Grésivaudan. Les puces mettent les bouchées doubles

Par Luc Renaud

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5,7 milliards d’euros d’investissement à Crolles, pour accroître les capacités de production de ST Microelectronics. Heureuse nouvelle annoncée cet été. On aurait gagné du temps – et de l’argent – si la voix des salariés avait été mieux entendue. Pour assurer l’avenir, la CGT propose de bâtir une filière européenne de la microélectronique.

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Nadia Salhi, responsable de la CGT à ST Microelectronics. « il aura fallu quelques années pour que nous ayons finalement été entendus : il fallait investir ».

« L’abandon annon­cé du déve­lop­pe­ment du nœud FDSOI 14nm par ST Micro est clai­re­ment une mau­vaise nou­velle pour l’écosystème gre­no­blois. La stra­té­gie de finan­cia­ri­sa­tion à outrance de sa direc­tion au détri­ment d’investissements dans l’appareil pro­duc­tif est un réel pro­blème pour toute la filière. » La décla­ra­tion date du 8 sep­tembre 2015. Elle émane de la CGT.

12 juillet 2022. « Nous allons y mettre tous les moyens, puisque ce sont 5,7 mil­liards d’euros d’investissement qui sont inves­tis de manière à dou­bler ici les capa­ci­tés de pro­duc­tion d’ici 2026. C’est faire en trois ans et demi ce qui a été fait en trente ans d’histoire sur ce site. » Décla­ra­tion d’Emmanuel Macron, annon­çant à Crolles la créa­tion de mille emplois et l’extension du site de ST Microe­lec­tro­nics, moyen­nant un finan­ce­ment de l’Etat de 2,5 mil­liards. « Beau­coup d’argent, deve­nu néces­saire pour rat­tra­per le retard ; il était plus que temps », constate Nadia Sah­li, CGT St Micro, tout en se féli­ci­tant de cette bonne nou­velle.

Car l’objectif est de recol­ler au pelo­ton tech­no­lo­gique que l’entreprise avait déci­dé en 2014 de lais­ser faire la course en tête.

L’accord repose sur un par­te­na­riat avec le fon­deur – un fabri­quant de puces élec­tro­niques – Glo­bal­Fon­dries. Un groupe amé­ri­cain, poids lourds de la branche, déte­nu par un fonds basé à Abu Dha­bi (Emi­rats arabes unis). Il s’agit tout à la fois de dou­bler la pro­duc­tion et de faire pro­gres­ser la tech­no­lo­gie avec en ligne de mire le seuil des dix nano­mètres. Tou­jours plus petit. Le sel de l’histoire, c’est que ce déve­lop­pe­ment repose sur une tech­no­lo­gie… gre­no­bloise. Elle résulte des tra­vaux d’un labo­ra­toire du CEA, le Leti, conduits avec Soi­tec et ST Micro. Tech­no­lo­gie, le FD-SOI, dont le déve­lop­pe­ment avait été aban­don­né en 2014 et cédé à Sam­sung. Aujourd’hui, ST Micro pro­duit des semi-conduc­teurs à 28 nm, tan­dis que Sam­sung est des­cen­du à 22 : le groupe coréen a pour­sui­vi la recherche.

Former des techniciens en salle blanche

L’extension des usines crol­loises sous l’égide des deux par­te­naires vise l’objectif des 10 nm. Ce pro­jet s’inscrit dans le cadre plus large du Chips act – le « plan puces » –, adop­té par la Com­mis­sion euro­péenne en février der­nier. Nous sommes là dans un autre ordre de gran­deur : 43 mil­liards d’euros de fonds publics et pri­vés. Outre l’accord entre ST et GF, il com­porte un volet Intel, troi­sième pro­duc­teur mon­dial de puces élec­tro­niques der­rière le taï­wa­nais TCMS et le Coréen Sam­sung. Intel va créer de toute pièce une usine en Alle­magne, à Mag­de­bourg, à 150 km de Ber­lin. Là, c’est une autre tech­no­lo­gie qui va être mise en œuvre : le Fin­FET. Ce pro­cé­dé pré­sente l’avantage, par rap­port au FD-SOI, d’offrir la pers­pec­tive d’une gra­vure à moins de 5 nano­mètres. Plus de puis­sance de cal­cul, donc. La pointe de la pointe tech­no­lo­gique. Mais aus­si plus éner­gi­vore : les appli­ca­tions des puces Fin­FET et FD-SOI cor­res­pondent à des besoins dif­fé­rents. L’objectif euro­péen, avec le Chips act, est de par­ve­nir à 20 % de la pro­duc­tion mon­diale des com­po­sants semi-conduc­teurs, contre 8 % aujourd’hui, ce qui implique un qua­dru­ple­ment de cette pro­duc­tion dans un mar­ché qui va dou­bler d’ici moins de dix ans.

