MC2-Grenoble – Othello. Shakespeare relu par Jean-François Sivadier, cruellement comique !

Par Régine Hausermann

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Scène de réjouissance tout en couleurs chaudes. © Jean-Louis Fernandez

Jeudi 27 avril – Reprise des spectacles après les vacances de printemps. « Othello » faisait partie des spectacles à ne pas manquer !Comment le général victorieux au service de la Sérénissime se mue en victime du doute et de la jalousie. Grandeur et misère de la nature humaine en proie aux passions. Le duo Othello-Iago porté par Adama Diop et Nicolas Bouchaud est d’une grande intensité dans une version actualisée. Othello, le drame du féminicide.

Du pro­pos sur la guerre à celui sur la jalou­sie et le fémi­ni­cide

Les Turcs veulent conqué­rir l’île de Chypre occu­pée par Venise. Othel­lo, le Maure, géné­ral de l’armée véni­tienne, choi­sit Cas­sio pour lieu­te­nant. Othel­lo se joue des tem­pêtes et très vite la vic­toire est com­plète. Venise ren­force son hégé­mo­nie sur l’île. Fin de l’histoire ? Son début…

Car le choix d’Othello a sus­ci­té la colère d’Iago qui s’estime plus légi­time que Cas­sio. Toute son éner­gie et sa ruse sont alors mises au ser­vice de son désir de ven­geance. Son pro­jet est d’instiller la jalou­sie dans l’esprit du géné­ral jeune marié fou d’amour, de lui faire croire à l’infidélité de Des­dé­mone avec Cas­sio.

Jusqu’au drame final : Othel­lo fou de rage et de jalou­sie ôte la vie à « l’objet » de son amour, la femme qu’il croit infi­dèle. Lorsque la véri­té éclate, le héros-mari-tout puis­sant- est à terre. Une femme est morte sous les coups de son mari.

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Né à Dakar, Ada­ma Diop – Othel­lo — a sui­vi la for­ma­tion de l’école du Théâtre natio­nal de Stras­bourg. © Jean-Louis Fer­nan­dez

Un décor sobre mais cha­toyant pour une relec­ture moderne

De grands cadres de bois blanc. Des ten­tures d’un maté­riau scin­tillant. Tan­tôt éclai­rés des lumières chaudes de la vic­toire et de l’amour. Tan­tôt du bleu de la nuit et du mal­heur. Les pro­ta­go­nistes sont habillés de tenues « sport » en camaïeu de beige. Avec une touche de kaki rap­pe­lant le pro­pos guer­rier ini­tial. Des cos­tumes modernes « chics » pour barou­deurs de tout temps !

Jean-Fran­çois Siva­dier s’autorise aus­si des liber­tés dans la tra­duc­tion du texte, auquel il ne craint pas d’ajouter quelques répliques ana­chro­niques. Dès le début de la pièce alors que l’ambiance est à la joie, Iago se livre à une réflexion d’une miso­gy­nie crasse, digne du café du Com­merce, sur les femmes au volant !
Dans le der­nier acte, Émi­lia, l’épouse d’Iago, prend conscience de son ins­tru­men­ta­li­sa­tion par son mari et de sa res­pon­sa­bi­li­té dans l’assassinat de Des­dé­mone à qui elle a volé le mou­choir bro­dé, « preuve » de son adul­tère. Elle lève le poing en signe l’émancipation. Trop tard, le patriar­cat a gagné, régnant sur un champ de ruines.

Scène d’amour en wolof ! Au moment du bon­heur, Des­dé­mone — la femme blanche — se délecte de répé­ter après son amou­reux — l’homme à la peau noire, venu d’ailleurs – des mots en wolof, la langue mater­nelle d’Adama Diop. Mbëg­geel c’est l’amour, taar la beau­té, souf la terre, et asa­maan le ciel.
Sur­prise du public lorsqu’il est inter­pel­lé par Ada­ma Diop : « Avez-vous déjà quit­té votre pays ? »

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Othel­lo esquisse-t-il une caresse ou un geste d’étranglement ? Des­dé­mone semble per­due. © Jean-Louis Fer­nan­dez

Nico­las Bou­chaud en Joker sha­kes­pea­rien

Ils ne sont que sept mais ils et elles occupent le pla­teau avec inten­si­té et les nuances liées aux dif­fé­rents registres de l’intrigue : sen­ti­men­tal, poli­tique, ridi­cule, tra­gique. La pièce dure trois heures, qu’on ne voit pas pas­ser.

Men­tion spé­ciale pour Nico­las Bou­chaud, le com­plice de Jean-Fran­çois Siva­dier depuis leurs débuts à la fin des années 90. On adore le voir jouer, dans La Vie de Gali­lée comme dans La Dame de chez Maxim ou Les Démons. Ici endosse la folie ven­ge­resse d’Iago, pos­sé­dé par une volon­té de puis­sance malé­fique, au point qu’à un cer­tain moment, le met­teur en scène lui fait por­ter le masque du Joker, héros du film de Todd Phil­lips (2019). Son per­son­nage de « méchant », tan­tôt dou­ce­reux, tan­tôt féroce, tou­jours fourbe et mani­pu­la­teur, effraie mais convainc.

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Le fourbe Iago et son épouse Amé­lia, la comé­dienne Jis­ca Kal­van­da, décou­verte en 2016 dans le film Divines de Hou­da Benya­mi­na. © Jean-Louis Fer­nan­dez

Le par­ti-pris de mise en scène Jean-Fran­çois Siva­dier nous a trans­por­tée : « Si la pièce n’est pas jouée de façon drôle, elle perd en cruau­té et inver­se­ment. Une his­toire d’autant plus ter­rible qu’elle est sou­vent risible. »

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