Métropole de Grenoble. Le dessous des cartes de l’Ovni majoritaire
Par Luc Renaud
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La métropole grenobloise, aux caractéristiques uniques en France. À bien des égards.
Un président élu contre la majorité… de sa majorité sortante, une « inflexion » dans la gestion des transports publics, des échanges de courrier aigre-doux… voilà qui ne ressemble guère à un chemin bordé de roses. Enquête sur neuf mois de gestation d’une gouvernance qui n’a pas fini d’étonner.
« J’attire votre attention sur… » La formule émaille le dernier courrier, daté du 28 mars, adressé par le président de Grenoble Alpes métropole au maire de la ville de Grenoble. Deux pages d’un texte où Christophe Ferrari suggère à Eric Piolle des mesures à prendre par la ville de Grenoble pour… améliorer la qualité de l’air dans l’agglomération.
Une réponse du berger à la bergère. Le 11 janvier, le maire de Grenoble et celui de Champagnier s’étaient adressés à Christophe Ferrari. Pour lui demander d’agir… sur la qualité de l’air. A l’époque, ils s’étaient attirés les foudres du président de la métro et de celui du syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG), entre autres, sur un ton des plus virulents, pour ne pas dire davantage.
Une illustration du climat qui règne entre le président et une partie de sa majorité. Majorité ?
Pour comprendre, il faut revenir en arrière. Car la métropole grenobloise ne ressemble à aucune autre : son président n’a pas été élu par sa majorité mais par une fraction minoritaire des élus qui la composent, épaulée par les conseillers de l’opposition de droite.
Ce jour où tout bascule
C’était le 17 juillet de l’année dernière. Trois candidats et un premier tour de scrutin. Première surprise : contrairement à ce qui avait été publiquement annoncé, le groupe LREM ne présente pas de candidat. Yann Mongaburu, avec l’appui des groupes écologiste et communiste, obtient 52 voix. Christophe Ferrari , président sortant, est soutenu par le groupe socialiste et celui qui représente les communes de moindre dimension de l’agglomération, Notre métropole commune. Le groupe LREM vote pour Christophe Ferrari qui totalise 51 voix. Le représentant de la droite, Dominique Escaron, maire du Sappey, recueille 16 suffrages. Un deuxième tour donne un résultat similaire : Mongaburu 53, Ferrari 51, Escaron 15.
Yann Mongaburu.
C’est là que tout bascule. Des réunions s’éternisent. Christophe Ferrari rencontre des élus LREM mais ne participe pas aux échanges entre les quatre groupes de gauche (UMA – écologistes-, CCC -communistes-, ACTES -socialistes-, et NMC -communes « rurales »). « Ce moment saisissant, quand Christophe Ferrari refuse de nous voir, restera un moment que nous n’effacerons pas », commente un élu écologiste. Les quatre groupes parviennent à un accord : Christophe Ferrari se désistera en faveur du candidat de gauche arrivé en tête et un premier exécutif sera constitué de quatre vice-présidents, représentant chacun l’un des groupes de la majorité ainsi constituée.
« C’est lorsque nous sommes entrés en séance que nous avons compris que Christophe Ferrari maintiendrait sa candidature », se souvient Céline Delattes, conseillère écologiste grenobloise. Dans la foulée, Dominique Escaron annonce le retrait de sa candidature.
Christophe Ferrari.
Au troisième tour, Christophe Ferrari est élu en bénéficiant des suffrages des élus de droite, des élus LREM et d’une partie des élus de gauche. 62 voix contre 54 à Yann Mongaburu, une voix de plus, celle de Guillaume Lissy, maire socialiste de Seyssinet-Pariset et trois bulletins blanc. Christophe Ferrari restera comme l’un des rares – unique ? – président sortant de métropole réélu sans avoir viré en tête au premier tour. Minoritaire dans sa majorité sortante.
S’ouvre alors un été à peu près déconfiné au cours duquel chacun reprend son souffle. Ses esprits, peut-être aussi.
