MC2-Grenoble – La Belle au bois dormant. Une création détonante de Marcos Morau

Par Régine Hausermann

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La Belle Au Bois Dormant vue par Marcos Mauro © Jean Louis Fernandez

Lorsque qu’un titre-phare du ballet et/ou de la littérature apparaît sur les affiches, il ne faut pas s’attendre au respect de la tradition ! Le spectacle proposé cette semaine du 4 au 10 avril était à cet égard surprenant. Et enthousiasmant ! Certes la musique était bien celle composée par Tchaïkovski pour le ballet créé en 1890 à Saint-Pétersbourg sur une chorégraphie de Marius Petitpa. Mais était également crédité un autre compositeur vivant, Juan Cristóbal Saavedra. Pour une recréation du ballet signée Marcos Morau, pour le Ballet de l’opéra de Lyon.

Aux sources de cette recréa­tion, un trio gagnant ! Après les dif­fé­rentes ver­sions connues de La Belle au bois dor­mant – celles des contes de Per­rault et des frères Grimm, celle du bal­let de Tchaï­kovs­ki – com­ment et pour­quoi s’emparer du conte ? Mar­cos Morau — né en 1982 à Valence en Espagne – étu­die la cho­ré­gra­phie en Espagne et aux Etats-Unis et crée sa com­pa­gnie la Vero­nal à Bar­ce­lone en 2005. En octobre der­nier, la direc­trice du bal­let de l’Opéra de Lyon lui confie la grande créa­tion de la sai­son. Un choix gagnant.  
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Mar­cos Mau­ro né en 1982.

Piotr

Pio­tr Illich Tchai­kovs­ki (1840–1896).

Juan

Cristó­bal Saa­ve­dra né en 1974.

Il se pose d’abord la ques­tion : « Après Peti­pa ou Nou­reev, pour­quoi faire La Belle au bois dor­mant aujourd’hui ? Quel sens a encore cette his­toire ? » Quel rap­port avec l’amour tel qu’on le vit aujourd’hui ? Quelle jeune fille attend de se voir réveillée par un beau jeune homme au terme d’un long moment de vie végé­ta­tive ? Par un bai­ser non consen­ti ? Com­ment tra­vailler à par­tir de la struc­ture ini­tiale : celle de la prin­cesse qui célèbre ses seize ans en pré­sence de mar­raines bien­veillantes invi­tées par ses parents, le roi et la reine. Mais une méchante fée s’est invi­tée pour lui lan­cer un sort, celui de la mort, chan­gé en som­meil par une bonne fée. Mar­cos Mau­ro ima­gine alors que la jeune fille est endor­mie dès sa nais­sance, qu’elle ne se réveille pas et que le monde conti­nue d’évoluer autour d’elle, pan­tin désar­ti­cu­lé, que se trans­mettent les dan­seurs et les dan­seuses. Et si, au moment de la réveiller, si long­temps après, à l’époque des machines qui régissent nos vies, qui les dérèglent, le choix était fait de lui épar­gner le chaos ambiant ? « Est-ce que cela vaut la peine d’abandonner cent ans d’oubli, cent ans de soli­tude mythique, pour cette ruine, ce désert, cette épave de réa­li­té ? J’ai envie de géné­rer une sen­sa­tion de chaos, d’apocalypse, comme si le monde avait dis­pa­ru, que le temps, dans son accé­lé­ra­tion, avait tout cor­rom­pu. »
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Choc des époques sur une musique élec­tro­nique de Juan Cristó­bal Saa­ve­dra © Jean Louis Fer­nan­dez

Une confron­ta­tion pas­sé — pré­sent Les cos­tumes évoquent d’abord les larges robes des bal­le­rines aux jupons vapo­reux, tout de den­telles et de blan­cheur. Les dépla­ce­ments à petits pas des quinze dan­seurs et dan­seuses qui forment un ensemble sou­dé sont d’une totale beau­té. La séquence d’anniversaire ou chacun.e porte un bou­quet somp­tueux ravit les yeux. Mais depuis le début, le cadre res­ser­ré autour du groupe, avec des parois laté­rales et un pla­fond qui tentent de les écra­ser, avec des lumières rouges, inquiète. Tan­tôt la musique de Tchaï­kovs­ki – celle de la valse – enchante, tan­dis que celle de Cristó­bal Saa­ve­dra hérisse, ouvre la voie au mal. La Belle a gran­di – sans en être consciente — mais conti­nue d’être un man­ne­quin inani­mé que se lance ses suivant.es. « Tout le monde est habillé avec des vête­ments fémi­nins. Tout le monde est reine enceinte, fée amou­reuse, sor­cière ran­cu­nière, cour­ti­san alar­mé. Le fait de racon­ter une his­toire de manière linéaire ne m’intéresse plus – je pré­fère les laby­rinthes nar­ra­tifs – brouiller les fron­tières entre le rêve et le cau­che­mar, la fête et le drame, le mas­cu­lin et le fémi­nin. » 
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« Tout le monde est habillé avec des vête­ments fémi­nins. » ©Jean Louis Fer­nan­dez

Puis tout est décons­truit Au terme d’une heure de varia­tions entre pas­sé et pré­sent, c’est le grand réveil. Dan­seurs et dan­seuses entament une ronde de jar­din à cour, passent der­rière le décor, res­sortent à recu­lons par la porte rouge der­rière laquelle semble se dres­ser une vision d’horreur. Toute beau­té explose. La musique de Saa­ve­dra enfle et agresse les oreilles. Décor et vête­ments volent en éclats. Les murs sont dépouillés de leur revê­te­ment, les portes sont dégon­dées par les inter­prètes dont la course s’accélère jusqu’à épui­se­ment. Jusqu’à ce qu’ils retrouvent l’apaisement, en short et blou­son rouge et blanc. Et s’inclinent devant le public. Apaisé·es. Evi­dem­ment, on peut être décon­cer­té devant le trai­te­ment si bizarre du conte et du bal­let. Mais quelle inven­ti­vi­té ! Que de beau­tés plas­tiques ! Que de ques­tions sus­ci­tées !

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