Mais reve­nons à Crolles. « Nous avions aler­té sur l’abandon du déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique, note Nadia Sah­li, ce n’est pas pour autant que l’on entend davan­tage les sala­riés aujourd’hui », qui fait état d’un cli­mat fort éloi­gné du dia­logue social. Le 12 juillet der­nier, la CGT n’était pas invi­tée. Après ferme dis­cus­sion, le syn­di­cat, majo­ri­taire chez les ouvriers et tech­ni­ciens du site, a été admis à ren­con­trer un conseiller du pré­sident. « Nous avons appris par la presse les détails du pro­jet. »

Pour­tant, la CGT for­mule des pro­po­si­tions d’amélioration. En terme d’aménagement du ter­ri­toire, le syn­di­cat rap­pelle que l’usine de Rous­set, dans les Bouches-du-Rhône, tra­vaille sur un pro­duit en fin de vie. Un site dont l’avenir doit être assu­ré par de nou­veaux inves­tis­se­ments. Pro­po­si­tions envi­ron­ne­men­tales éga­le­ment, sur l’utilisation de l’eau, notam­ment.

La CGT a éga­le­ment tra­vaillé sur le volet for­ma­tion. « Il faut pou­voir embau­cher des tech­ni­ciens en salle blanche, relève Kamel Mou­had, élu CGT à Soi­tec, mais aus­si per­mettre à des opé­ra­teurs d’accéder à cette qua­li­fi­ca­tion ». D’où une série de pro­po­si­tions pour les for­ma­tions ini­tiales et conti­nues, pour des BTS, BUT et vali­da­tions d’acquis. Les besoins, pour le seul bas­sin gre­no­blois, sont éva­lués à deux cents postes de tech­ni­cien par an.

De quoi, au total, assu­rer effi­ca­ci­té et péren­ni­té à cet inves­tis­se­ment de 5,7 mil­liards d’euros.

Un nano­mètre équi­vaut à un mil­lio­nième de mil­li­mètre.

Lallement-CGT-Soitec-Gresivaudan/
Fabrice Lal­le­ment, repré­sen­tant de la CGT au conseil stra­té­gique de filière, et Kamel Mou­had, CGT Soi­tec.

Construire un Airbus de la micro

La puce n’est pas tout. Du silicium à la voiture électrique ou à l’ordinateur, l’industrie européenne abonde de trous dans la raquette.

Tout com­mence avec le sili­cium. En Asie, en Chine pour l’essentiel. C’est là qu’est pro­duit le sili­cium de qua­li­té « élec­tro­nique ». Avec aus­si l’Allemand Wacker, second pro­duc­teur mon­dial de poly­si­li­cium. Vient ensuite sa mise en « galettes ». Là, retour en Asie : Chine, Taï­wan, Corée… Et à nou­veau un Alle­mand, Sil­tro­nics, seul en Europe. « Per­mettre à Fer­ro­pem d’accéder à ce mar­ché stra­té­gique, en inves­tis­sant pour sa mon­tée en tech­no­lo­gie, assu­re­rait l’avenir de cette entre­prise », constate Fabrice Lal­le­ment, repré­sen­tant de la CGT au comi­té stra­té­gique de la filière élec­tro­nique, orga­nisme gou­ver­ne­men­tal.

