Un tiers des arrêts de travail déclarés en ligne ont été refusés par la CPAM

Par Luc Renaud

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Parmi les mesures prises dans le contexte de l’épidémie, celle de la possibilité de se déclarer soi-même en arrêt de travail pour les personnes dont la santé est fragile. Une déclaration ensuite validée par la CPAM. Ou pas. Les critères en vigueur en Isère ont conduit au rejet d’un tiers de ces demandes. Explications.

Sans res­source depuis plus de trois semaines et pour quelques temps encore sans doute ? C’est la situa­tion que vit aujourd’­hui Flore (*). Et ce n’est sans doute pas un cas unique.

Tout com­mence le 25 mars. Flore se déclare en arrêt mala­die sur le site ameli.fr. L’au­to­dé­cla­ra­tion est auto­ri­sée, de façon excep­tion­nelle, pour les per­sonnes fra­giles, dans le contexte de l’é­pi­dé­mie de coro­na­vi­rus. Elle a toutes les rai­sons pour se sen­tir vul­né­rable : ses pou­mons sont malades, elle est régu­liè­re­ment sui­vie pour cette affec­tion chro­nique.

Flore ne reçoit aucune réponse de la CPAM et encore moins d’indemnités jour­na­lières. « Je ne me suis pas trop inquié­tée, dit-elle, c’est un peu nor­mal dans la période que, vu le nombre de demandes à trai­ter, ça prenne plus de temps ». Au bout de seize jours, elle renou­velle une demande d’ex­pli­ca­tion… et la reçoit : son arrêt est refu­sé. Un cour­rier type dans lequel on peut lire que « les infor­ma­tions médi­cales dont nous dis­po­sons ne nous per­mettent mal­heu­reu­se­ment pas de vous déli­vrer un arrêt de tra­vail « .

Les recommandations du Haut conseil de la santé publique

L’o­ri­gine de ce refus ? Les cri­tères de vali­da­tion de ces décla­ra­tions excep­tion­nelles appli­qués par la CPAM de l’I­sère. Pour qu’une auto­dé­cla­ra­tion en arrêt mala­die soit valide, il faut qu’elle émane d’un assu­ré social trai­té pour une patho­lo­gie qui figure sur la liste éta­blie par le Haut conseil de la san­té publique. Le minis­tère de la San­té a ain­si publié le 13 mars, sur avis du Haut conseil de san­té publique (lire page 2 de cet avis), une liste des patho­lo­gies concer­nées sous le titre : « Coro­na­vi­rus : qui sont les per­sonnes fra­giles ». C’est à ces deux docu­ments que ren­voient les articles publiés sur ameli.fr

Pour Flore, pas de chance. Son dos­sier médi­cal ne com­porte pas de men­tions consi­dé­rées par la CPAM comme rele­vant des recom­man­da­tions du Haut conseil. Affaire d’in­ter­pré­ta­tion : les caisses pri­maires peuvent lire ces textes de façon plus ou moins res­tric­tive. Consi­dé­rer notam­ment que pour qu’une per­sonne puisse se décla­rer elle-même en arrêt de tra­vail, il faut qu’elle soit trai­tée pour une affec­tion longue durée (ALD) et que son dos­sier médi­cal le men­tionne.

Ce qui com­plique les choses, c’est que la liste publiée par le minis­tère de la San­té le 13 mars n’est pas rédi­gée dans les mêmes termes que la liste des trente affec­tions de longue durée (ALD). Le texte du minis­tère, comme l’a­vis du Haut conseil, ne font d’ailleurs pas expli­ci­te­ment réfé­rence à la liste des ALD. On peut d’autre part être aujourd’­hui concer­né par une ALD sans qu’elle ait été décla­rée avant le 13 mars et ne figure donc pas dans le dos­sier médi­cal.

Reve­nons à Flore. Sui­vi par une pneu­mo­logue, on pour­rait consi­dé­rer que son cas relève des « per­sonnes pré­sen­tant une patho­lo­gie chro­nique res­pi­ra­toire sus­cep­tible de décom­pen­ser lors d’une infec­tion virale » décrites dans la publi­ca­tion du minis­tère de la San­té du 13 mars. Tel n’a donc pas été l’a­vis de la CPAM — il ne nous appar­tient évi­dem­ment pas de prendre posi­tion sur le bien­fon­dé d’une déci­sion rela­tive à un cas par­ti­cu­lier.

Se faire prescrire par un médecin un nouvel arrêt de travail rétroactif

Reste une réa­li­té. Nombre de sala­riés ont pu consi­dé­rer — et à juste titre — qu’ils étaient en dan­ger, se sont décla­rés en ligne en arrêt mala­die. Près d’un tiers d’entre eux se sont trou­vés confron­tés à un refus de la CPAM de vali­der leur décla­ra­tion. Et par consé­quent à l’ab­sence de paie­ment d’in­dem­ni­tés jour­na­lières.

