Mardi 15 novembre, la joie éclate du côté de l’orchestre et du public ! Photo R.H.
Mardi 15 novembre – L’auditorium de la MC2 accueille un orchestre singulier, venu du Royaume-Uni, composé de 70 musicien·nes issu·es de minorités ethniques de 31 pays européens La devise de Chineke! : défendre le changement et célébrer la diversité dans la musique classique. Au programme, un Nouveau Monde, en référence à la symphonie que Dvorak composa à New-York, mais aussi à la première partie du concert qui rend hommage au génie musical de compositeurs trop longtemps ignorés : Samuel Coleridge-Taylor, George Walker et Florence Price. Tonique et enthousiasmant !
« Défendre le changement et célébrer la diversité dans la musique classique »
Telle est la devise de la Fondation Chineke! créée en 2015 pour offrir des opportunités de carrière exceptionnelles aux musiciens classiques noirs et ethniques établis au Royaume-Uni et en Europe. Chineke ! est une idée originale de Chi-chi Nwanoku : « Mon objectif est de créer un espace où les musiciens noirs et issus des minorités peuvent monter sur scène. Si même un enfant noir sent que sa couleur entrave ses ambitions musicales,alors j’espère l’inspirer, lui donner une plateforme et lui montrer que la musique quelle qu’elle soit, est pour tout le monde ».
Née à Londres en 1956 de parents nigérian et irlandais, Chi-chi Nwanoku a d’abord pratiqué la contrebasse avant de devenir professeure à l’Académie royale de musique.
Chi-chi Nwanoku.
Le Chineke! Orchestra est l’ensemble phare de la Fondation. Ses membres se réunissent plusieurs fois par an pour interpréter le répertoire orchestral standard ainsi que des œuvres de compositeurs issus de minorités.
Il travaille en étroite collaboration avec le Chineke! Junior Orchestra qui réunit de jeunes musicien·nes issu·es de minorités ethniques, âgés de 11 à 22 ans et des seniors jouant le rôle de mentors, d’enseignants et de modèles.
L’Orchestre a reçu le soutien de nombreuses organisations culturelles et se produit au Royaume-Uni et en Europe. En 2017, il a sorti son premier album et a fait ses débuts aux BBC Proms au Royal Albert Hall, acclamé par la critique.
Selon les mots de Sir Simon Rattle : « Chineke ! n’est pas seulement une idée passionnante, mais profondément nécessaire. Le genre d’idée qui saute tellement aux yeux qu’on se demande pourquoi elle n’est pas déjà en place. Le genre d’idée qui pourrait approfondir et enrichir la musique classique au Royaume-Uni pendant des générations. Quelle perspective passionnante ! »
La première partie du concert rend hommage à deux compositeurs et une compositrice trop longtemps ignoré·es
Samuel Coleridge-Taylor (1875-1912)
Ballade for orchestra, Op. 33
L’artiste en 1905.
Samuel Coleridge-Taylor naît en 1875 à Londres, d’une mère anglaise et d’un père originaire de Sierra Leone. Son père, physicien, doit retourner en Afrique pour pouvoir y développer sa carrière. Le jeune garçon apprend le violon dès cinq ans et entre au Royal College of Music à l’âge précoce
de 15 ans. Il devient ensuite chef d’orchestre et enseigne la composition dans des institutions londoniennes prestigieuses.
Samuel Coleridge-Taylor commence à se faire connaître grâce à ses œuvres orchestrales. Edward Elgar considère qu’il est « de loin le plus éclairé des jeunes gens » qu’il côtoie.
Parvenu à une notoriété mondiale, Samuel Coleridge-Taylor défend ses racines africaines à travers sa musique et soutient les compositeurs afro-américains durant le reste de sa courte vie. En effet, il s’éteint à l’âge de 37 ans des suites d’une pneumonie.
George Walker (1922-2018)
Lyric for Strings
Au piano en 1940.
Cette année est celle du centenaire de la naissance de George Walker, né à Washington de parents d’origine antillaise et américaine. Il a souvent été un précurseur sur les chemins empruntés. En 1945, il devient le premier musicien noir diplômé (en piano et composition) de l’Institut Curtis, et le premier instrumentiste afro-américain à jouer en compagnie de l’Orchestre de Philadelphie ou encore à se produire au Town Hall de New York.
Quelques années plus tard, il devient aussi le premier musicien afro-américain à obtenir un doctorat à l’école de musique Eastman. En 1996, enfin, il remporte le Prix Pulitzer de la musique.
