© Matthieu Ponchel

Istiqlal – « indépendance politique » en arabe – situe les enjeux de la pièce. Six femmes et trois hommes s’avancent sur le sable couvrant le plateau où se jouent les rapports de force ordinaires du patriarcat et du colonialisme : soumettre les femmes aux désirs et à la volonté des hommes.Tamara Al Saadi, dramaturge franco-irakienne, née en 1986 à Bagdad, « aspire à rendre visible ce qu’on ne peut pas voir ». Et pour cela elle a enquêté, alliant recherches et entretiens avec des reporters de guerre, des chercheurs sur le monde arabe, mais aussi des membres de sa propre famille. Le cheminement de la jeune Leïla vers l’indépendance, rompant ainsi avec la condition de générations de femmes, tient les spectatrices et les spectateurs en haleine.

Des voiles blancs tombent des cintres sur le sable brun et des espaces recouverts de parquet. Des silhouettes entrent sur scène, l’une en vêtements à l’occidentale, les autres en tunique orientale, semblant émerger d’un ailleurs, fantômes d’un passé ignoré. Contrairement à sa mère, Leïla ne parle pas l’arabe et n’en éprouve pas le besoin.

Mais sa rencontre avec Julien, reporter de guerre français travaillant en Irak et parlant arabe, crée un manque. N’est-elle pas irakienne ? Elle veut savoir, comprendre. Où est née sa mère ? Pourquoi est-elle partie ? Mais sa mère n’aime pas évoquer le passé. Les réponses sont apportées lors de séquences qui mettent en scène les femmes de cinq générations en butte à la violence.

L’arrière-grand-mère violée par un Anglais, plaquée sur le sol, étouffée, résistant en dissociant son corps de son esprit, qu’elle tourne vers le ciel étoilé.
La grand-mère, enfant du viol, métisse, frappée par son beau-père  parce qu’elle veut apprendre à lire et à écrire, comme son frère. Elle est sauvée par un homme qu’elle consent à épouser en échange de la promesse qu’elle pourra satisfaire son désir d’apprendre… et qui la tuera parce qu’elle veut s’émanciper.

La mère cherche à oublier tout en restant proche de sa culture d’origine, en préparant des poivrons farcis avec Leïla, en se livrant à une exhibition de danse orientale qui crée une parenthèse joyeuse dans le spectacle.

Au gré des séquences, les strates du récit s’imbriquent et l’histoire prend sens. En période de paix comme en période de guerre, la femme est, pour le mâle, un bien meuble, qu’il peut posséder à sa guise, sur laquelle il s’arroge le droit de vie ou de mort. Les héroïnes de la pièce témoignent, se révoltent, en meurent, mais combattent, préparant la voie de l’émancipation des femmes.

écologiste

© Matthieu Ponchel

Lorsque Leïla prend conscience de sa dépendance à Julien, dont les amis lui déplaisent, qui ne veut pas d’enfant, qui entre et sort de sa vie au gré de ses missions, elle trouve la force de s’affranchir de ce lien de servitude. Tamara Al Saadi précise ses intentions : «  Istiqlal a pour objectif de transposer les processus d’assimilation et les réflexes orientalistes que peuvent éprouver les femmes arabes. Cette banalisation alliant patriarcat et racisme ordinaire est un legs sous-jacent qui existe dans toutes les franges de la société.  A cet égard, le couple formé par l’ancien colonisateur et l’ancienne colonisée est une métaphore de la relation entre Occident et Orient. »

La construction non linéaire de la pièce, la beauté du décor qui va en se dépouillant, la variété des registres alternant l’émotion et la drôlerie, la douceur et la colère, la poésie et l’action en font un très fort moment de théâtre.

Représentation du 4 mai 2022

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