MC2, Grenoble. Le monde ouvrier sur scène : jouissif !

Par Régine Hausermann

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L’anniversaire de la grand-mère : Evelyne Didi, incroyable de naturel et de drôlerie. Photos Pascal Victor.

« Huit heures ne font pas un jour » surprend par sa tonalité joyeuse et la vitalité du collectif. Les amateurs du cinéma de Rainer Werner Fassbinder – sombre et souvent tragique — ne s’attendaient pas à ce déferlement d’énergie et d’optimisme. Julie Deliquet, nouvelle directrice du TGP de Saint-Denis, en propose une mise en scène truculente, dynamique, avec quatorze comédiennes et comédiens, assumant une vingtaine de rôles. Les scènes à l’usine alternent avec les scènes de la vie privée. On rit, on se dispute, on lutte, on se réconcilie. Et dans la salle, on jubile !

Julie Deli­quet adapte Fass­bin­der

Après avoir adap­té Un conte de Noël d’Arnaud Des­ple­chin et Fan­ny et Alexandre d’Ingmar Berg­man pour la troupe de la Comé­die fran­çaise, Julie Deli­quet s’empare des épi­sodes de la série télé­vi­sée, com­man­dée à Fass­bin­der par la chaîne régio­nale alle­mande WDR, au début des années 1970. Le feuille­ton — comme on le disait à l’époque — était des­ti­né à un large public. Et non au public répu­té « bour­geois » des salles de théâtre. Fass­bin­der a choi­si de se faire l’écho des pré­oc­cu­pa­tions du plus grand nombre et de pla­cer le monde ouvrier au pre­mier plan de son action, à tra­vers le quo­ti­dien d’une famille. Et sans misé­ra­bi­lisme !

Pre­mière ten­ta­tive sérieuse à la télé­vi­sion alle­mande de com­bi­ner cri­tique sociale et diver­tis­se­ment popu­laire, la série aborde avec empa­thie et humour des pro­blé­ma­tiques clés telles que la ques­tion de la soli­da­ri­té au tra­vail, le pro­blème des loyers éle­vés ou du divorce… Elle devient un véri­table phé­no­mène de socié­té, pas­sion­nant les familles, créant moult débats entre cri­tiques, intel­lec­tuels et ouvriers.
(Acht stun­den sind kein tag, 1972, 7h55, cou­leur, avec Gott­fried John, Han­na Schy­gul­la, Luise Ulrich, Wer­ner Finck) 

Les Krü­ger-Epp et pas les Krupp ni les Thys­sen !

Famille typique de la classe ouvrière de Cologne, les Krü­ger-Epp sont réunis pour fêter les soixante ans de la grand-mère, une veuve un peu fan­tasque qui vit chez sa fille, son gendre et son petit-fils Jochen. Alors que ce der­nier est par­ti ravi­tailler la troupe en cham­pagne, il croise sur son che­min la jolie Marion et l’invite à se joindre à eux. Ce sera le début d’une grande his­toire d’amour entre cet ouvrier tou­jours prêt à lut­ter pour plus de jus­tice sociale dans son usine et cette jeune femme moderne et éman­ci­pée qui tra­vaille dans un jour­nal local. Entou­rés par leur famille, col­lègues et amis, Jochen et Marion appren­dront à par­ta­ger ensemble les joies et les dif­fi­cul­tés du quo­ti­dien…

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A l’u­sine.

« Une fable qui nous sert d’exemple »

Julie Deli­quet est convain­cue que les nom­breux thèmes que sou­lève la série – défense ouvrière, éman­ci­pa­tion fémi­nine, digni­té du troi­sième âge, droit des enfants – demeurent d’une actua­li­té poli­tique féconde.

« Mon­ter cette his­toire située dans les années 1970, avec son côté un peu sur­an­né, per­met de livrer non pas un miroir, car l’époque a chan­gé, mais une fable qui nous sert d’exemple. Il s’agit de reprendre espoir ensemble. Tout seul on ne peut rien. On l’a bien vu pen­dant la pan­dé­mie, ici à Saint-Denis : la soli­da­ri­té et l’intelligence col­lec­tive pour répondre aux pro­blèmes étaient extra­or­di­naires. Il y a eu par­tout des héros qui ont tenu car ils ont agi ensemble. Chez Fass­bin­der, la lutte ne vient pas d’une grande idée intel­lec­tuelle a prio­ri. Elle émerge de dif­fi­cul­tés concrètes, à échelle humaine. Contre tout misé­ra­bi­lisme, il fait de l’union et de la force de l’imagination des armes pour ne plus subir. Les solu­tions peuvent d’ailleurs être illé­gales, ce qui rend les per­son­nages très irré­vé­ren­cieux et très drôles : ils sont joueurs et un peu fous, mais jamais seuls. Ils tentent de construire un nou­veau monde, sans savoir si ce monde va tenir. On sait bien que les années 1970 n’ont pas révo­lu­tion­né notre socié­té mais elles l’ont réin­ter­ro­gée. À nous de reprendre le relais de ce ques­tion­ne­ment. »

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Le mariage de Jochen et Marion.

Une mise en scène fluide et une scé­no­gra­phie astu­cieuse

Les scènes intimes ou col­lec­tives, pro­fes­sion­nelles ou fami­liales, s’enchaînent. L’atelier se trans­forme en appar­te­ment, le ves­tiaire de l’usine en salle des fêtes pour un mariage. Sous nos yeux. Sans inter­rup­tion. Sans presque qu’on s’en aper­çoive.

Les comé­diens sont étin­ce­lants, la dyna­mique de troupe intense. Eve­lyne Didi est éblouis­sante dans le rôle de la grand-mère indigne. On est sur­pris, lors des saluts, de décou­vrir que le jeune amou­reux de Moni­ka est — dans la vraie vie – bien plus âgé que son rôle. Bra­him Kou­ta­ri, bra­vo !

C’était en jan­vier 2022 à la MC2. C’était une grande soi­rée.

Régine Hau­ser­mann

La tour­née conti­nue

Châ­teau­val­lon – Le Liber­té, scène natio­nale, Tou­lon, les 4 et 5 mars
Théâtre Joliette, scène conven­tion­née, Mar­seille, du 10 au 12 mars
Théâtre de l’Union, centre dra­ma­tique natio­nal, Limoges, les 17 et 18 mars
Comé­die de Reims, centre dra­ma­tique natio­nal, du 23 au 25 mars
Comé­die de Caen, centre dra­ma­tique natio­nal de Nor­man­die, les 6 et 7 avril

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