JO 68. Les pistes, le ski et la télé… c’était une autre époque

Par Jean Rabaté

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C’est une jolie pépite que nous offrons ici à nos lecteurs. Jean Rabaté a découvert Grenoble il y a cinquante ans. Et c’était pour les JO, qu'il "couvrait" pour l'Humanité. Quelques années plus tard, il est revenu dans la capitale des Alpes : il écrit aujourd'hui dans nos colonnes. Il nous livre ici quelques-uns de ses souvenirs, dans cette belle langue du reportage qui nous transporte dans les coulisses de l’événement... et de sa couverture médiatique.

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L'une des trois médialles d'or de Jean-Claude Killy. Photos de Jacques Marie - Mémoires d'Humanité / Archives départementales de la Seine-Saint-Denis

Nous étions cinq « envoyés spé­ciaux » de l’Humanité et de l’Humanité-Dimanche (1) qui nous étions répar­tis les dis­ci­plines pour en rendre compte. Par­mi celles qui m’étaient échues, le hockey sur glace. Impos­sible bien sûr de man­quer la ren­contre, qui oppo­se­rait les deux grands favo­ris : le titre olym­pique allait se jouer. Le jour venu, l’équipe d’URSS ren­contre donc celle de Tché­co­slo­va­quie. Si la pre­mière l’emporte elle sera sacrée avant même la fin du tour­noi. Si c’est la seconde, les deux équipes comp­te­ront cinq vic­toires cha­cune. La médaille d’or dépen­dra de leur ultime match res­pec­tif. Dans le Stade de glace deve­nu depuis Palais des sports, l’atmosphère est ten­due. Moins en rai­son de l’enjeu spor­tif, qu’en rai­son du… contexte poli­tique. Un mois plus tôt, l’amorce du « prin­temps de Prague » avec l’arrivée de Dub­cek au pou­voir en Tché­co­slo­va­quie est fort peu appré­cié côté sovié­tique. Les rela­tions sont deve­nues fraîches entre les deux pays. Nombre de com­men­ta­teurs n’hésitent pas à pla­cer la ren­contre sous le signe d’un véri­table défi, voire d’un règle­ment de comptes.

(1) Ber­nard Cla­vel, écri­vain futur prix Gon­court, col­la­bo­ra­teur occa­sion­nel de l’Humanité-Dimanche ; Abel Michéa, grande plume du jour­nal, auteur de billets inou­bliables ; Roland Pas­se­vant, enquê­teur hors-pair, chef de la rubrique des sports ; Paul Zil­ber­tin, le plus jeune, bon connais­seur des sports d’hiver ; et moi. Cin­quante ans après, c’est vers eux – tous trop tôt dis­pa­rus – que vont mes pre­mières pen­sées.

15 février 1968, le podium du géant fémi­nin à Cham­rousse. Nan­cy Green (Cana­da) l’a­vait empor­té avec 2′64″ sur Annie Famose (France) et Fer­nande Bocha­tay (Suisse).

Quelques minutes seule­ment avant l’entrée des équipes sur la piste un inci­dent vient ren­for­cer cette idée. L’entraîneur tchèque signale que l’extrémité des patins de plu­sieurs joueurs russes est dépour­vue de pro­tec­tion en plas­tique. Il exige qu’il soit remé­dié à cette situa­tion. Suivent une dis­cus­sion, un retard d’une demi-heure du coup d’envoi et, affir­me­ra plus tard le goal russe sa perte de concen­tra­tion. De fait, impec­cable lors des ren­contres pré­cé­dentes, il se montre déce­vant ce soir-là.
L’URSS est bat­tue (5/4), pour la pre­mière fois après 59 vic­toires consé­cu­tives en matchs inter­na­tio­naux ! Le gar­dien retrou­va son talent à l’heure des ren­contres déci­sives. La Tché­co­slo­va­quie concé­dait le nul à la Suède, L’URSS écra­sait le Cana­da (5/0). Elle s’adjugeait le titre olym­pique.

Sacré Léon !

Côté anec­do­tique, ce match me per­mit de décou­vrir le savoir faire du « monstre » de la télé d’alors, Léon Zitrone. A l’aise par­tout : mariages prin­ciers, courses hip­piques ou Inter-villes, il s’était vu confier par l’ORTF le soin de faire décou­vrir et appré­cier aux télé­spec­ta­teurs le hockey sur glace, sport alors qua­si-incon­nu en France.

Fin­lande You­go­sla­vie. C’é­tait le 4 février 1968, au palais de glace.

Ni plus ni moins connais­seur que moi en la matière, il avait dû – moi aus­si ! – décou­vrir les règles du jeu et quelques ren­sei­gne­ments sur les joueurs et les équipes. Expé­rience et bagou aidant, il ren­dait compte en direct avec maes­tria du dérou­le­ment des ren­contres. Mais il devait aus­si « meu­bler » les périodes de repos entre les tiers-temps.
A la fin du pre­mier, à ma grande sur­prise, l’imposante sil­houette de ce maître com­men­ta­teur s’imposa à mes côtés. Nous ne nous étions jamais ren­con­trés, mais peu lui impor­tait : « ce soir, c’est mon excellent confrère et ami de l’Humanité qui va nous don­ner son avis sur cette pre­mière période … ». Pris de court, je res­tai muet quelques secondes avant de bafouiller je ne sais quelles pla­ti­tudes. Sui­virent deux ou trois ques­tions qui me per­mirent de mieux (?) ali­men­ter la conver­sa­tion. Le tiers-temps me sem­bla inter­mi­nable ! Léon, lui, était satis­fait : « Eh bien mer­ci mon cher ami ! A très bien­tôt (ce ne fut jamais le cas…) nous ver­rons si votre pro­nos­tic était le bon » (ce fut non : j’avais misé sur un nul).
Le second tiers-temps pou­vait com­men­cer. Un autre « excellent confrère et ami » serait appe­lé à allé­ger le tra­vail de ce sacré Léon.

