Xavier Le Clerc dédicace « Un homme sans titre ».

Il est des moments rares et précieux. La rencontre avec l’auteur du livre Un homme sans titre en est une.

La nouvelle librairie La dérive a eu un beau succès de présence avec cette rencontre riche, animée par Fanette Arnaud, le 3 mars. Celle-ci présente l’ouvrage dans la publication des Amis de la Dérive : « Xavier Le Clerc rend un hommage émouvant à son père disparu, Un homme sans titre (Gallimard), né dans cette Kabylie à la misère sans nom décrite par Camus en 39, un homme digne qui après la guerre et ses horreurs, a supporté l’exil, la pauvreté, le mépris sans jamais se départir d’une dignité silencieuse. C’est une réflexion sur l’identité (l’auteur a changé de nom) une manière d’honorer toute une génération d’immigrés et un plaidoyer pour la littérature ».

Au cours de la soirée l’écrivain a souligné l’importance du reportage écrit dans le quotidien Alger Républicain par Albert Camus, sur la misère de la Kabylie. Il imagine d’ailleurs une rencontre de son père avec Camus.

Le livre parle du père, de sa dignité, de l’homme taiseux. P. 66 : « Mon père illettré fut mon premier livre. Il regorgeait de mots et de sentiments captifs, qui ne s’échappaient que par bribes (…) Ses quelques récits n’étaient donc que des évadés, comme le jour où, par mégarde, mon père laissa s’échapper quelques mots sur la fièvre du typhus. Ou celui des fouilles du hameau par les paras, qui défonçaient les portes, brisant les amphores pour trouver des armes tandis que sa pauvre mère Keltoum tentait de ramasser, de ses deux mains, l’huile d’olive mêlée à la poussière et aux éclats d’argile ».

La soirée (comme le livre lu avec plaisir en quelques heures), évoquait la vie de l’auteur, né en Algérie, qui a vécu toute sa vie dans la misère avec ses nombreux frères et soeurs en région parisienne, son père étant ouvrier métallo.

Les paroles de Xavier le Clerc, sont d’une grande lucidité, franchise, courage, pour parler de son parcours, de l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui, de la France qu’il aime. Page 108 il explicite sa décision de 2010 : «  Etait-ce au fond un reniement de mon père ? Au contraire, c’était l’aboutissement de son éducation : traverser les frontières pour travailler dur, s’adapter pour survivre, cultiver la gratitude et non le ressentiment, refuser de se lamenter, rester fier même au bord du précipice. Par la traduction française de son nom, je continuerai à porter la dignité de son héritage, mais en lui donnant une chance de n’être plus piétiné comme des cailloux ».

La traduction du nom de l’auteur, une décision prise en 2010.

Dans la soirée Xavier Le Clerc a énoncé de très belles phrases sur l’amour de ses pays, l’Algérie, la France. « Ne laissez pas l’amour de la France aux fascistes. J’ose croiser le fer avec eux. La civilisation ne tient qu’à un fil. La France est un trésor. C’est en revenant d’Angleterre que j’ai pris conscience d’être français. Une identité, c’est comme le tango, ça se fait à deux. Il faut le regard de l’autre. Avant de changer de nom, je nettoyais les parterres de boutiques de luxe. Après je suis devenu cadre de ces grandes marques de luxe. (95% des grandes marques de luxe sont institutionnellement racistes). La chance, prenez-là, ne la mendiez pas ».

Répondant à un intervenant parlant de l’Algérie, l’auteur répond notamment : « En Algérie on est tous le kabyle d’un autre. Je vous invite à dépasser votre corps. Mettez vous dans le corps d’un autre. En Algérie il y a des blocages à cela. Accepter les femmes par exemple. Les femmes elles-mêmes ont des difficultés à être femmes lorsque par exemple elles disent à leur fils « laisse, laisse ta sœur ranger ». On les construit nos monstres. Mon changement de nom, c’est le refus identitaire. J’ai le droit de choisir sans avoir de comptes à rendre à personne. J’ai la marche en héritage. Mon père, comme tous les immigrés, marchait. Il ressemblait en cela aux statues de Giacometti, L’Homme qui marche ».

Le portrait du père.

En quatrième de couverture

« Si tu étais si attaché à ta carte d’ouvrier, c’est sans doute parce que tu étais un homme sans titre. Toi qui es né dépossédé, de tout titre de propriété comme de citoyenneté, tu n’auras connu que des titres de transport et de résidence. Le titre en latin veut dire l’inscription. Et si tu étais bien inscrit quelque part en tout petit, ce n’était hélas que pour t’effacer. Tu as figuré sur l’interminable liste des hommes à broyer au travail, comme tant d’autres avant toi à malaxer dans les tranchées. »

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