De ces « galettes » de sili­cium, on fait des plaques sur les­quelles on implante des com­po­sants pour for­mer un cir­cuit inté­gré, autre­ment dit une « puce élec­tro­nique » : l’univers des salles blanches et de la minia­tu­ri­sa­tion.

Un assembleur menacé de disparition

C’est là qu’intervient la val­lée du Gré­si­vau­dan. Soi­tec y fabrique les plaques sur les­quelles sera gra­vé le des­sin du com­po­sant. ST Micro conçoit la gra­vure et fabrique le com­po­sant – tout en sous-trai­tant à des fon­deurs une par­tie de la pro­duc­tion de ses concep­tions. C’est à ce niveau que l’on parle des tech­no­lo­gies Fin­Fet et FD-SOI, et de la course à la minia­tu­ri­sa­tion : pas­ser sous les dix nano­mètres est un enjeu pla­né­taire. Cette opé­ra­tion est concer­née par l’investissement de 5,7 mil­liards d’euros annon­cé en juillet à Crolles par le pré­sident de la Répu­blique.

Le com­po­sant est la maille élé­men­taire de la carte élec­tro­nique qu’il faut encore assem­bler. « La pénu­rie qui touche l’automobile est pour moi­tié due à la pro­duc­tion de puces, mais pour moi­tié aus­si à l’insuffisance de pro­duc­tion des assem­bleurs », sou­ligne Fabrice Lal­le­ment. En Europe, ce sont des PME spé­cia­li­sées qui inter­viennent à ce niveau. En France, Cire­tec – près d’Orléans – est l’un de ces assem­bleurs, notam­ment sous-trai­tant de Tha­lès. Après un incen­die en jan­vier, l’usine est mena­cée de dis­pa­ri­tion : le groupe qui la pos­sède refuse d’investir dans sa recons­truc­tion. Là encore, l’Europe entre­tient sa dépen­dance à l’Asie.

A l’inverse, Sam­sung est le modèle d’un groupe inté­gré, de la puce à l’ordiphone, entre autres pro­duits. Ce qu’était Thom­son avant son déman­tè­le­ment.

Du sili­cium à la carte élec­tro­nique jusqu’au robot ou au télé­phone, une filière euro­péenne à construire. Air­bus l’a fait.

Un nano­mètre équi­vaut à un mil­lio­nième de mil­li­mètre.

États-Unis Chine, là aussi

Plus de la moi­tié des semi-conduc­teurs pro­duits dans le monde pro­vient de TSMC, un groupe taï­wa­nais. Plus le pro­duit est per­for­mant et plus cette pro­por­tion aug­mente. TSMC a annon­cé en 2021 un pro­gramme d’investissements de 100 mil­liards de dol­lars. Avec Sam­sung, la Corée est le second pays pro­duc­teur, devant les États-Unis. L’Europe est à l’origine de 8 % de la pro­duc­tion mon­diale – 40 % en 1990. La Chine – qui inter­vient déjà à tous les niveaux de la filière – rat­trape son retard tech­no­lo­gique : elle annonce être capable de pro­duire des puces à 7 nano­mètres – ST Micro pro­duit aujourd’hui à 28 nm. Les grandes manœuvres en cours s’effectuent sur fond de riva­li­té entre la Chine et les Etat-Unis. Pour les Etats-Unis, conser­ver une rela­tion pri­vi­lé­giée avec Taï­wan est un enjeu majeur pour son indus­trie.

JF-CLAPPAZ-Gresivaudan/
Jean-Fran­çois Clap­paz, vice-pré­sident à l’économie de la com­mu­nau­té de com­munes du Gré­si­vau­dan.

Une vallée face à l’arrivée des puces

La zone industrielle a été créée dans les années 70 par la municipalité communiste de Crolles. Net succès, cinquante ans plus tard.