L’assemblée de Vizille
« Nous sommes élus par la population, cela implique entre autre la responsabilité de faire tourner les services, relève Pierre Labriet, élu communiste d’Échirolles, nous avons proposé de discuter, le blocage de l’institution n’était pas envisageable ». C’est « l’assemblée catharsis » de Vizille. Les élus des quatre groupes de gauche se retrouvent le 11 septembre dans la grande salle de la Locomotive. « Nous regardions tous nos pompes, raconte Guillaume Lissy, on s’était fait engueuler, on nous reprochait de ne pas être capables de nous entendre ». Ils s’entendent, donc, sur la composition d’un exécutif de vingt vice-présidents. Le souhait de voir confier à Yann Mongaburu un poste de premier vice-président se heurte toutefois à un refus de Christophe Ferrari.
Une agglomération de 49 communes et 450 000 habitants.
Elus et observateurs estiment néanmoins que la sortie de crise est à portée de main. Le conseil métropolitain est convoqué le 18 septembre avec à son ordre du jour la mise en place de son exécutif. Ce qui se fait habituellement dans la foulée de l’élection du président, lors de la même session…
Et là encore, l’élection se fait aux forceps : dans un premier temps, Christophe Ferrari propose l’élection de huit vice-présidents, tous membres des groupes Actes et NMC. Il indique vouloir renvoyer à plus tard la mise en place d’un exécutif complet, à vingt membres. Tollé sur les bancs communistes et écologistes. On craint un instant que le scénario de juillet ne se renouvelle, ce qui signifierait un changement de cap aux antipodes du choix des électeurs aux municipales.
Finalement, faute de majorité pour l’opération, ce sont bien vingt vice-présidents qui seront choisis, issus des quatre groupes de gauche. Leur liste sera communiquée sans numéro d’ordre, là encore à rebours de l’usage, ce qui évite de se prononcer publiquement sur le rang de Yann Mongaburu dans l’exécutif en formation.
La gestion du foncier présidée par un maire de droite
L’affaire n’est pas finie. Au SMMAG, l’ancien SMTC que présidait Yann Mongaburu, c’est Sylvain Laval qui est élu à la présidence. Sylvain Laval, maire de Saint-Martin-le-Vinoux, ex-directeur de cabinet de Nicole Belloubet lorsqu’elle était ministre de la Justice du premier gouvernement d’Emmanuel Macron.
Une nomination obtenue par le jeu des désignations de la métropole dans cette instance. Christophe Ferrari en est membre. Mais pas Guillaume Lissy, qui en avait manifesté le souhait, proposition écartée par le groupe socialiste. Sans lui en fournir la moindre explication. Élection acquise, aussi, par le jeu aussi de l’adhésion au SMMAG des communautés de communes du Grésivaudan et du Voironnais qui « font barrage » à la candidature écologiste de Florent Cholat, maire de Champagnier.
Le Forum, siège de Grenoble Alpes métropole.
Rebelote à l’établissement public foncier local (EPFL), un organisme qui joue un rôle de premier plan dans la gestion du foncier et, par là, du développement urbain. Rebelote à ceci près que c’est le maire de droite de Sassenage, Christian Coigné, qui l’emporte face au candidat de la métropole, le maire de Saint-Egrève, Laurent Amadieu. « Je ne crois pas que c’est ce que voulait Christophe, nous dira un élu socialiste, mais quand on commence à donner des gages à la droite, il arrive qu’on se fasse doubler. »
Double légitimité
Comment en est-on arrivé là ? « Nous sommes face à une double légitimité, commente Guillaume Lissy, d’un côté celle des élections municipales avec les succès écologistes ; de l’autre celle des maires et de leurs équipes qui ont été élus dans leurs communes ». Et Guillaume Lissy de noter que « sur les 49 maires de la métropole, 42 soutenaient Christophe Ferrari. » Plusieurs élus que nous avons rencontrés considèrent qu’une autre perpective aurait pu se dégager si la candidature de Yann Mongaburu n’avait pas été grenobloise.
Légitimités contradictoires, Yann Mongaburu partage ce constat. « Notre métropole est unique en France, dit-il, elle est faite d’un coeur qui compte parmi les plus denses du pays – après Paris et Lyon, mais devant Marseille ou Toulouse – et de communes de montagne ou rurales qui connaissent une tout autre réalité. » Pour Yann Mongaburu, « cette réalité doit être regardée en face et elle est essentielle pour la gouvernance de la métropole : il faut unir, tisser des liens de solidarité et non pas diviser ». Un Yann Mongaburu qui n’oublie pas de s’étonner au passage de l’étiquette de « petite commune rurale » attribuée à Saint-Martin-le-Vinoux, limitrophe du centre ville de Grenoble, pas vraiment agricole, et dont se prévaut son maire, Sylvain Laval, pour siéger sur les bancs du groupe Notre métropole commune.
