© Pierre Grosbois
Bravo à Pauline Bureau et à sa compagnie la Part des anges ! Le public de La Rampe jubile et applaudit debout ce mardi 20 octobre. Le spectacle a duré deux heures mais le temps a filé et la joie nous a envahi·es. Oui les femmes peuvent jouer au football. Oui les femmes peuvent gagner la coupe du monde. Et oui, le sport leur fait du bien comme il fait du bien aux hommes. Qu’on se le dise !
Femmes au vestiaire, la « maman » avec un bébé dans les bras ! © Pierre Grosbois
Féminines, s’inspire de l’histoire -vraie – de la première équipe de football féminine créée en France, à Reims en 1968, et qui devient championne du monde, dix ans plus tard à Taipei (Taïwan).
L’histoire commence comme un gag. Deux hommes cherchent ce qu’ils pourraient proposer pour attirer le public, en lever de rideau du match -masculin- du Stade de Reims. L’année précédente, c’était un match de catch de lilliputiens. Pourquoi pas un match de femmes ? Des freaks, quoi !
Mais le gag se transforme en aventure sportive émancipatrice pour des femmes qui y trouvent un espace de liberté.
Une scénographie astucieuse et signifiante
En haut sur toute la largeur de la scène, l’espace du travail, aliénant. Lorsque le rideau supérieur s’ouvre apparaissent trois femmes, trois ouvrières à la chaîne, en blouse bleue, dont les mains sont attachées par des liens et se lèvent au rythme impulsé par la machine. Elles viennent d’entendre parler du recrutement de femmes pour constituer une équipe de football. L’une est emballée, les deux autres estiment que ce n’est pas la place des femmes.
En bas, l’espace collectif du vestiaire, le lieu des échanges. Les premières recrues d’abord, leurs motivations, leur statut social. La cadette a quinze ans et déteste la danse que son père lui impose. Avec la complicité de sa mère elle rejoint les entraînements. La doyenne est une femme mûre. L’une est encouragée par son père, ancien footballeur victime d’un accident sportif qui condamne sa carrière et qui depuis marche avec une canne. Certaines sont ouvrières, secrétaires étudiantes.
Quelques autres sont mariées. Leur point commun : échapper au quotidien, faire quelque chose pour elles-mêmes.
A l’arrière-plan côté cour, une porte coulissante donne accès à la chambre à coucher d’une ouvrière-footballeuse. Au début tout va bien, le mari est amusé. Mais lorsqu’il obtient une promotion, il veut que sa femme arrête tout, le travail et le football, pour faire un enfant. Les victoires s’enchaînant, la notoriété de sa femme l’agace.
A l’arrière-plan côté jardin, la salle à manger de la famille de la plus jeune dont le père, ignorant que sa fille a lâché la danse pour le foot, ricane sur cette équipe contre-nature qui défraie la chronique. Un beau cas de misogynie ordinaire. Hélas ! non isolé.
Pour faire participer le public aux entraînements et aux matchs, le niveau supérieur devient un écran qui projette les vidéos des actions, impossibles à montrer sur scène. on reconnaît certaines des comédiennes que l‘on voit ensuite rentrer au vestiaire à l’étage inférieur. Très bien pensé !
Heureuses et complices © Pierre Grosbois
Entre intime et collectif, pour saper les clichés
La structure de la pièce a conduit au dispositif scénographique qui permet des scènes intimes – entre femmes, entre mari et femme – et des scènes plus collectives, au vestiaire ou lors d’une excursion en forêt.
Sans systématisme, on passe de l’atelier, à l’appartement de deux des joueuses, au vestiaire et au terrain en vidéo. Vers la fin de l’aventure, le mari de l’ouvrière (côté cour) devient violent, elle le quitte et va se réfugier chez la copine de l’équipe soutenue par son père, qui en pince pour elle. Au contraire, le père de la plus jeune joueuse finit par s’adapter à la situation.
Une scène mémorable : elles sont au vestiaire en train de mettre leurs chaussures à crampons, quand la « maman » s’exclame : « Le poulet ! ». On a beau être footballeuse, il faut aussi s’occuper du ménage et de la cuisine. C’est ce qu’on appelle la double journée de travail !
Mais les femmes, aussi, aiment faire la fête et découvrent les joies de la troisième mi-temps.
Pauline Bureau © Nathalie Mazeas
Nous avions été séduite par la prise de parole de Pauline bureau lors de la nuit des Molières, directe et sans chichi, politique.
Extraits : « Je souhaite à chacune, à chacun de vivre une aventure, quelque chose qui, quand on y repense, donne du sens à sa vie. » « J’ai été agressée sexuellement, comme je pense, la plupart des actrices de ma génération. En prenant du pouvoir, de la notoriété je l’ai été de moins en moins. »
« 18% de l’argent public va à des compagnies dirigées par des femmes! L’équité est mon cheval de bataille. J’espère que ça deviendra le vôtre madame la ministre. »
Sur France Culture, elle explique que Féminines est l’aventure de sa vie. « Quand j’étais à l’école on faisait des textes d’hommes. D’abord, j’ai été actrice puis l’écriture est devenue le centre de ma vie. » Elle aime faire un théâtre documenté. Elle part du réel « qui est quelquefois complètement fou ! ». Ses sujets : le féminisme, le droit à l’avortement, la gestation pour autrui, le scandale du Médiator.
Autres distinctions reçues par Féminines
Prix de la meilleure création d’une pièce en langue française du Syndicat de la Critique (2020)
Prix Théâtre SACD (2020)
Pauline Bureau travaille dans le théâtre public et la décentralisation.
Merci à Joséfa Gallardo de nous avoir offert ce cadeau en sélectionnant le spectacle.
Championnnes ! © Pierre Grosbois