Karen Man­to­va­ni, élue CGT à la CPAM.

Le cas a donc été pré­vu. La lettre type de noti­fi­ca­tion de refus invite les assu­rés à se faire pres­crire un nou­vel arrêt de tra­vail par leur méde­cin, en pré­ci­sant que ce docu­ment pour­ra être rétro­ac­tif. Pré­ci­sion qui a son impor­tance : en période « nor­male », la Sécu­ri­té sociale inter­dit aux méde­cins de pres­crire rétro­ac­ti­ve­ment. Karen Man­to­va­ni, délé­guée CGT à la CPAM, insiste : « en allant voir son méde­cin pour se faire pres­crire un nou­vel arrêt de tra­vail, il est utile de se munir de la noti­fi­ca­tion de refus qui fait appa­raître cette pos­si­bi­li­té de rétro­ac­ti­vi­té ; des méde­cins peuvent se mon­trer réti­cents parce qu’il n’ont pas néces­sai­re­ment été infor­més de cette dis­po­si­tion excep­tion­nelle et cela pour­rait entraî­ner la perte de plu­sieurs semaines de ver­se­ment d’in­dem­ni­tés jour­na­lières ».

Flore a pris ren­dez-vous avec son méde­cin. Elle s’est auto­dé­cla­rée en arrêt le 25 mars. Le refus de la CPAM lui a été noti­fié le 11 avril, dix-sept jours après. Son nou­vel arrêt de tra­vail — d’une durée d’un mois, du 25 mars au 26 avril — est par­ti à la CPAM le 16 avril. Un envoi par la poste — avec les dif­fi­cul­tés que l’on connaît actuel­le­ment — et il fau­dra encore le temps de trai­ter la demande. On peut ima­gi­ner que les pre­mières indem­ni­tés jour­na­lières n’ont que peu de chances d’être ver­sées avant la fin du mois d’a­vril. Ce qui fera plus d’un mois — au mini­mum et dans le meilleur des cas — sans salaire ni res­source.

Il est dif­fi­cile de connaître le nombre de sala­riés concer­nés par ce retard de paie­ment. Il aurait sans doute été moindre si les cri­tères d’exa­men des demandes avaient été moins limi­ta­tifs, ce que per­met­tait sans doute la rédac­tion des recom­man­da­tions du Haut conseil de san­té publique.

Début avril, vingt jours de délais de traitement

Reste main­te­nant à réduire les délais de vali­da­tion des arrêts de tra­vail rédi­gés par des méde­cins pour réta­blir les droits des télé­dé­cla­ra­tions refu­sées.

Ce qui implique une sur­charge de tra­vail pour les agents. De fait, à la CPAM de l’I­sère, le nombre d’ar­rêts de tra­vail à trai­ter est de l’ordre de 10 000 par semaine, l’é­qui­valent de tout le mois de jan­vier. Des dis­po­si­tions ont été prises pour faire face à la situa­tion. Réaf­fec­ta­tion des agents, orga­ni­sa­tion du télé­tra­vail (que les dif­fi­cul­tés tech­niques n’é­pargnent pas), pos­si­bi­li­té d’heures sup­plé­men­taires et de tra­vail le same­di pour les agents volon­taires.

Mal­gré cela, début avril, le délai de trai­te­ment des indem­ni­tés jour­na­lières s’é­le­vait à vingt jours et la direc­tion envi­sa­geait la mobi­li­sa­tion de ren­forts pour rac­cour­cir ce délai.

Flore n’est déci­dé­ment pas seule dans sa situa­tion.

Et c’est le moment d’a­voir une pen­sée pour toutes les luttes menées afin que vive la Sécu­ri­té sociale et pour que la CPAM de l’I­sère ait les moyens, en per­son­nels et maté­riels, de rendre un ser­vice public de qua­li­té acces­sible à tous.

(*) Le pré­nom a été modi­fié.

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  • Une Sécu­ri­té Sociale nee des ordon­nances de 1945 dans un gou­ver­ne­ment gaul­liste et sous la menace d’une révolte popu­laire d’a­près-guerre. Ce com­pro­mis entre le patronat,l’État et les tra­vailleurs ‚loin d’être révo­lu­tion­naire a subi ‚depuis les  » purges » libé­rales de droite et de gauche au nom de la ren­ta­bi­li­té du capi­tal. L’heure n’est pas au rési­gne­ment, face au capi­tal mais à la révolte pour mettre en marche une Révo­lu­tion Sociale ‚liber­taire et éga­li­taire : l’A­nar­chisme.