Entreprises, usagers, région, département, métropole… Qui va financer les transports de demain ?
Par Luc Renaud
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ST Microelectronics. Une de ces grosses boîtes qui ont mis en œuvre un plan de déplacement d’entreprise. Des aides augmentées et simplifiées après négociations notamment avec la CGT. Mais le parking de l’usine de Crolles reste plein de voitures. En cause, l’inadaptation des circulations de cars et surtout de trains. Décryptage.
Travailler à ST Micro Crolles, c’est parfois habiter loin, très loin. Jusqu’à Toulouse. Le cas est exceptionnel : il concerne quelques salariés en équipe de week-end et qui concentrent leurs horaires sur quelques jours en prenant une chambre sur place. Mais l’éloigne- ment est plutôt la règle : « le prix du logement est devenu tel en Grésivaudan que beaucoup font le trajet depuis Voiron, Saint-Marcellin ou Pontcharra », relève Henri Errico, délégué syndical CGT et secrétaire du comité de groupe européen. Voiron Crolles, il faut traverser l’agglomération grenobloise. Pas toujours facile quand les bouchons sont à n’en plus finir.
L’entreprise se penche depuis longtemps sur la question. Des salariés qui peuvent aller travailler et qui ne contraignent pas l’entreprise à agrandir indéfiniment ses parkings, c’est mieux : le mètre carré coûte cher. Alors un plan de déplacement d’entreprise a été signé avec les syndicats. « Nous avons pu faire aboutir nombre de nos revendications, explique Henri Errico, par exemple sur tout ce qui concerne
les primes au co-voiturage ou la prime transport pour celui qui est contraint de prendre sa voiture seul…» De fait, après négociation, le PDE en vigueur chez ST Micro a quelque allure.
Les abonnements au train sont pris en charge à 80%. Pour le réseau Transisère, la participation est de 60% pour les abonnements mensuels, 70% pour les annuels. De même pour le réseau du Grésivaudan. Pour ce qui concerne le co-voiturage, la contribution de ST représente environ 60 euros mensuels et l’accès à un parking réservé. Quant à ceux qui ne peuvent utiliser de transports en commun ou co-voiturer, ils reçoivent une prime de 150 euros. A noter enfin que des aides sont prévues pour l’achat d’une voiture ou d’un scooter électrique.
Tout irait-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Et bien pas tout à fait. C’est que ce n’est pas le tout d’avoir une carte de transports en commun, encore faut-il qu’ils existent et dans des conditions où les emprunter n’est pas synonyme de calvaire.
Prenons l’exemple des 1 500 postés qui commencent à cinq heures du matin. De Voiron, ils peuvent prendre un car Transisère. Départ 3h49, arrivée 4h44 : il ne transporte que des salariés de ST Micro ou de Soitec, mais dessert tous les arrêts. 55 minutes de trajet en passant par le centre de Grenoble : ce car n’est pas rempli alors qu’il pourrait largement l’être. Autre cas de figure pour les salariés
qui prennent le Transisère le matin, à la gare de Grenoble. « Je connais des salariés qui ne prennent plus leur abonnement parce que le car est souvent plein qu’il faut attendre le suivant et arriver en retard au boulot. »
Desserte ferroviaire balbutiante pour plus de huit mille salariés
L’idéal, ce serait bien sûr le train. « De la gare de Grenoble à l’usine, en comptant le temps dans le bus du Grésivaudan, c’est vingt minutes. » Qui dit mieux? Sauf qu’il n’y a qu’un train pour Brignoud à 8h03 et que le suivant est à 11h37. Et si le train arrive en retard et que la navette est partie, il faut soit y aller à pied, soit attendre une heure. Le co-voiturage aussi a ses inconvénients : « quand une réunion dure ou qu’on ne voit pas l’horloge pour finir un boulot, ça fait attendre quelqu’un ».
Finalement, malgré les aides, un parking supplémentaire a été ouvert en lieu et place d’un champ de maïs. Et tout cela concerne les quatre mille quatre cents salariés de ST Micros mais aussi ceux des usines environnantes : on dépasse les huit mille emplois dans le secteur et ST Micro va embaucher.
Bien sûr, « ce serait pire sans le PDE, note Henri Errico, mais il faut améliorer et nous avons des propositions ». Le syndicat avance ainsi l’idée d’un ramassage organisé par ST Micro pour les postés au départ de Voiron et de Pontcharra. Sur l’organisation du travail, aussi : « développer le co-voiturage implique davantage de rigueur dans le respect des horaires de fin de journée ». Et puis tout ce qui concerne l’organisation des transports, du train en particulier : « Voiron Brignoud plus fréquents avec des arrêts à Grenoble Echirolles et Saint-Martin-d’Hères, ce serait des trains remplis matin et soir», note Henri Er- rico. Propositions encore comme l’amélioration du franchissement de l’autoroute et de l’Isère pour rouler à vélo sur les deux kilomètres entre la gare et l’usine, pour sécuriser les garages à vélo de la gare… Les salariés connaissent les besoins.
Les salariés ne demandent pas un droit à polluer : ils voudraient pouvoir prendre le train. La casse de la SNCF s’y oppose.
La gratuité, la solution qui a le vent en poupe
Le collectif pour la gratuité des transports constate que métro et département réduisent leurs subventions tandis que le financement de la gratuité résoudrait les problèmes.
Un constat pour commencer: le budget alloué aux transports en commun de l’agglolération grenobloise est en baisse du fait de la diminution des subventions versées par le département et la métro. Une perte de 15,7 millions d’euros depuis 2014. « On ne fait pas plus avec moins : c’est la première chose à dire lorsqu’on parle du plan de déplacement urbain », commentent Marie et Jean-François, du collectif pour la gratuité des transports.
