Cécile Coulon. « Seule en sa demeure », l’Iconoclaste 2021
Par Régine Hausermann
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Cécile Coulon.
Lire. Les coups de coeur de Régine Hausermann.
Un mariage arrangé
Aimée Deville est une jeune fille, née à la fin du 19e siècle, au destin tristement banal. A dix-huit ans, ses parents la marient à un notable local, Candre Marchère, quarante-cinq ans. Ses parents l’aiment, comme ils aiment Claude, le cousin d’Aimée, devenu leur fils après le décès de ses parents. Aimée a grandi heureuse, dans une famille aimante. Son père n’est-il pas prénommé Amand ! Il ne l’oblige pas à épouser cet homme-là mais « à épouser un homme bon et il est le meilleur d’entre tous. » Candre est un industriel forestier, un homme pieux et riche, marqué par des drames familiaux : la mort de sa mère lorsqu’il était très jeune, la mort de sa jeune épouse peu de temps après le mariage. Alors, pour rassurer ses parents qui vieillissent, Aimée accepte, effrayée cependant de devoir « se mettre au lit avec un homme ». Son initiation à la sexualité se limite au spectacle d’une jument tenue aux mors tandis qu’un étalon la montait. En quelques semaines l’affaire est réglée. Aimée arrive dans la grande propriété de son mari, au cœur de la forêt d’Or.
Dans les sombres forêts du Jura
« Un paysage de couleurs sombres s’étalait jusqu’au portail. Tout autour du domaine, rien que des bois. Au loin, on entendait à peine le bourdonnement des ateliers. La jeune femme se maintint au bras de son mari comme à la rambarde d’un navire : la forêt l’étouffait, les fleurs l’agressaient. Tout l’oppressait. Sa peau sous sa roble gonflait. Il lui semblait que la vie humaine avait déserté ces terrres, que les larges étendues de son enfance au clos Deville s’éloignaient. »
Cécile Coulon — dont c’est le huitième roman – accorde une grande importance au lieu de ses romans qu’elle choisit en premier. Ce sont les sapins noirs et verts, étouffants et protecteurs, qui entourent les Salines d’Arc-et-Senans dans le Jura qui ont nourri son imaginaire. Cet endroit qu’elle a traversé de nuit, à plusieurs reprises, lors d’un mois de novembre, sept ans avant le début de l’écriture, lui a laissé des impressions fortes qu’elle prête à son personnage.
Aimée oscille entre terreur et envoûtement pour cette forêt ronde et grouillante, sorte de ventre végétal, nourricier et protecteur mais clos.
Elle vit entre Candre, tendre et attentionné, et Henria, la domestique qui l’a élevé à la mort de sa mère. La quatrième nuit, Candre lui rend enfin visite mais ne la brusque pas, respectant son effroi. Elle est tenue éveillée par « la détresse de ne pas avoir envie d’être prise par cet homme, ni par aucun autre, et de devoir, bientôt, souffrir sous l’amour qu’il faudrait bien accomplir, sans désir et sans feu. »
L’éveil du plaisir et du désir
Quelquefois, elle aperçoit un très beau jeune homme, le fils naturel d’Henria, qu’on dit muet, Angelin. Son comportement l’intrigue comme celui d’Henria et de Candre. Elle se met à soupçonner des secrets et charge Claude d’enquêter sur Angelin, présenté par son mari comme un mauvais garçon.
Son quotidien est heureusement égayé par des leçons de flûte. Son mari a accédé à sa demande et a fait venir une professeure depuis Genève. Chaque jeudi, Aimée attend Emeline avec impatience, car Emeline a réveillé son corps en la prenant « à la nuque et au dos », en « appuyant sur son ventre » pour lui enseigner la position nécessaire à la pratique de l’instrument. La jeune femme devient consciente de la réalité du plaisir.
Un roman captivant
Soudain l’intrigue s’emballe, prend des allures de polar poétique. Candre est-il un monstre ? Ou bien Angelin ? Quel secret ronge le domaine ? Comment s’en échapper ?
Cécile Coulon ne cache pas ses influences — Une vie de Maupassant, Rebecca de Daphné du Maurier et le film d’Hitchcock, Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë – qu’elle a dévoré à l’adolescence. Elle assume le schéma « classique » du roman d’apprentissage dans lequel une jeune femme découvre la vie après un mariage arrangé. Elle en propose un nouveau point de vue en accordant au corps une dimension nouvelle. La structure du roman en témoigne, crûment, les trois parties s’intitulant : « le cœur », « la langue », « le ventre ».