©Julien Louisgrand.

Michel Raskine met en scène le texte écrit en 2011 par Laurent Mauvignier. Le romancier s’inspire librement d’un drame survenu à La Part-Dieu à Lyon, en décembre 2009: un garçon de 25 ans entre dans un supermarché, se dirige vers le rayon des bières, ouvre une canette et la boit ; repéré par les vigiles, il est entraîné dans une arrière-salle déserte, les coups s’abattent sur lui ; peu après il ne réagit plus ; il est mort.

Depuis sa publication en 2011 aux Editions de Minuit, le court récit de Laurent Mauvignier a déjà connu sept mises en scène au théâtre et une pour la danse. C’est dire la force du texte, son énergie dramatique. C’est dire aussi la volonté des artistes de lutter contre l’oubli, de réhabiliter une « vie minuscule ».

Dans le Petit Théâtre de la MC2, nous avons été emportée et émue, par la sobre mise en scène de Michel Raskine. Deux jeunes gens entrent sur scène en courant. L’un, d’emblée, crie son indignation : « Mourir pour une canette de bière ce n’est pas acceptable ». Il reprend les propos du procureur de l’époque dont l’antithèse fait froid dans le dos.

Le récit est lancé, la longue phrase de soixante pages, voulue par Laurent Mauvignier, pour faire exister une personne ordinaire, qui vit de petits boulots, qui loge dans un foyer, qui a soif, qui ne nie pas son « forfait », qui ne se défend pas, qui va en mourir.

L’art contre l’oubli

Thomas Rortais porte le texte avec nuances. Les premiers instants, on est saisie par la puissance de sa voix, accusatrice. Mais elle se calme rapidement, fluctue au gré des faits rapportés, prend de la distance pour souligner l’absurdité, le non-sens. La voix questionne aussi, sur les quatre vigiles, leurs motivations, les réactions de leurs épouses, de leurs enfants. Il oscille entre « il » et « tu » lorsqu’il s’adresse au frère de la victime, incarné par le percussionniste Louis Domallain. Très belle séquence de percussions sur une canette de bière, signe de la destination « normale » d’un tel objet : le plaisir et non la mort. Les baguettes frappent le sol, le portique métallique, le corps du comédien en sons métalliques ou sourds qui accompagnent et texte et offrent des respirations.

La scène est le plus souvent sombre, éclairée ponctuellement par des lumières violentes. Les couleurs dominantes, le noir et le blanc, puis le vert, celui des canettes, qui forment une plate-bande à cour et en fond de scène. On ne les découvre pas tout de suite, gommées par le noir ambiant, mais on les entend crisser lorsqu’elles sont remuées par les pieds des deux acteurs. On sort, saisie par l’émotion devant tant de violence faite à l’autre, en temps de paix, alors que se déchaîne la violence aveugle en Ukraine.

Témoigner, encore et toujours : la force de l’art.

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