©Polo Garat

Jeudi 5 janvier – Bon signe, de nombreux lycéen·nes et étudiant·es pique-niquent sur le grand escalier de la MC2. On salue l’engagement des enseignant·es qui incitent les jeunes à découvrir le théâtre. La salle est comble lorsque le décor tombe des cintres pour composer un premier lieu, celui du salon bourgeois d’Elwood P. Dowd où sa sœur organise une réception dont l’objectif est de trouver un mari pour sa fille. Mais voilà, Elwood continue à contrarier ses plans en surgissant à l’improviste avec son ami imaginaire, le très grand lapin Harvey, que personne ne voit. Elwood est-il fou ? Ne faut-il pas se résoudre à le faire enfermer ?

Jacques Gamblin, un Elwood lunaire et tellement sympathique !

Elwood est un rêveur : il aime sortir avec son ami Harvey qu’il emmène chez Charlie pour boire un verre, et même plus ! Là, ils ont leurs habitudes et Charlie comme ses clients les apprécient, ne se formalisent plus de cet excentrique, inoffensif, qui promène avec lui un lapin géant invisible. Ils s’en amusent. Au contraire de la famille bourgeoise dont Elwood dérange le confort et l’honorabilité alors qu’il les accueille sous son toit. Jacques Gamblin glisse avec aisance et élégance, souvent à la limite du déséquilibre, dansant sa vie, avec joie et générosité. Même lorsqu’il est interné, Elwood reste aimable et gentil avec tout le monde. Comment peut-on s’en prendre à lui ? L’acteur est formidable de douceur et de finesse. Fort justement, il a été récompensé par le Molière du comédien 2022.

Mary Chase, dramaturge méconnue en France

Mary Chase est née en 1906 à Denver, Colorado. Jeune journaliste, elle est reporter au Rocky Mountain News mais elle est aussi directrice de la publicité pour le Syndicat des chauffeurs routiers… Vers 1930, elle écrit pour la radio et le théâtre sans grand succès. En 1944, Chase apporte le texte de Harvey à Antoinette Perry qui produit la pièce et la met en scène, à Broadway. Le succès est immédiat. Un triomphe ! 1775 représentations et, en 1945, le Prix Pulitzer… Depuis, tous les Anglo-Saxons connaissent la folle histoire d’Elwood P. Dowd et de son ami extraordinaire que les autres ne voyaient pas… Pendant cinq ans, six acteurs se succèdent pour interpréter le rôle. Puis

James Stewart, immortalise Elwood et Harvey au cinéma en 1950. Nous avons vu le film de Henry Koster récemment, juste avant de voir la pièce à la MC2 : il y est formidable. En 1972, James Stewart a repris son rôle pour la télévision. Harvey sera joué jusqu’en 2015 à New-York, Londres, Berlin… On en fera même une comédie musicale, Say Hello to Harvey.

Harvey, un drôle de conte !

Mary Chase mêle comique, fantastique et poésie, en empruntant son lapin à Lewis Carroll. Mais, qui est ce Harvey invisible ? Un ange-gardien, un diable, un révélateur des petitesses humaines et du complexe de supériorité des bourgeois et des sachants ?

Mary Chase nous promène, d’abord dans un salon aux pensées étriquées puis dans une moderne clinique psychiatrique privée. Dynamitant gentiment mais sûrement les préjugés. La pièce navigue entre burlesque et méchanceté, folie et générosité.

Lorsque Vita veut faire interner son frère, c’est elle, curieusement, qu’on enferme, tant l’histoire qu’elle raconte est invraisemblable. S’ensuivent imbroglios et quiproquos dont les représentants du monde médical ne sortent pas grandis. Mary Chase n’est pas tendre avec les méthodes psychiatriques en vigueur dans les années 30.

Qui est vraiment le fou? Le bienveillant Elwood, sa générosité et son respect des autres ne valent-ils pas mieux que les comportements « normaux », médiocres et égoïstes ?

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Laurent Pelly, le Grenoblois

Pendant dix ans, Laurent Pelly nous a régalés de ces mises en scène lorsqu’il était directeur du CDNA entre 1995 et 2006. On se souvient de Peines d’amour perdues 1995, du Voyage de M. Perrichon 2002, du Roi Nu 2004, des Aventures d’Alice au pays des merveilles 2006. Et aussi des mises en scène réalisées pour Marc Minkovski à l’époque des Musiciens du Louvre-Grenoble. Platée, la Belle Hélène… nous restent en mémoire. Il continue à collaborer avec Agathe Mélinand qui a traduit la pièce.

On retrouve son goût du rythme. Des personnages hauts en couleurs se croisent, se poursuivent sur un mode saccadé, impérieux, assorti au pouvoir qu’ils pensent détenir. Mais la mécanique est finalement grippée par le seul personnage, dansant et aérien de la pièce, Elwood.

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