Vous avez dit année bissextile ?

Par Jean-Claude Lamarche

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Le Pape Grégoire XIII.

Entre Lune et Soleil, ellipse et calendrier julien, lancements spatiaux et heures ajoutées… de la difficulté à compter les jours de l’année.

Vous avez cer­tai­ne­ment remar­qué que l’an­ni­ver­saire de la Révo­lu­tion d’oc­tobre est célé­bré en novembre en Rus­sie. Mais vous igno­rez peut-être qu’en France, en 1 582, le len­de­main du 9 décembre fut le 20 ! C’est ain­si que se tra­dui­sit chez nous l’ins­tau­ra­tion du calen­drier gré­go­rien, par la sup­pres­sion de dix jours du mois de décembre 1 582, ce qui n’al­la pas sans pro­vo­quer des troubles et des mani­fes­ta­tions de pro­tes­ta­tion contre cette ins­ti­tu­tion, laquelle ne devint une réa­li­té pour tous qu’au bout de nom­breux mois et même de nom­breuses années. En effet, au cours des siècles, tous ceux qui ont ten­té d’é­ta­blir un nou­veau calen­drier ont ren­con­tré de grandes dif­fi­cul­tés. Ces dif­fi­cul­tés pro­viennent, pour l’es­sen­tiel, du peu de rap­port exis­tant entre les trois uni­tés, jour, mois et année, que l’on désire com­bi­ner. Le jour dont il s’agit ici est le jour civil ou jour solaire moyen, durée moyenne d’une révo­lu­tion de la terre sur elle-même, mesu­rée de midi à midi, c’est-à-dire entre deux pas­sages consé­cu­tifs du soleil à sa plus grande hau­teur. Dans cer­taines civi­li­sa­tions, la lune ser­vait aus­si à comp­ter le temps et c’est ain­si que le calen­drier reli­gieux musul­man, par exemple, est lunaire. Le mois était alors la durée qui sépare deux nou­velles lunes consé­cu­tives. Sa valeur moyenne est d’environ 29,530 588 jours. L’année désigne l’année tro­pique, que l’on devrait nom­mer année équi­noxiale : c’est la durée moyenne d’une révo­lu­tion de la terre autour du soleil ; elle com­mence quand le centre du soleil fran­chit l’équinoxe de prin­temps et dure jusqu’à l’équinoxe sui­vant. On connait aujourd’hui cette durée avec une grande pré­ci­sion, c’est envi­ron 365,242 20 jours. On peut dire que c’est dans les déci­males de ce nombre que réside la dif­fi­cul­té prin­ci­pale des calen­driers annuels. Les Egyp­tiens de l’Antiquité furent les pre­miers à uti­li­ser un calen­drier solaire. Leur année se com­po­sait de 12 mois de 30 jours et de 5 jours sup­plé­men­taires à la fin, soit 365 jours. Au cours des siècles, les sai­sons se pro­me­nèrent à tra­vers ce calen­drier dans lequel les années étaient trop courtes de 0,242 20… jours. Il semble que les Egyp­tiens s’en accom­mo­dèrent. C’est Jules César qui intro­dui­sit une réforme fon­da­men­tale à par­tir du 1er jan­vier de l’an 45 avant notre ère. Ayant fait venir un astro­nome grec, Sosi­gène, d’ailleurs éta­bli à Alexan­drie, pour remé­dier aux fan­tai­sies du calen­drier, il en ins­taure un nou­veau, appe­lé pour cela calen­drier julien : les années ont 365 jours, mais tous les quatre ans, l’année est bis­sex­tile (366 jours) par l’adjonction d’un 29 février, der­nier jour et der­nier mois de l’année chez les Romains. Ce calen­drier, essen­tiel­le­ment solaire, repose sur l’hypothèse d’une année de 365,25 jours. En un siècle de cent années juliennes, l’excès atteint 0,78 jours envi­ron. Les siècles se suc­cé­dant, le calen­drier julien, de plus en plus, faus­sait com­pa­gnie aux ren­dez-vous annuels du soleil. Le concile de Nicée, réuni en l’an 325, avait fixé la date de Pâques à la pre­mière pleine lune du prin­temps qui débu­tait le 21 mars, jour de l’équinoxe de prin­temps en 325. Quelques siècles plus tard, l’équinoxe s’écartant peu à peu du 21 mars, l’église s’inquiéta du glis­se­ment de la fête de Pâques vers l’été. La ques­tion fut sou­le­vée dès le hui­tième siècle et débat­tue lon­gue­ment : ce n’est qu’en 1 582 qu’elle reçut une réponse. Cette année-là, le Pape Gré­goire XIII déci­da une réforme du calen­drier julien.
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Il s’agissait de remettre l’année civile en accord avec l’année solaire telle qu’elle se trou­vait au temps du concile de Nicée : en 1 582, l’équinoxe de prin­temps tom­ba le 11 mars, en avance de 10 jours sur la date du 21, date « offi­cielle » du prin­temps. Pour rame­ner l’équinoxe au 21 mars, le Pape déci­da de sup­pri­mer 10 jours du calen­drier de cette année 1 582. Pour l’église romaine, len­de­main du jeu­di 4 octobre fut le ven­dre­di 15. En France, le len­de­main du 9 décembre fut le 20. Le Pape Gré­goire XIII déci­da éga­le­ment de sup­pri­mer 3 jours en 400 ans, en enle­vant 3 années bis­sex­tiles en 400 ans. Depuis, les années bis­sex­tiles sont celles dont le mil­lé­sime est • soit divi­sible par 4 mais pas par 100 • soit divi­sible par 400. Ain­si, l’année 1 900 n’était pas bis­sex­tile, mais l’année 2 000 l’a été. Le calen­drier ain­si obte­nu est appe­lé calen­drier gré­go­rien ou encire calen­drier julien nou­veau style (après 1 582) par oppo­si­tion au calen­drier julien ancien style (avant 1 582). C’est notre calen­drier actuel. Il est aujourd’hui qua­si­ment uni­ver­sel et ce fait est remar­quable car il est rare qu’une réforme emporte un aus­si grand suc­cès en aus­si peu de temps (1 582–1 920, moins de 350 ans). Ouvrez un jour­nal chi­nois, japo­nais, russe ou arabe, vous sau­rez au moins lire la date ! Et main­te­nant, savez-vous pour­quoi l’anniversaire de la Révo­lu­tion d’octobre est fêté en novembre ?

