Gilets jaunes, un procès politique perdu par le pouvoir

Par Edouard Schoene

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Six prévenus étaient convoqués ce 2 juillet au palais de justice de Grenoble devant le tribunal correctionnel de Grenoble. Cinq d’entre eux étaient jugés pour ne pas avoir répondu aux sommations de dispersion de la police, lors d’une manifestation des gilets jaunes le 1er mai après midi. La sixième était jugée pour être l’organisatrice de cette manifestation non autorisée.

D’entrée, la juge qui pré­si­dait le tri­bu­nal deman­dait expres­sé­ment que l’on ne parle pas de la mani­fes­ta­tion inter­syn­di­cale du matin, qui s’était dérou­lée tran­quille­ment et s’était pour­sui­vie par une ren­contre fes­tive au Jar­din de ville. Pour­tant la plu­part des incul­pés y avaient par­ti­ci­pé.

Dans la salle des pas per­dus du palais de jus­tice de Gre­noble.

La jeune fille pour­sui­vie pour orga­ni­sa­tion de la « mani­fes­ta­tion sau­vage » ‑en début d’a­près-midi place Gre­nette- n’a pas eu trop de dif­fi­cul­tés à expli­quer en quoi cette mani­fes­ta­tion n’était pas de son fait, mais dési­rée depuis des semaines par des col­lec­tifs gilets jaunes. Le fait de lire un texte, au Jar­din de ville, rédi­gé par d’autres, qui se ter­mi­nait par l’évocation d’une mani­fes­ta­tion à venir était suf­fi­sant pour que la police la convoque début mai 2019 et la retienne en garde à vue près de 24h.

Puis suc­ces­si­ve­ment cinq pré­ve­nus-es ont pris la parole. Il leur était repro­ché d’être res­tés dans la mani­fes­ta­tion mal­gré une som­ma­tion de la police de se dis­per­ser.

Plu­sieurs d’entre eux sont des tra­vailleurs sociaux. Aucun n’a eu le moindre geste contre les forces de l’ordre ni n’a dégra­dé quoi que ce soit.

Les décla­ra­tions suc­ces­sives étaient conver­gentes :

  • nous n’avons pas enten­du les ordres de dis­per­sion, du moins ceux lan­cés de la place Gre­nette, quelques ins­tants avant les contrôles poli­ciers ;
  • la vio­lence poli­cière a été d’im­por­tance ;
  • il nous a été impos­sible de quit­ter la mani­fes­ta­tion, étant encer­clés par les forces de l’ordre.

Pro­pos confir­més par plu­sieurs témoins venus à la barre. Curieu­se­ment la juge a sou­hai­té, à plu­sieurs reprises, recen­trer les pro­pos (cen­sé­ment libres…) sur le pour­quoi du non res­pect de l’ordre de dis­per­sion, ne vou­lant pas entendre les témoi­gnages sur la bru­ta­li­té insen­sée des CRS.

La tech­nique poli­cière de la nasse a été mise en cause par les avo­cats de la défense. Com­ment quit­ter un cor­tège quand c’est impos­sible ?

Or c’est pré­ci­sé­ment la tech­nique poli­cière de la « nasse » (encer­cle­ment, sou­ri­cière) qui a été déve­lop­pée par l’un des avo­cats. Cette tech­nique, impor­tée de Grande Bre­tagne, est uti­li­sée en France depuis 2016, avec l’application de l’article d’une loi de 2010 sur lequel s’appuie le pro­cu­reur, pour deman­der condam­na­tion des mani­fes­tants.

Quand on est encer­clé et que le seul che­min pour s’échapper , le « cou­loir » menant de la place Gre­nette au Jar­din de ville est bou­ché, il arrive ce qui est arri­vé aux cinq pré­ve­nus. La police les a blo­qués contre un mur, rue Mon­torge.

Contrôle d’identité : « on vous relâche tout de suite ». La moi­tié des per­sonnes contrô­lées (toutes prises en étau dans les mêmes condi­tions) sont relâ­chées. Un véhi­cule de police arrive et c’est le contre ordre : « on vous emmène à l’hôtel de police mais cela ne dure­ra pas ». Fina­le­ment les per­sonnes pas­se­ront une ving­taine d’heures en garde à vue.

Cela res­semble aux puni­tions col­lec­tives. Nos gou­ver­nants ne veulent pas de mani­fes­ta­tions. La police, qui applique les déci­sion du ministre de l’Intérieur, arrête au hasard quelques per­sonnes qui osent mani­fes­ter et engage une pro­cé­dure.

Madame la pro­cu­reure a com­men­cé sa réqui­si­tion de manière éton­nante.
Elle a rap­pe­lé avec une force répu­bli­caine inat­ten­due dans ce pré­toire pour cette audience, le droit inalié­nable en France de mani­fes­ter. Elle a même pré­ci­sé que le Conseil d’État a récem­ment condam­né les lois de res­tric­tion des mani­fes­ta­tions en période d’urgence sani­taire.
La pro­cu­reure a cepen­dant récla­mé une condam­na­tion des six mani­fes­tants pour n’avoir pas quit­té la mani­fes­ta­tion après les som­ma­tions. Elle a requis 400 € d’amende, avec sur­sis, sans ins­crip­tion au casier judi­ciaire.

Les avo­cats ont avec élo­quence défen­du leurs clients sou­li­gnant que ce pro­cès est un pro­cès poli­tique. « La loi du 10 avril 2019,  visant à ren­for­cer et garan­tir le main­tien de l’ordre public lors des mani­fes­ta­tions per­met de pas­ser en tri­bu­nal cor­rec­tion­nel un fait poli­tique comme l’af­faire qui nous occupe aujourd’hui. »

De la part des mani­fes­tants, il n’y a pas eu de vio­lences qui aurait pu jus­ti­fier un quel­conque « main­tien de l’ordre ».

Satis­fac­tion à l’is­sue d’un juge­ment qui n’im­plique aucune ins­crip­tion au casier judi­ciaire.

« Nous ne sommes pas face à des délin­quants mais à des citoyens qui veulent mani­fes­ter. Le pou­voir poli­tique demande à la jus­tice de répri­mer le droit de mani­fes­ter. Plu­sieurs des per­sonnes pré­sentes ici n’ont plus envie de mani­fes­ter. La répres­sion poli­cière, les pour­suites judi­ciaires ont pour but de faire recu­ler le droit de mani­fes­ter. Mes­dames les juges vous ne pou­vez pas aller dans ce sens. »

A l’is­sue d’un bref déli­bé­ré de minutes, le tri­bu­nal s’est pro­non­cé. Deux per­sonnes sont relaxées, dont la jeune fille dési­gnée comme orga­ni­sa­trice de la mani­fes­ta­tion. Quatre mani­fes­tants sont condam­nés tout en étant « dis­pen­sés de peine ». Il n’y aura pas d’ins­crip­tion de cette condam­na­tion au casier judi­ciaire.

Au cours de cette audience publique, le tri­bu­nal aura refu­sé de vision­ner une vidéo (pro­po­sée par les avo­cats de la défense), prise par un Gre­no­blois d’un étage de la place Gre­nette. On n’y enten­dait pas de som­ma­tions.

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