Coupe du monde. Ce que ça pourrait changer pour les femmes… et le foot
Par Luc Renaud
/
Elles ont moins de trente ans, elles travaillent elles étudient et elles vivent à fond leur passion, le foot. Elles nous parlent des préjugés - en recul -, de leurs rêves - pro, pourquoi pas - ou de leurs espoirs - que l'organisation de la coupe du monde en France accélère le mouvement. Sept jeunes filles qui font le foot féminin d’aujourd’hui. Leur engagement sportif est total.
Elles sont sept : écolières, collégiennes ou déjà entrées dans la vie active ; blondes ou brunes ; petites ou grandes ; bien différentes l’une de l’autre mais toutes animées d’une même passion : le football. Peu de temps avant l’ouverture de la Coupe du monde féminine, nous avions rendez-vous avec elles au stade Benoît Frachon, à Saint-Martin‑d’Hères. Jouxtant Grenoble, leur cité a l’honneur d’avoir été choisie comme « résidence » pour deux équipes en compétition, la Corée et l’Australie dont les joueuses disposeront de l’excellente pelouse du stade Benoît Frachon. Pour assister à leurs entraînements, les sept jeunes filles seront sûrement présentes aux heures prévues. Avec la même exactitude qu’aujourd’hui pour répondre à nos questions, exercice pour lequel certaines sont moins à l’aise que balle au pied.
Étaient donc réunies, bonnes copines bien que n’appartenant pas toutes au même club : Anaïs, 18 ans lycéenne préparant son bac professionnel ; Camila, 16 ans élève de première ; Laurence… loin d’afficher ses 30 ans, employée au service municipal des sports ; Trinity, elle, par contre paraît bien plus que ses 11 ans ; Lyna, 12 ans, écolière, poids plume (32 kilos !) de la bande ; Sarah, 22 ans, opératrice en salle blanche ; et Alison, 21 ans, animatrice périscolaire.
Premier point commun : les sourires, les rires, bref la bonne humeur. Le second : toutes ont été très tôt attirées par le sport, ont parfois pratiqué différentes disciplines avant d’opter pour le football. Selon Trinity, leurs parents en sont « contents et fiers ». Y compris, maintenant, le papa de Lyna, un solide Nigérien qui ne souhaitait pas la voir pratiquer « un sport de garçons » mais qui a finalement cédé devant fille et maman unies pour le convaincre.
Laurence, l’aînée, le constate : « L’époque n’est plus où les rares filles joueuses de foot passaient pour des garçons manqués ou attiraient les moqueries ». Aujourd’hui l’affaire est entrée dans les mœurs. « Sauf chez des garçons, intervient timidement Lyna, à l’école, les plus petits disent qu’ils sont plus forts et nous méprisent un peu ! » Laurence confirme : « C’est vrai chez les plus jeunes, mais ça leur passe vite. Comme les clubs mélangent souvent garçons et filles de moins de dix-sept ans dans les équipes, les premiers se rendent compte que les secondes ont leur place sur le terrain. A la maison comme dans le public, l’idée reçue qui voudrait que les filles y soient plus gentilles, pas faites pour ça et plus maladroites la balle au pied, sont des a priori qui ont pratiquement disparu. D’ailleurs, que l’on soit garçon ou fille, quand on est passionné, l’engagement est le même ». Lyna le prouve sur le terrain paraît-il : « elle va volontiers au contact », malgré sa petite taille et sa fragilité apparente. Quant à Trinity, ses qualités ont déjà retenu l’attention des recruteurs de l’Olympique lyonnais qui semblent prêts à l’accueillir dans le centre de formation dès l’an prochain.