Excellent pianiste, George Walker se produit sur les grandes scènes d’Europe. Mais en 1953, il doit mettre un terme à sa carrière de pianiste concertiste pour des raisons de santé. Il se consacre alors à la composition, vient étudier deux années à Paris auprès de Nadia Boulanger.
Lyric for Strings (1945) est l’une des œuvres les plus jouées de George Walker qui lui a été inspirée par sa grand-mère, une ancienne esclave qui a conquis sa liberté.
Florence B. Price (1887-1953)
Piano Concerto in One Movement (1934)
Florence Béatrice, née Smith, naît en 1887 à Little Rock en Arkansas, d’une mère professeure de musique et d’un père médecin. À l’âge de 16 ans, elle s’installe à Boston (à 2400 kilomètres de sa ville natale) pour se former à la pédagogie musicale et à la pratique du piano et de l’orgue. Ses diplômes en poche, elle retourne en Arkansas pour y enseigner. Mariée et devenue mère, Florence (désormais) Price s’installe avec sa famille à Chicago en 1927, suivant le mouvement de la Grande Migration qui verra six millions d’Afro-Américains menacés par la ségrégation fuir les États du Sud entre 1910 et 1970.
En 1932, Florence Price remporte son premier succès avec sa Première Symphonie, en mi mineur créée par l’Orchestre symphonique de Chicago. Cet événement fait de Florence Price la première compositrice afro-américaine dont la musique est jouée de son vivant par un grand orchestre
symphonique étasunien. Deux ans plus tard, elle crée son Concerto pour piano in One Movement, à Chicago.
Malgré une production riche de quelque 300 œuvres et plusieurs récompenses publiques obtenues de son vivant, la compositrice afro-américaine Florence Price est restée dans un relatif anonymat après sa mort. La faute incomberait à ce qu’elle désignait elle-même comme ses « deux handicaps », à savoir son sexe et sa couleur de peau… Elle est redécouverte depuis quelques années .
Ce mardi de novembre 2022, un peu moins d’un siècle après sa création, le concerto est interprété au piano par la jeune Britannique Jeneba Kanneh-Mason, dix-neuf ans, déjà lauréate de nombreux prix.
Jeneba Kanneh-Mason, pianiste.
Deuxième partie : la Symphonie n°9 « du Nouveau Monde » d’Antonín Dvořák
Antonin Dvorak en 1904.
Le compositeur tchèque Antonín Dvorak émigre aux États-Unis en 1892, sur l’invitation de la fondatrice du Conservatoire de New York, Jeanette Thurber. Mécène œuvrant à l’inclusion des femmes et de musiciens non-blancs au sein de l’institution, elle nomme Dvořák à la tête de cette dernière dans le but de créer une école de composition nationale américaine et de stimuler le développement musical aux États-Unis.
Dvořák s’intéresse aux musiques des minorités : chants guerriers des tribus indiennes et spirituals, complaintes et chants de travail de la population noire. En avance sur son temps, il voit dans la diversité de la musique traditionnelle la seule voie valable pour la création d’une symphonie,
d’une sonate, d’un quatuor à cordes ou d’un concerto « américain ».
Dvořák compose sa Neuvième – et dernière – symphonie entre le 10 janvier et le 24 mai 1893. Même fortement inspirée par le folklore américain, la Symphonie « du Nouveau Monde » – ce titre fut ajouté à la dernière minute – ne comporte aucune citation textuelle de thèmes préexistants. « J’ai tout simplement écrit des thèmes à moi, leur donnant les particularités de la musique des Noirs et des peuples autochtones ; et, me servant de ces thèmes comme du sujet, je les ai développés au moyen de toutes les ressources du rythme, de l’harmonie, du contrepoint, et des couleurs de l’orchestre moderne. »
Direction musicale de Leslie Suganandarajah
Né au Sri Lanka, en 1983, sa famille a fui la guerre civile et s’est installée en Allemagne lorsqu’il avait deux ans. Sous la garde d’une famille allemande soutenant les réfugiés, il a commencé des cours de musique et a développé une passion pour le piano, la flûte et l’orgue. Il étudie à la Hochschule für Musik und Theater de Hanovre et à la Musikhochschule de Lübeck.
La carrière de ce jeune chef d’orchestre s’est d’abord développée en Allemagne Il a fait ses débuts au Royaume-Uni en dirigeant Chineke ! au début de la saison et a été invité à les rejoindre pour leur tournée européenne à l’automne 2023.
Il dirige avec fluidité et élégance un orchestre enthousiaste et joyeux. Surprise de voir les musicien·nes se tomber dans les bras à la fin du concert !