« Il manque une volonté politique de développer les transports en commun, souligne Jean-François, la gratuité repré- senterait une économie pour l’ensemble des citoyens y compris si elle devait pas- ser par une augmentation des impôts ». Raisonnement qui repose sur un calcul : le déplacement collectif est mois coûteux que la somme des coûts des déplacements individuels. Outre les arguments relatifs aux effets de la pollution, à la perte de temps dans les bouchons, ou au gaspillage qu’implique la nécessité d’investissements routiers quand les trans- ports en commun ne sont pas pleinement utilisés.
Une fréquentation triplée
Ce choix politique, que Dunkerque – une agglomération de 200000 habitants – vient de faire. « Le centre ville y revit », note Jean-François. Qui rappelle que la gratuité est le moyen le plus efficace pour réduire significativement la part de la voiture dans les déplacements. « A Châteauroux, où les transports sont gratuits depuis dix-sept ans, la fréquentation des transports en commun est passée de 1,5 à 5 millions de passagers ; à Aubagne elle a triplé en huit ans. »
Versement transport
Le versement transport est un impôt réglé par les entreprises de plus de onze salariés. Il finance un peu plus de la moitié du budget des transports grenoblois. Son taux est dans l’agglomération de 2 %, le maximum légal pour les métropoles. A Paris, il est de 2,95 %.
Le plan de déplacement urbain de l’agglomération prévoit l’élargissement du SMTC au Grésivaudan et au Voironnais. Le taux du versement transport y est respectivement de 1% et de 0,8 %. Les élus de ces communautés de communes sont réticents
à l’augmenter. Un élargissement qui réduirait le taux de l’impôt sur l’agglomération constituerait un manque à gagner pour le financement des transports en commun. Le président du SMTC, Yann Mongaburu, estime pour l’heure qu’il importe « de se mettre d’accord sur un projet ; le taux du versement transport de la future autorité organisatrice de mobilité n’est pas un sujet ».
Une tarification intégrale au revenu?
La tarification actuelle des transports de l’agglomération vit-elle ses derniers mois ? Le croisement entre tarification à l’âge et tarification solidaire – 27 % des abonnements – la rend complexe. Elle a explosé pour les plus de 65 ans, et diminué pour les 18/24 ans – à noter qu’un jeune de 25 ans hors tarification solidaire paie 113,3 % plus cher en 2018 qu’en 2014, de 27,1 euros à 57,8. Sans compter les effets de seuil sur la tarification solidaire : une petite augmentation de salaire peut être immédiatement absorbée par l’augmentation du prix de l’abonnement.
Le président du SMTC, Yann Mongaburu, se déclare conscient de ces problèmes. Une évolution est à l’étude : passer à une tarification intégralement liée au revenu. Des propositions seront présentées en ce sens dès l’année prochaine.
Un plan de déplacement urbain qui fait la part belle aux crédits régionaux
Le volet transports en commun du PDU met le chemin de fer au cœur du dispositif. Nous avons rencontré Yann Mongaburu.
Un catalogue de bonnes intentions… dont la concrétisation dépendra du bon vouloir de l’Etat et de la région ? A première vue, c’est bien ainsi qu’apparaît le plan de déplacement urbain (PDU) élaboré par le Syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération grenobloise (SMTC). Deux chiffres : 2,2 milliards d’investissements prévus d’ici 2030 dont 622 pris en charge par le SMTC et la métropole.
Yann Mongaburu, président du SMTC, balaie l’argument. Il indique d’abord que « l’élaboration du PDU a été le fait des collectivités locales mais aussi de l’Etat et de la région qui lui ont donné un avis favorable ». Et que le PDU est un document qui engage ses signataires. Le président du conseil régional, Laurent Wauquiez a ainsi communiqué l’avis de la région dans un courrier. On peut y lire : « j’émets un avis favorable sur le document sachant que nous devrons bien sûr engager un travail partenarial sur les dif- férents thèmes ».
Thèmes qui concernent la région au premier chef, elle qui est compétente en matière d’organisation des transports ferroviaires. Car c’est dans ce domaine que le PDU est le plus ambitieux : « nous voulons créer un RER à la grenobloise, des dessertes cadencées entre Rives et Brignoud, entre Rives et Clelles », explique Yann Monga- buru. Avec par exemple la création de deux voies ferrées supplémentaires entre Moirans et Grenoble. Du pain sur la planche du « travail partenarial ».
Yann Mongaburu revendique comme une priorité ce développement du transport péri-urbain. « Nous disposons d’un bon réseau de transport en commun en cœur d’agglomération, ce que nous devons conquérir aujourd’hui, c’est le transport plus éloigné. » De quoi désencombrer les entrées par voie routière dans l’agglomération. Cette échelle des priorités le conduit à estimer que « le projet de train-tram pour Vizille, qui sera financé par le SMTC, est prioritaire par rapport à un prolongement de la ligne D de Saint-Martin-d’Hères à Grand’place par exemple ». Lequel n’est donc pas envisagé d’ici 2030.
Reste que certains investissements seront réalisés dans l’agglo avec notamment le maillage des lignes de trams : des aiguillages qui permettront de passer d’une voie à l’autre, une ligne directe Saint-Egrève campus, par exemple. Avec deux petits prolongements, la A jusqu’à Pont-de-Claix (travaux en cours) et la E jusqu’au niveau du stade Lesdiguières. Investissements accompagnés de l’achat de nouvelles rames. Toujours au chapitre des investissements SMTC, la prolongation de la ligne de bus C1 jusqu’à Montbonnot qui s’ajoutera à la récente évolution de la ligne 11 en ligne « chrono » C7, du campus à Comboire par Eybens.