Une place sur le terrain gagnée balle au pied
Faire ainsi un pas vers le professionnalisme ne déplairait à aucune d’entre elles à l’exception peut-être d’Anaïs. Bien que pratiquante depuis trois ans, comme toutes par amour du foot sport collectif et de la compétition, elle envisage son avenir dans le sport mais pas en joueuse pro. Les autres y ont pensé, n’y ont pas encore renoncé ou en rêvent. « Depuis mes dix ans », précise Camila. Trinity aussi, qui côtoiera peut-être bientôt à Lyon son « modèle », l’internationale Delphine Cascarino. Sarah pense qu’« il est un peu tard » pour elle de viser si haut « mais pourquoi pas une place en D2 ? » Avec un an de moins, Alison ne s’estime « pas trop vieille » et mélange réalisme – « passer de R1 en D2 » – et rêve : « Pourquoi pas plus ? » Toutes ne retiennent d’un passage chez les pros que l’énorme avantage de « pouvoir vivre pleinement sa passion ». Les éventuelles retombées financières ne paraissent pas (encore ?) entrer en ligne de compte. D’ailleurs, si comme Anaïs elles trouvent « injuste » la différence de salaire entre joueuses et joueurs professionnels, elles semblent encore plus choquées par le montant faramineux des revenus de quelques vedettes.
Elles le sont aussi par les incidents racistes qui surviennent parfois sur ou aux abords d’un terrain, mais aucune d’entre elles n’en a été victime. Pas davantage d’ailleurs de brutalités. « Parfois ça secoue un peu et on peut laisser traîner un bras ou lâcher une insulte », reconnait Anaïs. « Mais ça ne va jamais très loin. C’est sous le coup de l’énervement… Surtout si l’on est menée. » Car si elles apprécient la compétition, ces souriantes demoiselles – tout comme les hommes – préfèrent en sortir victorieuses que battues.
Jean Rabaté
« Nous serons les héritiers de l’événement »
Trésorier bénévole du district de l’Isère, ancien joueur pro, Jacky Raymond évoque les retombées locales qu’il espère de la coupe du monde à Grenoble.
« Le district s’est investi dans la préparation de ce magnifique rendez-vous. En partenariat avec la métro, les clubs, l’Éducation nationale nous avons réussi à mettre en mouvement beaucoup de licenciés, d’éducateurs, de parents, de joueuses et joueurs. Des compétitions de jeunes ont été organisés dans les douze départements de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Celles organisés à Seyssinet, Morestel, La Tour-du-Pin, Crest ont toutes connu un large succès.
Pour que beaucoup d’amateurs puissent assister aux matches, notre district a proposé aux clubs l’achat de quatre packs d’entrée pour quatre matches et offert le cinquième. Pour les scolaires et étudiants nous avons pris en charge une place gratuite pour chaque billet acheté. Un soutien aux clubs qui porte ses fruits puisqu’à fin avril 55 000 billets étaient déjà acquis soit 50 % des places disponibles.
Un effort en faveur des licenciés
En juin, sur l’anneau de vitesse parc Paul Mistral, nous animerons Le village de la coupe du monde avec des démonstrations de jeu à cinq, de football en fauteuil. Et, avec l’aide financière, de la fédération nous avons pu améliorer des installations qui accueillent des jeunes filles. »
Car, insiste Jacky Raymond, « nous devons faire davantage en faveur du foot féminin. Depuis que Grenoble a été désignée ville de matches, nous avons réfléchi à ce que devrait être l’héritage à faire fructifier pour nos structures, nos associations, pour le football féminin. Nous avons travaillé pour que cette coupe du monde soit la plus bénéfique possible notre sport ».
François Perez
Calendrier des matches au stade des Alpes à Grenoble
9 juin : Brésil-Jamaïque. 12 juin : Nigéria-Corée du Sud.
15 juin : Canada-Nouvelle-Zélande. 22 juin : 8e de finale.
Billetterie : sur fifa.com. Prix des billets : de 9 euros à 84 euros catégorie 1 finale.
Nadya 22 ans, Charline 29 ans jouent au GF 38, niveau régional. Ce qu’elles attendent de la coupe du monde ? « Du respect et de la reconnaissance pour le foot féminin. » Nadya le souligne : « c’est le même jeu, les mêmes gestes, le même plaisir que le foot pratiqué par les hommes ». Charline espère de son côté « une valorisation des joueuses, que la vision change pour ce sport au féminin et le féminisme ». Toutes deux souhaitent « que l’équipe de France gagne ! »
Trois fois plus de licenciées féminines
En sept ans, de 2011 (année de lancement d’un « plan de féminisation » par la Fédération française de football) à 2018, le nombre de licenciées féminines est passé de 54 000 à 160 000. Une belle progression… loin cependant des 1 850 000 licenciés hommes.
