MC2-Grenoble –  Ce qu’il faut dire  — Un coup au plexus

Par Régine Hausermann

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Ce Qu’il Faut Dire. ©Jean Louis Fernandez

Ce qu’il faut dire, c’est l’inverse du discours occidental et colonialiste sur l’Afrique, les subsaharien·nes, la couleur noire, l’Histoire. Léonora Miano, autrice camerounaise de langue française, adopte le point de vue autre, celui des Africain·nes, et le formule sans fioritures, sans ménagement. Stanislas Nordey, metteur en scène, transforme la scène en une sorte de ring mais les coups sont portés au plexus des spectateurs et spectatrices, très majoriairement blanc·hes, par les comédien·nes noir·es, qui prennent la parole successivement. Trois soirées intenses.

Lorsqu’on entre dans la salle Riz­zar­do, on est éton­née de voir des pro­jec­teurs, noirs et lourds, sus­pen­dus hori­zon­ta­le­ment au ras du pla­teau sur lequel sont des­si­nées les lignes d’un ter­rain de sport. Lorsque le spec­tacle com­mence, les quatre struc­tures métal­liques aux­quelles les pro­jec­teurs éteints sont accro­chés se lèvent len­te­ment, puis se sta­bi­lisent. De temps à autre, on y jette un œil.

Pre­mier round — La Ques­tion blanche

Ysa­nis Pado­nou, assise sur un tabou­ret, com­mence à par­ler dans un micro tan­dis qu’elle est fil­mée et que son visage est pro­je­té en gros plan sur le fond de scène. Mal­gré le micro, sa parole est suave. Elle s’adresse len­te­ment, dis­tinc­te­ment, à un inter­lo­cu­teur blanc. Elle pose des ques­tions, amorce un dia­logue, qui tourne au soli­loque, car aucune réponse ne vient. Echange impos­sible. Que signi­fie être dési­gné noir ou blanc ? Que signi­fie la race ? Que signi­fie l’Afrique ?

« Moi Je n’ai pas eu le choix/ Les déshé­ri­tés n’ont d’autre solu­tion
que de faire de la récupération/ Aus­cul­ter la Terre Plon­ger les mains dans la pous­sière Ramas­ser les débris/ Redon­ner vie/ Assem­bler Col­ma­ter ; Ima­gi­ner, Mélan­ger Trans­for­mer Recréer »

Ce

Ce Qu’il Faut Dire ©Jean Louis Fer­nan­dez

Deuxième round – Le Fond des choses

Mélo­dy Pini, tout de rouge vêtue, fait irrup­tion sur scène, bouge, danse avec les mots, sur un fond de scène colo­ré crû­ment, affi­chant les mots qui dérangent. « Colo­nia­lisme » « Immi­gra­tion » « Racia­li­sa­tion ». Elle aus­si remet les choses à l’endroit, en revi­si­tant l’Histoire du conti­nent afri­cain, de son rap­port aux « immi­grés », ces blancs qui sont venus l’envahir.

« C’est dans ses abysses que pal­pite la mémoire Et elle a son uti­li­té Pour savoir qui on est Savoir qui sont les autres Com­prendre de quelle manière on est liés aux autres que les autres habitent Non seule­ment avec nous/ Mais en nous »

Ce

Ce Qu’il Faut Dire ©Jean Louis Fer­nan­dez

Troi­sième round – La fin des fins

Océane Caï­ra­ty, en cos­tume pan­ta­lon vert, calme, déter­mi­née, répond à son grand frère Maka. Elle ouvre des pers­pec­tives pour sor­tir de la rela­tion de domi­na­tion, pour recon­naître la gran­deur des oppri­més, pour repen­ser l’altérité.

« Le cri dont je te parle, celui qu’il aurait fal­lu faire entendre, c’est le vagis­se­ment des tré­pas­sés en ce monde reve­nu, le cri de notre renais­sance, cette glo­rieuse cla­meur. Nous debout. / Cepen­dant nous ram­pons, et à l’hilarité du monde, nous n’avons à répondre que noms per­dus, langues enfuies, demeures assié­gées, culture bafoué, nos exis­tences pro­fa­nées, la fer­veur de notre alié­na­tion ».

Elle affirme la richesse cultu­relle des subsaharien·nes. « Indé­lé­biles puisque nous sommes là En dépit des arra­che­ments, des sévices, de l’injure. / Nous avons tant à dire , tant à ensei­gner aux peuples de la terre, /Maka./ Nous les peu, nous les rien.. »

Les trois rounds sont scan­dés sur scène par la per­cus­sion­niste Lucie Del­mas qui en accen­tue l’énergie.

CQFD

Les pro­jec­teurs se sont allu­més et l’œil peut main­te­nant être sûr de ce qu’il avait devi­né, lorsqu’il remon­tait de temps à autre vers les cintres. Quatre lettres flam­boyantes sur­plombent le ring : CQFD. Ce Qu’il Faut Dire, détour­ne­ment de … Ce Qu’il Fal­lait Démon­trer !

On salue l’engagement de Sta­nis­las Nor­dey, son sou­ci de repré­sen­ter les écri­tures contem­po­raines et par­ti­cu­liè­re­ment celles de femmes, de valo­ri­ser la diver­si­té dans son école du TNS (Théâre Natio­nal de Stras­bourg) et sur les pla­teaux.

« J’ai ren­con­tré Océane Caï­ra­ty, Mélo­dy Pini et Ysa­nis Pado­nou à l’École du TNS. Elles portent en elles la France d’aujourd’hui, celle d’une jeu­nesse achar­née à faire voler en éclats les cli­chés, les retards d’une socié­té qui ne sait par­fois pas ouvrir les yeux sur elle-même. Elles sont talen­tueuses avant toute chose mais leur pré­sence d’Afropéennes, selon la ter­mi­no­lo­gie de Léo­no­ra Mia­no, éclaire évi­dem­ment le pla­teau de Ce qu’il faut dire d’une lumière par­ti­cu­lière. » Sta­nis­las Nor­dey octobre 2020

Dans le Tra­vailleur alpin de mai, un article sur Ces âmes cha­grines de Léo­no­ra Mia­no, un roman afro­péen qui explorent les rela­tions entre l’Hexagone, le Conti­nent, l’Intra-muros. Un coup de cœur !

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