femmes à 50%, pour la première fois dans l’histoire des Jeux.

Lundi 26 mars 2024 – Au journal de 13h, j’entendais une journaliste plaider pour deux porte-drapeaux féminines françaises ! Il n’y en a eu que quatre jusqu’ici.

Beaucoup de progrès certes depuis un siècle mais encore beaucoup de problèmes de parité – dans les instances du sport, dans la médiatisation des sports féminins – et de violences sexistes et sexuelles. Continuons le combat !

Retrouvez les dernières parutions de notre rubrique « Culture »

Pin It on Pinterest