Les chaussures André quittent Grenoble

Par Luc Renaud

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Après sa mise en redressement judiciaire, l’enseigne André fait l’objet d’un plan de reprise — qui doit encore être validé par le tribunal de commerce de Grenoble. Un plan qui prévoit la fermeture des deux magasins grenoblois et la suppression de près de deux cents emplois sur quatre cents.

« André, ce n’est pas une entre­prise comme une autre, il y a un état d’es­prit fami­lial, une his­toire ». Lau­rence Cla­ret est la délé­guée CGT de proxi­mi­té du groupe André, à Gre­noble. Elle est aus­si la res­pon­sable du maga­sin de la place Gre­nette. Un maga­sin qui devrait fer­mer d’i­ci quelques semaines, tout comme celui de Grand’­place, l’autre bou­tique gre­no­bloise de la marque.

Lau­rence Cla­ret, res­pon­sable du maga­sin André de la place Gre­nette, à Gre­noble.

Car le plan de reprise de l’en­seigne André n’a pas repê­ché ces deux maga­sins. Ils comptent par­mi les 51 qui seront fer­més en France. Sur 111 aujourd’­hui encore ouverts — en ges­tion directe ou affi­liés. La sup­pres­sion de près de deux cents emplois au total.

Les maga­sins André ont été pla­cés en redres­se­ment judi­ciaire le 23 mars der­nier. Un seul repre­neur s’est mani­fes­té, Fran­çois Fei­joo, qui a diri­gé l’en­tre­prise de 2005 à 2013 lors­qu’elle fai­sait par­tie du groupe Vivarte. Son plan de reprise doit être approu­vé — ou non, ce qui condui­rait à la liqui­da­tion pure et simple — le 28 juillet pro­chain par le tri­bu­nal de com­merce de Gre­noble.

Crise sanitaire

Le tri­bu­nal de Gre­noble, car André a été rache­tée à Vivarte en juillet 2018 par le spé­cia­liste de la vente de chaus­sures sur inter­net, la jeune entre­prise gre­no­bloise Spar­too. Qui s’en sépare aujourd’­hui. Son P D‑G, Boris Sara­ga­glia, a jus­ti­fié cette déci­sion par les dif­fi­cul­tés de l’en­seigne André après huit semaines de fer­me­ture induites par la crise sani­taire. Une perte de chiffre d’af­faires esti­mée à 250 000 euros par jour. Boris Sara­glia a éga­le­ment indi­qué qu’une ten­ta­tive de recherche de finan­ce­ments auprès de l’É­tat par le biais de la Banque publique d’in­ves­tis­se­ment s’é­tait heur­tée à une fin de non rece­voir.

Une histoire de près d’un siècle

Mais les dif­fi­cul­tés de la marque sont plus anciennes. « Place Gre­nette, nous avons per­du la moi­tié de notre fré­quen­ta­tion en six ans », constate Lau­rence Cla­ret. L’ex­pli­ca­tion ? « Il y en a évi­dem­ment plu­sieurs, mais je crois que notre posi­tion­ne­ment com­mer­cial a été brouillé par des stra­té­gies contra­dic­toires ». Depuis ses ori­gines — La Manu­fac­ture nan­céenne de chaus­sures a été créé en 1896 à Nan­cy et a pris le nom d’An­dré en 1903 -, ce qui a été le plus impor­tant fabri­cant de chaus­sures fran­çais s’a­dres­sait à un public plu­tôt popu­laire. André a été la base de la consti­tu­tion du groupe Vivarte (la Halle aux vête­ments, Minel­li, etc.) qui, face à une image de marque vieillis­sante, a modi­fié sa stra­té­gie dans les années 2010 avec un mode d’ordre, la mon­tée en gamme. Ambi­tion qui n’a pas por­té ses fruits, en géné­rant des inves­tis­se­ments impor­tants tan­dis que se déve­lop­pait la vente de chaus­sures et de prêt-à-por­ter par des sites inter­net.

Le 1er juillet, la délé­ga­tion CGT avant l’au­dience devant le tri­bu­nal de com­merce de Gre­noble. Au centre, Chris­tophe Mar­tin, délé­gué syn­di­cal cen­tral CGT, et à sa droite Lau­rence Cla­ret et Franck Clet, membre de la direc­tion de la fédé­ra­tion CGT du com­merce.

C’est au cours de ces années de repo­si­tion­ne­ment que des déci­sions ont été prises qui conti­nuent de peser sur la ren­ta­bi­li­té d’An­dré, aujourd’­hui encore. « Nous étions pro­prié­taires de nos maga­sins, ils ont été ven­dus à ce moment-là et nous payons des loyers qui repré­sentent jus­qu’à 40% de notre chiffre d’af­faires », sou­ligne Lau­rence Cla­ret.

Le contact humain

La syn­di­ca­liste met éga­le­ment en cause la ges­tion de Spar­too, depuis la reprise. Le pro­jet de 2018 repo­sait sur deux piliers, com­plé­men­taires : la vente par inter­net, spé­cia­li­té de Spar­too, et la vente en maga­sin, le métier d’An­dré. « Nous avons pro­gres­sé dans l’u­ti­li­sa­tion de l’in­for­ma­tique, pour la vente ou la ges­tion des stocks, ana­lyse Lau­rence Cla­ret, mais nous avons per­du en qua­li­té de contact avec nos clients ». La réduc­tion des effec­tifs après la reprise Spar­too s’est en effet accom­pa­gnée d’un alour­dis­se­ment de la charge de tra­vail : « quand on est seule ou à deux, on ne peut pas conseiller les gens qui entrent dans le maga­sin et être en même temps sur la tablette pour gérer une com­mande ».

Les dix-huit mois Spartoo
Lau­rence Cla­ret et Muriel Bon­nel, deux des trois sala­riées du maga­sin de la place Gre­nette.

Lau­rence Cla­ret s’in­ter­roge par ailleurs sur la nature des rela­tions finan­cières entre la filiale André et la mai­son mère Spar­too. « L’u­ti­li­sa­tion de l’ou­til infor­ma­tique Spar­too a été fac­tu­ré à André, ce qui est logique ; mais dans l’autre sens, notre tra­vail de récep­tion des com­mandes Spar­too, par exemple, notre temps de tra­vail « André » consa­cré à Spar­too a‑t-il été fac­tu­ré dans la mêmes condi­tions à la mai­son mère ? » Une étude, confiée à un cabi­net d’ex­perts, la Seca­fi, par les repré­sen­tants du per­son­nel, est en cours pour faire le point sur ces fac­tu­ra­tions croi­sées.

Le maga­sin André de la place Gre­nette a été ouvert en 1928. Il va fer­mer défi­ni­ti­ve­ment d’i­ci quelques semaines. Les six sala­riées gre­no­bloises de l’en­seigne vont poin­ter au chô­mage. Un licen­cie­ment éco­no­mique indem­ni­sé sur les bases légales, sans coup de pouce. Après sou­vent des décen­nies de tra­vail. « Je vais cher­cher dans le com­merce, parce que c’est ce que j’aime, com­mente Lau­rence Cla­ret, mais vu la conjonc­ture et les sinistres qui s’an­noncent, je vais peut-être pas­ser des concours de la fonc­tion publique ».

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