La Rampe-Echirolles – Po-Cheng Tsai, une découverte !
Par Régine Hausermann
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La salle de la Rampe, remplie ce soir du 5 avril, n’a pu retenir son enthousiasme. Pour les jeunes filles et jeunes gens applaudissant debout, c’était une découverte. Pour nous aussi, pourtant plus habitué·es des styles chorégraphiques. Du jamais vu ! Subjuguant, émouvant. Po-Cheng Tsai – venu saluer à la fin du spectacle – a la silhouette gracile de ses danseurs et danseuses mais une énergie et une créativité exceptionnelles.
Timeless
Lorsque le large plateau s’éclaire, quatre silhouettes cassées, abîmées par le temps, sont posées comme des statues au mouvement figé, dans leurs longues robes beige et marron. Puis elles s’animent, à petits pas retenus. Les corps se tordent, manquent de chuter, les dos se cassent, les bras battent l’air à la recherche d’équilibre, les mains couvrent le visage en signe de souffrance, lentement. Elles se rapprochent, s’aident à supporter le poids de la vie. Et pour finir, se tournent de trois quart vers le public, lançant un regard, paroles muettes : « Nous sommes toujours debout ! »
18 mn de beauté, de lutte contre l’usure, le vieillissement. Sublime !
« Plus les années passent, plus la beauté des femmes grandit. L’élégance, la confiance, la sérénité, l’honnêteté, le courage croît dans leur cœur pour les aider à faire face au monde inconnu. Certaines d’entre elles peuvent choisir de vivre des parcours ordinaires, d’autres affinent la définition de la vie, et célèbrent le quotidien à chaque seconde. Dans le vent, j’entends les poèmes perdus dans le temps. La vie est infinie. – Pour ma mère. » Po-Cheng TSAI
Rage
La lumière tombe sur une tunique noire, posée bien à plat sur le sol, en même temps que tombent les paroles de Que reste-t-il de nos amours dans sa version anglaise, interprétée langoureusement par Yoga Lin, un chanteur Taïwanais :
What is left of our love
What is left of these beautiful days
A photograph, an old photograph of my youth [… ]
La chanson va jusqu’à son terme, nostalgique, lancinante. Rien ne bouge, ni sur scène, ni dans la salle. Jusqu’à l’irruption de quatre danseurs et quatre danseuses dont l’une est torse nu. Elle va revêtir sa tunique qui reposait là, arrachée par on ne sait qui, ou l’avait-elle oubliée ?
Un large demi-cercle se forme autour d’elle. Les corps se heurtent, chacun·e veut prendre la place de l’autre. Les mouvements traduisent des rapports de force, des sursauts, des agressions. On se frappe, on s’étrangle. On s’en prend à la jeune femme à la tunique noire, malmenée, jetée en l’air, en avant, en arrière, harcelée.
A certains moments, le groupe des huit artistes se fige en un tableau exprimant la souffrance ou l’horreur, bouches ouvertes, visages effarés. Effets cinématographiques puissants. Inspirés sans doute par le film de Lee Sang-il (2016) adapté du roman éponyme de l’écrivain japonais Yoshida Shuichi.
Les accès de rage se poursuivent sans guère d’accalmie. Colères individuelles ou collectives sont traduites dans des sauts improbables. La chorégraphie emprunte aux mouvements traditionnels asiatiques, aux arts martiaux et à la danse contemporaine. Le syncrétisme est surprenant, splendide.
40 minutes plus tard, descendent à nouveau des cintres les paroles de What is left of our love.
Rien et tout ai-je envie de répondre. Rien de notre jeunesse, de nos amours perdues. Tout de la beauté de leur évocation, de leur sublimation par l’art.
« Ce que je veux montrer, ce n’est pas l’extériorisation sauvage d’une rage envers la société… Rage met à nu la violence et la colère qui, au-delà d’une apparente sérénité, sourdent contre le moi intime, puis s’inversent en une réflexion sur le positionnement que ce moi peut adopter face aux grands problèmes sociaux. »
Po-Cheng TSAI, le directeur artistique et chorégraphe de la compagnie B. Dance est originaire de Kaohsiung, la grande métropole du Sud taïwanais. Après ses études secondaires, il a été admis à l’Université nationale des Arts de Taïpei. Une bourse lui a permis de faire un stage au Purchase College de New York avant qu’il ne rentre à Taïwan, en 2010, pour y obtenir son diplôme de fin d’études. Depuis lors, il n’a cessé de composer des chorégraphies.
Il est aujourd’hui reconnu internationalement et a obtenu de nombreux prix. Un artiste à suivre.
Pour les amoureuses et amoureux de la danse, un film à voir en ce moment, En Corps, de Cédric Klapisch.