Rentrée culturelle : grand âge, chiffrages, floutage

Par Travailleur Alpin

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Le point de vue de Jean-Claude Lamarche

C’est le 7 octobre que nous avons fait notre ren­trée à la MC2 avec le spec­tacle Le jar­din de mon père écrit, mis en scène et inter­pré­té par Ali Dji­la­li-Bou­zi­na, mono­logue plein d’hu­mour qui évoque, à tra­vers les per­son­nages de la mère, du père, des enfants, ce qu’a été la vie d’un ouvrier algé­rien immi­gré et de sa famille en Alsace, une terre d’ac­cueil « exo­tique ». Un spec­tacle qui met les invi­sibles sur scène et qui sus­cite rire et émo­tion. La salle était pleine, compte tenu de la dis­tance phy­sique impo­sée entre les groupes de spec­ta­teurs. Même constat le 9 octobre dans l’au­di­to­rium avec le concert de jazz, en hom­mage à Ennio Mor­ri­cone, don­né par le quar­tet Ste­fa­no Di Bat­tis­ta (notre pho­to). Pour ces deux spec­tacles, une majo­ri­té de têtes blanches dans la salle. C’est comme avant ! Des per­sonnes âgées, dites « à risque », mais visi­ble­ment de milieu social aisé, qui consti­tuent une forte pro­por­tion des habi­tués de la MC2 et qui ne sont pas téta­ni­sées par la pré­sence de la pan­dé­mie de covid-19 et le dis­cours stres­sant des médias. Des per­sonnes âgées qui savent qu’elles sont « à risque » quelle que soit la mala­die : au cas où on l’i­gno­re­rait, il suf­fit de consul­ter les rubriques nécro­lo­giques des jour­naux pour consta­ter qu’une écra­sante majo­ri­té des décès concerne les per­sonnes de plus de 65 ans. Les jeunes ne sont pas non plus téta­ni­sés par la pan­dé­mie. Les ter­rasses des cafés qu’ils enva­hissent le soir très tard, les ras­sem­ble­ments fes­tifs qu’ils orga­nisent en témoignent. Leur insuf­fi­sante pré­sence dans cer­tains lieux cultu­rels, à cer­tains spec­tacles, résulte d’i­gno­rance et d’a prio­ri. Les acteurs cultu­rels, les ensei­gnants, les parents ont encore du pain sur la planche sur ce ter­rain.

Il n’en reste pas moins que la ren­trée cultu­relle est loin d’être apai­sée. D’un côté, un public qui aspire à retrou­ver toute l’é­mo­tion du spec­tacle vivant, de l’autre, l’in­quié­tude liée à la pan­dé­mie, entre­te­nue par les médias et la com­mu­ni­ca­tion lou­voyante et contra­dic­toire d’un gou­ver­ne­ment qui conti­nue de refu­ser la concer­ta­tion, la dis­cus­sion avec les citoyens et leurs repré­sen­tants à tous les niveaux, et qui s’en tient à des injonc­tions suc­ces­sives, au jour le jour, sans pers­pec­tive à moyenne ou longue échéance. D’un côté des spec­tacles qui affichent com­plet avec des listes d’at­tente, même dans les grandes salles , de l’autre une incer­ti­tude sur l’ef­fec­ti­vi­té du spec­tacle qui peut être repor­té ou annu­lé au der­nier moment.

On connais­sait les ensembles flous en mathé­ma­tique, la logique floue, il y aura main­te­nant la ren­trée cultu­relle floue de 2020. Un flou qu’en­tre­tient la com­mu­ni­ca­tion gou­ver­ne­men­tale sur les aides, cré­dits et bud­get accor­dés au sec­teur cultu­rel en grand dan­ger, un sec­teur où le nombre d’emplois qui risquent de dis­pa­raître est plus impor­tant que dans l’in­dus­trie. Les annonces se suc­cèdent : 2 mil­liards d’eu­ros pour un plan de relance consa­cré à la culture, 856 mil­lions d’aides spé­ci­fiques pour sou­te­nir le sec­teur cultu­rel (en plus de 2 mil­liards?), 220 mil­lions déblo­qués pour sau­ver les entre­prises du spec­tacle vivant (id?), 50 mil­lions pour la com­pen­sa­tion des pertes d’ex­ploi­ta­tion des salles de ciné­ma pri­vées (id?), + 3,82 mil­liards (+4,8%) pour le bud­get 2021 de la culture… En com­pa­rai­son, les pertes esti­mées dans le sec­teur cultu­rel pour 2020 s’é­lè­ve­raient à envi­ron 22 mil­liards d’eu­ros, pertes dont le spec­tacle vivant serait la prin­ci­pale vic­time. Voi­là de quoi lever le rideau de fumée sur le drame qui se joue.

Plus que jamais, le sec­teur cultu­rel, le spec­tacle vivant ont besoin de nous, un besoin vital, le public. Tous au spec­tacle !

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