« C’est une très bonne nou­velle ! », se réjouit Jean-Fran­çois Clap­paz, le vice-pré­sident à l’économie de la com­mu­nau­té de com­munes du Gré­si­vau­dan. Cet inves­tis­se­ment consti­tue l’une des concré­ti­sa­tions du label « Gré­si­vau­dan : Ter­ri­toire d’industries », pro­gramme natio­nal cen­sé pro­mou­voir les relo­ca­li­sa­tions indus­trielles. Dans ce cadre, les col­lec­ti­vi­tés sont invi­tées à orga­ni­ser les ter­ri­toires afin de favo­ri­ser l’implantation et le déve­lop­pe­ment des entre­prises.

Concer­nant l’extension de ST Microe­lec­tro­nics, la com­mu­nau­té de com­munes inter­vient à plu­sieurs niveaux. Tout d’abord à l’échelle du fon­cier, en prê­tant à l’industriel des ter­rains le temps que celui-ci réa­lise ses tra­vaux. ST réamé­nage son site. Des bâti­ments et des par­kings à étages – pour réduire l’emprise au sol – vont être construits et une deuxième uni­té de trai­te­ment de l’eau va être mise en ser­vice afin de la réuti­li­ser après une pre­mière dépol­lu­tion.

Adapter le service public

Autre défi de taille, celui de l’arrivée de plu­sieurs mil­liers de per­sonnes en comp­tant les sala­riés et leur famille. « Si l’on sait que toutes ne vont pas habi­ter dans le Gré­si­vau­dan et se répar­tir entre l’agglomération gre­no­bloise et le Voi­ron­nais, cela néces­site tout de même des adap­ta­tions consé­quentes en terme de trans­port, de loge­ment et de ser­vices publics. » Jean-Fran­çois Clap­paz compte sur le SMMAG pour déve­lop­per le trans­port.

Reste la ques­tion épi­neuse du loge­ment avec un fon­cier qui s’est envo­lé ces der­nières années. Entre des petites com­munes qui n’ont pas d’obligation en matière de loge­ment social, d’autres qui n’ont pas de fon­cier, de nou­velles lois contre l’artificialisation des sols, cela relève du casse-tête. Mais les élus de la col­lec­ti­vi­té, dans laquelle il n’y a pas de groupe poli­tique, ont lan­cé l’élaboration d’un nou­veau plan local de l’habitat pour rem­pla­cer celui qui est arri­vé à échéance en février 2019.

Grésivaudan

La com­mu­nau­té de com­munes a été créée en 2009. Elle compte 43 com­munes dont 35 de moins de 3 500 habi­tants. Aucune ville n’a plus de 15 000 habi­tants. Le Gré­si­vau­dan est la plus grande com­mu­nau­té de com­munes de France.

Zéro artificialisation

La ZAN (zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette) est ins­crite dans la loi cli­mat et rési­lience. Une mesure de l’artificialisation (voi­rie, habi­tat, indus­trie) effec­tuée entre 2011 et 2020 a éta­bli une jauge. Entre 2020 et 2037, on ne peut construire au delà de 50 % de cette jauge. En 2050, ce sera 0 %.

Industries

Le Gré­si­vau­dan a réha­bi­li­té plu­sieurs friches indus­trielles. Bom­bar­dier (construc­tion fer­ro­viaire) s’est ins­tal­lé sur l’ancien site d’Ascometal, au Chey­las. Le spé­cia­liste de l’énergie Sil­fens s’est lui aus­si ins­tal­lé au Chey­las. L’ancien site de Tyco elec­tro­nics, à Cha­pa­reillan, a été trans­for­mé en pôle d’activités. Sur la zone d’activité de Mou­lins Vieux, ancien site pape­tier à Pont­char­ra, la com­mu­nau­té de com­munes a fait dépol­luer trois hec­tares pour sept mil­lions d’euros et a com­mer­cia­li­sé vingt-et-un lots.

Logement social

L’attractivité de la val­lée est l’un des fac­teurs à l’origine de la crise du loge­ment dans la val­lée. A titre d’exemple, la com­mune de Mont­bon­not-Saint-Mar­tin compte 11,88 % de loge­ments sociaux. L’obligation légale en la matière est de 25 %.

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