Inexac­ti­tude du calen­drier gré­go­rien

La cor­rec­tion du calen­drier julien faite par Gré­goire XIII se monte à envi­ron 0,75 jour par siècle, l’année gré­go­rienne et l’année tro­pique comp­tant res­pec­ti­ve­ment envi­ron 365,242 5 et 365,242 2 jours. L’année gré­go­rienne est encore trop longue d’environ 0,000 3 jours, en moyenne. En 10 000 ans, notre calen­drier com­por­te­ra 3 jours de trop : l’équinoxe tom­be­ra le 18 mars. Il fau­drait cor­ri­ger d’un jour dans 3 000 ans envi­ron. Nous avons encore le temps d’y pen­ser ! Mais, à ce degré de pré­ci­sion, d’autres fac­teurs entrent enjeu : dimi­nu­tion de la lon­gueur de l’année tro­pique, allon­ge­ment du jour pro­duit par le ralen­tis­se­ment de la rota­tion de la terre… Il serait vain de pré­voir aujourd’hui des modi­fi­ca­tions du calen­drier à trop loin­taine échéance. Pour­quoi bis­sex­til, ile Deux fois sixième parce que le jour sup­plé­men­taire ajou­té tous les quatre ans dans le calen­drier julien, après le 24 février, dou­blait le sixième jour avant les calendes (1er jour du mois dans le calen­drier romain) de mars : jour bis­sex­til. Rien à voir donc avec les deux 6 des 366 jours de l’année bis­sex­tile. Une remarque très impor­tante Beau­coup des nombres qui appa­raissent dans cet article consti­tuent des approxi­ma­tions, plus ou moins pré­cises, de mesures de phé­no­mènes phy­siques, dont il n’est pas pos­sible de connaître les mesures exactes. Une grande par­tie du pro­grès dans la connais­sance scien­ti­fique réside dans la recherche d’une pré­ci­sion de plus en plus grande, dans la réduc­tion de l’écart entre les mesures obte­nues et la mesure exacte qui est et res­te­ra incon­nue. Il est impor­tant de gar­der cela en mémoire car beau­coup de médias « grand public » ont ten­dance à pré­sen­ter les connais­sances scien­ti­fiques comme des véri­tés abso­lues, ce qui n’est pas la réa­li­té. Il est vrai qu’un sou­ci de sim­pli­fi­ca­tion nous conduit sou­vent vers l’effacement, dans le dis­cours, de la com­plexi­té. Par exemple, si nous disons que la terre décrit une ellipse autour du soleil, c’est en « oubliant » que c’est plu­tôt le centre de gra­vi­té du couple terre-lune qui décrit cette tra­jec­toire, et cette affir­ma­tion n’est encore qu’une approxi­ma­tion car beau­coup d’autres fac­teurs inter­viennent dans l’explication de l’orbite ter­restre. Et ces fac­teurs doivent être pris en compte aujourd’hui, dans la science spa­tiale en par­ti­cu­lier. Ce qui ne signi­fie pas que l’on doive mettre en doute les résul­tats de la science, mais au contraire les confir­mer dans la limite de la pré­ci­sion per­mise par les outils de recherche uti­li­sés.

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