Lucie Mancipoz – exceptionnelle – entre deux comédiens. ©Christophe Raynaud de Lage

Mardi 17 janvier 2023 – D’emblée, on est saisi par la jeunesse et l’énergie de cette équipe de jeunes gens et jeunes filles engagé·es dans un spectacle dont l’originalité nous ravit. Extraits de vidéo, play-back, monologues, chants, scènes à plusieurs sur… le bonheur. Etes-vous heureux ? Qu’est-ce qui vous rend heureux ? Et autres questions, posées à des gens, dans la rue, en auto-stop. Les tableaux s’enchaînent, drôles ou non, mais toujours émouvants. Les gens se racontent et la troupe les raconte. On ne peut qu’applaudir à l’inventivité du spectacle, à son foisonnement et à son authenticité.

La genèse du spectacle : partir en auto-stop !

Le jeune Simon Roth a vingt ans en 2017 et comme beaucoup de jeunes de son âge, il se pose des questions existentielles. Cette année-là, il visionne le film Chronique d’un été d’Edgar Morin et Jean Rouch (1961). Les deux réalisateurs s’entretiennent avec des Parisien·nes sur la façon dont elles et ils se « débrouillent avec la vie ». Première question : Etes-vous heureux ? Les thèmes abordés sont variés : l’amour, le travail, les loisirs, la culture, le racisme… Le film devient le manifeste du cinéma-vérité, un mouvement qui interroge la capacité du cinéma à saisir la réalité.

Eté 2017, Simon Roth part pour un tour de France en auto-stop, pour questionner les gens : « En vous levant le matin, quelles sont vos premières pensées ? Est-ce qu’on peut aimer la même personne toute la vie ? Est-ce que le/la gamin·e que tu étais, serait content·e de toi, aujourd’hui ? Etes-vous heureux ? » Il en garde des heures de rush, des carnets.

A 22 ans, il est reçu au CNSAD (Conservatoire national d’art dramatique). Au contact de ses camarades de promotion, son tour de France en auto-stop ressurgit. Avec elles et eux, quelque chose est possible. Ses rushs s’enrichissent des points de vue multiples de ses camarades. Il veut aussi renouer avec les destins de gens ordinaires.

Mai 2021, la petite troupe part pour un périple en auto-stop, parce que c’est le meilleur moyen de rencontrer les autres, au hasard. De s’inscrire dans d’autres lignes que la sienne, d’aller dans des endroits où on ne serait jamais allé .

Ils embarquent en binôme car il faut quand même être prudent. L’auto-stop, ça peut être dangereux. Mais ils n’ont fait que des rencontres incroyables. « On leur demandait s’ils étaient d’accord pour qu’on les enregistre… alors qu’on démarrait le dictaphone dès qu’on rentrait dans la voiture (rires).» Le matériau s’enrichit aussi des échanges entre eux, avec leurs proches.

Que faire de tout le matériau réuni ?

Du théâtre ? Du cinéma ? Simon Roth propose à ses camarades de travailler à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, dans un squat, dans un lieu alternatif, pour voir ce que ça allait pouvoir rendre sur le plateau.

En fait ce qui est intéressant, c’est la façon dont les gens répondent, plus que ce qu’ils disent. Le travail commence par l’observation. Que signifie un geste ? Une intonation ?

Le groupe se refuse à la réécriture de la parole recueillie. Commence alors un travail d’interprétation, de recréation du matériau documentaire. Le groupe explore les formes – le masque, la danse, la vidéo, le lip sync (ou lipsing ou play back) – pour garder un vrai lien avec la personne réelle.

Chacun des quatre garçons et des quatre filles du collectif a choisi de représenter telle ou tel. Indépendamment du genre.

Il y a eu beaucoup de versions, beaucoup de coupes, pour resserrer le tout en une heure et demie. Un pari incroyable dont le résultat a été applaudi avec enthousiasme, mardi soir. Une réussite et une bonne surprise. 

Dans un salon de coiffure afro, lieu propice aux confidences, car les séances sont longues.
©Christophe Raynaud de Lage

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