L’un des coeurs urbain les plus denses du pays aux côtés de communes rurales de montagne.
Reste ce sentiment partagé par les élus des « petites communes » d’une certaine condescendance des poids lourds de l’agglomération à leur égard. « Ca n’a pas été correctement pris en compte et Christophe Ferrari a su jouer de ce sentiment en exacerbant la division centre/périphérie sans oublier d’appuyer l’idée, tout de même étrange en démocratie, que la gestion ne relève pas de choix politiques », commente un élu.
Le concept de majorité revisité
Mais revenons à l’actualité. Le président de Grenoble Alpes métropole peut-il aujourd’hui s’appuyer sur une majorité ?
Réponses contrastées. Parmi les élus que nous avons rencontrés, un point d’accord se dégage. Unanime, même : l’exécutif travaille. Des politiques sont mises en œuvre, même si c’est parfois au prix de débats rugueux. Nicolas Beron Perez, vice-président communiste au logement, a ainsi pu faire aboutir sa proposition d’encadrement des loyers.
Passé ce premier constat, les commentaires passent en « off ». Et ce qui se murmure est plus complexe. « Je crois qu’il ne faut pas employer le terme de majorité, nous confiera un élu écologiste métropolitain, quand on parle de majorité, on entend des élus qui travaillent ensemble pour définir et mettre en œuvre des projets communs, ce n’est pas le cas aujourd’hui à la métropole. » Et de nous expliquer que deux logiques s’affrontent, celle qui prend la mesure des problèmes écologiques et sociaux et qui est déterminée à les traiter et une autre – celle de la présidence -, qui minore les enjeux et l’ampleur des décisions à prendre. De fait, les élus des quatre groupes de gauche travaillent plutôt écologistes et communistes d’un côté et socialistes et NMC de l’autre. « Ce serait tromper nos électeurs et surtout ne pas leur donner les moyens d’intervenir dans le débat si nous faisions semblant que tout est normal. »
Au confluent du Drac et de l’Isère, la Presqu’ile, l’un des sites qui font la renommée internationale de la recherche grenobloise.
Ce à quoi d’autres élus « majoritaires » répondent d’une formule lapidaire : « si on n’est pas d’accord, on s’en va ». Tout en faisant remarquer que, lors des élections municipales, des listes ont été présentées, par des élus qui siègent aujourd’hui au sein du groupe écologiste, face aux maires communistes de Saint-Martin-d’Hères et d’Échirolles.
Symbole des difficultés, le contrat de mandature. Un texte qui fait le tour des ambitions du mandat, proposé à Christophe Ferrari en septembre 2020 par les communistes et les écologistes, qui non seulement n’est pas validé six mois plus tard mais n’a fait l’objet d’aucun retour ou de propositions de modification.
La décision budgétaire modificative attendue en septembre
Qu’en sera-t-il de l’avenir ? « Je fais confiance à l’intelligence collective », professe Guillaume Lissy qui concède toutefois : « on peut craindre que l’ambition soit soit un peu atténuée par la situation, mais je reste optimiste ».
Une échéance se profile à l’horizon, celle de la décision budgétaire modificative qui devrait intervenir après l’été. Et qui est déjà en préparation. « Il faudra des inflexions sur des choix politiques essentiels », indique Céline Delattes qui cite notamment la marche vers la gratuité de transports.
Et l’homme de la rue dans tout ça ? L’ambition est partagée par les élus communistes et écologistes : il est urgent de sortir du huis clos des couloirs de la métropole, de développer les contacts avec le monde associatif, d’expliquer ce que sont les enjeux et les différents choix, de permettre à chacun de donner son avis. Une démocratie participative que ces temps d’épidémie ne favorisent guère.
Les sept groupes des élus de Grenoble Alpes métropole
Une Métropole d’avance (UMA), écologistes.
Notre Métropole commune (NMC), « petites communes ».
Arc des communes en transitions écologiques et sociales (ACTES), socialistes et apparentés.
Communes, coopération et citoyenneté (CCC), communistes et apparentés.
Communes au coeur de la Métropole (CCM), droite.
Métropole territoires de progrès solidaires (MTPS), LaRem.
Groupe d’opposition – Société civile, divers droite et centre (GO-SCDDC), droite.