Le premier match féminin en France
Il se déroula – dit-on – le 30 septembre 1917. Le championnat débuta en France en 1919. Interrompu plusieurs années, il revint dans les années 1960 pour être (enfin) reconnu en 1974 par la fédération. Depuis 1992, il oppose douze clubs de l’hexagone.
« Encourager, c’est bien ; agir, ce serait mieux »
Côté supporters, on applaudit. Et on insiste pour que les féminines du GF 38 aient accès à un stade à la hauteur de leur niveau.
Julien Gerby n’est pas du genre à surjouer le politiquement correct. « Notre équipe, c’est celle des hommes qui jouent en D2 et que nous supportons avec passion. »
La coupe du monde féminine ? « Nous sommes heureux qu’un grand événement foot se déroule au stade des Alpes, dit-il, je n’aurais d’ailleurs pas imaginé que cela suscite un tel engouement. » Que les supporters du GF 38 regarderaient en simples spectateurs dans une indifférence polie ? Pas si simple.
Si Julien Gerby se refuse à surfer sur la vague de l’émergence du sport féminin, il n’en rappelle pas moins que le Red Kaos, « ce sont des valeurs ». Antiracisme, lutte contre l’homophobie, féminisme… « Nous n’avons pas attendu pour militer pour l’égalité des droits et la solidarité ; ce qui, évidemment, englobe le combat pour l’égalité des genres. » La place des femmes dans le fonctionnement du Red Kaos ou la tribune du Red Kaos dans les matches au stade des Alpes « est naturelle ».
Un unique match au stade des Alpes
D’où aussi l’engagement du Red Kaos pour l’amélioration des conditions de jeu et d’entraînement de l’équipe féminine du GF 38 qui joue dans le haut du tableau de D2. Julien Gerby l’exprime dans le cadre plus général de l’usage des stades grenoblois. « Ca nous fait sourire de voir le battage autour de la coupe féminine – une très bonne chose – en même temps que les féminines sont contraintes de jouer dans des stades périphériques. » La première fois – pour l’heure la dernière – où les féminines ont foulé la pelouse du stade des Alpes, c’était pour une demi-finale de la coupe de France perdue contre Lyon le 10 mars dernier.
En cause, la vieille question de la répartition des stades entre foot et rugby. Julien Gerby est tranché : « Le FCG est le seul en France qui monopolise un stade de 12 000 places pour s’entraîner : ni le rugby féminin, ni aucune équipe de foot, féminines ou jeunes, n’y a accès ».
Alors il affirme : « Développer le sport féminin, c’est nécessaire et nous y contribuons ; cela commence par permettre aux équipes de jouer sur des terrains où elles puissent s’exprimer ».
Luc Renaud
Les Martinéroises auront leur coupe !
Laurence Meslien a débuté à Saint-Etienne en dépit de l’opposition de son père. Elle a joué dans différents clubs en 2e division nationale, et disputé la Coupe des Caraïbes dans l’équipe de la Martinique. Cette année, elle a « levé le pied ». Après avoir mis sa passion pendant quinze ans au service de son équipe, elle la met désormais au service du développement des activités physiques pour tous à Saint-Martin‑d’Hères. « La coupe du monde, dit-elle, est une formidable opportunité que la municipalité n’a pas laissé passer, notamment pour initier les filles au football. » Avec Hassan Zouig responsable de l’office municipal des sports, la voilà donc en plein travail. Citons les rencontres de football réunissant huit écoles de la ville ; le déroulement – grande première ! – d’un « match des mamans » du quartier Chopin à l’occasion d’un repas partagé ; et l’organisation de la « Coupe du monde des Martinéroises ». Vingt-quatre équipes de filles de 9 à 17 ans la disputeront, toutes porteuses de maillots aux couleurs de l’un des vingt-quatre pays participant à la « vraie » coupe. Une compétition à ne pas manquer, le 15 juin…
La première coupe du monde féminine
Elle a été organisée au Mexique en 1971 (sans être reconnue par la FIFA) avec la participation de six pays, dont la France qui termina cinquième.