La Rampe-Echirolles. Chef d’œuvre insolite ; époustouflant !

Par Travailleur Alpin

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Image principale
La Tarara, gitane à l’identité complexe et sulfureuse.

Pléonasme ? Un chef d’œuvre n’est-il pas forcément insolite, rompant avec notre horizon culturel ? Ce mardi soir de janvier, La Rampe nous a offert un spectacle à couper le souffle. Un voyage dans le temps, musical, poétique et chorégraphique. Romances Inciertos, un autre Orlando. François Chaignaud / Nino Laisné.

Le noir des­cend sur le pla­teau d’où s’élève une mélo­die d’Astor Piaz­zo­la, Tris­tesse d’un double A. L’univers musi­cal du ban­do­néon emporte la salle puis se déploie, avec l’entrée du théorbe, de la viole de gambe et des per­cus­sions tra­di­tion­nelles. Quatre grands pan­neaux repré­sen­tant des pay­sages buco­liques, déli­ca­te­ment éclai­rés, contri­buent au dépay­se­ment. Musique et pein­ture nous pré­parent à l’entrée en scène du dan­seur et chan­teur Fran­çois Chai­gnaud.

Acte 1 – La Don­cel­la Guer­re­ra
Des pay­sages peints semble sur­gir un conquis­ta­dor, la Don­cel­la Guer­re­ra, jeune fille par­tant en guerre sous les traits d’un homme.

La

La Don­cel­la Guer­re­ra.

Pieds nus, coif­fé d’un casque, le guer­rier mêle figures de la danse baroque, motifs orien­taux et sauts spec­ta­cu­laires. Il se met à chan­ter, en espa­gnol, la Romance de la Don­cel­la Guer­re­ra, chan­son popu­laire qui évoque le des­tin tra­gique de cette jeune fille qui vou­lut par­tir à la guerre pour plaire à son père, « capi­taine sévil­lan », géni­teur de six filles mais sans héri­tier mâle. D’abord réti­cent, le père donne son accord. La Don­cel­la se coupe les che­veux, monte à che­val. Las, son épée lui échappe.

« Pauvre guer­rière,
 pauvre guer­rière que je suis ! »

Las, ses trop beaux yeux séduisent le Roi qui a enten­du sa lamen­ta­tion.

« Mère, les yeux de Mar­cos

sont ceux d’une femme, non d’un homme. »

La mère du Roi pro­pose l’épreuve du bain. Mais Mar­cos, alias La Don­cel­la, refuse le mariage et la honte d’être décou­verte.

« Tan­dis que tous les cava­liers

com­men­çaient à se désha­biller,

le cava­lier Don Mar­cos

dis­pa­rais­sait dans les flots. »

Dans un der­nier chant — No soy yo quien veis vivir / Je ne suis pas celui que vous voyez vivre — la voix de tête se mue en voix de poi­trine, au point qu’on se demande si ce n’est pas un musi­cien qui répond à la Don­cel­la. Le second acte nous détrom­pe­ra en nous révé­lant clai­re­ment l’étendue de la tes­si­ture vocale de l’interprète.

Les musi­ciens accom­pagnent la sor­tie de la jeune guer­rière et pré­parent l’entrée d’un nou­vel ava­tar d’Orlando.

Acte 2 – San Miguel, l’archange andro­gyne

Fran­çois Chai­gnaud fait une entrée éblouis­sante en habits orange et jaunes, juché sur des échasses. Défiant la pesan­teur, il vire­volte sur la scène, saute, se contemple, simule la colère, tombe amou­reux, d’un homme, d’une femme, peu importe ! Il chante le poème de Fede­ri­co García Lor­ca, ins­pi­ré d’une chan­son popu­laire du jeu­di saint, dans lequel un San Miguel nar­cis­sique cède à la volup­té.

« San Miguel cou­vert de den­telles

dans l’alcôve de sa tour

découvre ses belles cuisses
déco­rées de lam­pions. »

San

San Miguel en habit de lumière et en équi­libre pré­caire.

On tremble de voir le dan­seur tré­bu­cher, empor­té par les pas­sions de son per­son­nage. La jupe en corolle semble l’emporter vers le para­dis, jusqu’à ce qu’il s’éteigne, sup­por­té par les musi­ciens, après un der­nier cri d’amour venu d’une zar­zue­la baroque du XVIIIe siècle.

« Ay, Amour ! Ay, ma Cle­lia !

Reçois ceci, que je t’envoie.

Des sou­pirs de mon cœur

qui, dans un der­nier souffle,

te par­le­ront de mon tour­ment,

si en eux tu trouves une expli­ca­tion. »

Quand

Quand les arts se conjuguent.

Un nou­vel inter­lude ins­tru­men­tal nous garde sous le charme d’Orlando, moment flot­tant pen­dant lequel on attend le retour d’Orlando. La voix pré­cède l’apparition, sus­ci­tant là encore la sur­prise. D’où vient cette voix qu’on atten­dait sur­gir entre les pan­neaux cen­traux ? Elle des­cend des gra­dins de la Rampe.

Acte 3 – La Tara­ra

La

La Tara­ra, gitane sen­suelle et ardente.

Une gitane en robe bleue, accro­chant la lumière, caresse les spec­ta­teurs au cours de sa des­cente vers la scène. Le ton est char­meur, les pro­pos sen­suels.

« Ay folle Tara­ra
roule des hanches
pour les gar­çons
des oli­viers. »

Plus tard, La Tara­ra, vic­time d’un mau­vais sort, se lamente.

« Gitane qui marche seule
à la recherche d’un amour
Et qui a autant d’épines,
Dans son âme que dans ses pieds »

Un der­nier mou­ve­ment la voit se dévê­tir, rageuse, et appa­raître en tenue de fla­men­co mas­cu­lin : pan­ta­lon ser­ré, torse à demi-nu, muscles ban­dés. La Tara­ra, à l’identité com­plexe et sul­fu­reuse, être
 andro­gyne, se rap­proche des spec­ta­trices et spec­ta­teurs du pre­mier rang, sem­blant cher­cher ten­dresse et com­pré­hen­sion auprès d’elles, auprès d’eux.

ROMANCES

La Tara­ra, méta­mor­pho­sée.

Ce spec­tacle est magique. Dif­fi­cile de se pas­ser de super­la­tifs tant l’émotion est forte et la sur­prise totale. La lec­ture rapide du livret dis­tri­bué à l’entrée per­met­tait de mesu­rer l’ampleur du tra­vail au niveau des sources, tant lit­té­raires que musi­co­lo­giques. On aurait pu craindre une construc­tion intel­lec­tuelle… Mais l’enthousiasme sus­ci­té au fes­ti­val d’Avignon 2018 nous lais­sait sereins. Au moment des saluts, nous étions com­blés, comme rare­ment.

L’art de Fran­çois Chai­gnaud, maître de la méta­mor­phose, chan­teur lyrique et dan­seur d’exception, ne doit en rien faire oublier le tra­vail fon­da­men­tal de Nino Lais­né, concep­teur, met­teur en scène et direc­teur musi­cal.

Fran­çois Chai­gnaud est artiste asso­cié à Bon­lieu Scène natio­nale Anne­cy.  Nino Lais­né est membre de l’Académie de France à Madrid – Casa de Veláz­quez.

Régine Hau­ser­mann

François

Nino Lais­né et Fran­çois Chai­gnaud en 2018.

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