Prise de conscience

Paul Zil­ber­tin, char­gé de « cou­vrir » les épreuves de ski alpin, n’avait pra­ti­que­ment jamais chaus­sé les planches. Je m’étais donc pro­po­sé pour par­ti­ci­per la veille de l’épreuve de des­cente à la décou­verte pro­po­sée aux jour­na­listes de la piste Cas­se­rousse – deve­nue Olym­pique hommes, après avoir été plu­sieurs fois mode­lée, nive­lée, ter­ras­sée…

Le 13 février 1968, les vain­queurs du géant hommes.

Par­ve­nu au som­met, je com­pris vite que… je n’irai guère plus loin ! Quelques mètres après le départ, le tra­cé très tech­nique était insur­mon­table pour un skieur de mon niveau. Je ne décou­vris ce jour-là ni le virage du cou­loir, ni les devers de pente, la cas­cade de bosses, ni les gou­lets entre les arbres, ni l’impressionnant op-tra­ken annon­çant la fin de par­cours.
Par contre, je pris plei­ne­ment conscience des qua­li­tés phy­siques, de la force morale, de la mai­trise tech­nique et du cou­rage indis­pen­sables aux cham­pions et cham­pionnes pour s’élancer sans rete­nue sur de telles pistes (2). Les trois kilo­mètres de celle-ci, furent la pente royale sur laquelle en l’emportant de 9 cen­tièmes sur Guy Périllat, Jean-Claude Killy enta­ma en moins de deux minutes la for­mi­dable che­vau­chée qui en fit le héros des J.O.

(2) Seize ans après celle de Régine Cava­gnoud, la ter­rible chute qui au Cana­da en novembre der­nier a coû­té la vie à David Pois­son rap­pelle cruel­le­ment que, pas plus que la peur, ces qua­li­tés n’évitent le dan­ger.

Triple vainqueur !

Les condi­tions dans les­quelles se ter­mi­na la der­nière étape de son extra­or­di­naire par­cours méritent d’être rap­pe­lées.
Les jeux se ter­minent le len­de­main. Deux médailles d’or brillent déjà au cou du cham­pion fran­çais vain­queur de la des­cente (de jus­tesse) et du géant (aisé­ment). Reste le sla­lom. S’il l’emporte il éga­le­ra l’exploit réa­li­sé en 1956 par Tony Sai­ler à Cor­ti­na d‘Ampezzo. Il s’élance avec la même fougue que pour sa des­cente vic­to­rieuse. Il vire­volte de piquet en piquet, plus vite que tous, semble-t-il.

Podium du sla­lom géant, avec Jean-Claude Killy, Willy Favre (Suisse) et Hein­rich Mess­ner (Autriche). 13 février 1968.

Hélas ! Le chro­no­mètre est impi­toyable. A l’heure du clas­se­ment Killy, est devan­cé par le Nor­vé­gien Akon Mjoen. Il doit se satis­faire de la médaille d’argent. Ce que conteste un autre cham­pion, l’Autrichien Karl Schranz. Gêné, affirme-t-il, par une per­sonne ayant tra­ver­sé la piste il n’a pas ter­mi­né son par­cours. Après avoir por­té récla­ma­tion il est auto­ri­sé à repar­tir. Il bat le temps de Killy, ain­si repous­sé à la troi­sième place.

Mais, sur­prise ! après exa­men atten­tif des enre­gis­tre­ments du par­cours des skieurs, les com­mis­saires dis­qua­li­fient le Nor­vé­gien qui avait man­qué deux portes. Killy retrouve la médaille d’argent. Et quelques ins­tants plus tard, coup de théâtre ! Schranz est éga­le­ment dis­qua­li­fié. Lui aus­si avait man­qué deux portes lors de son pre­mier par­cours avant d’avoir été gêné. Rien de jus­ti­fiait son second essai.
Début d’une double polé­mique, contes­ta­tion des Nor­vé­giens, pro­tes­ta­tion des Autri­chiens, explo­sion de joie côté tri­co­lore. Vain­queur du sla­lom, Killy devient bel et bien triple cham­pion olym­pique !

Jean Rabaté

Sla­lom fémi­nin, 13 février 1968.
Hockey sur glace, le 15 février 1968.
Ski, épreuve de sla­lom. 13 février 1968.
Podium sla­lom géant fémi­nin, 15 février 1968.
11 février 1968.
04 février 1968
Olga Palle avait gagné la des­cente devant Isa­belle Mir (France) et Chris­telle Haas. 11 février 1968.
Pati­nage. 04 février 1968.
Jean-Claude Killy et Guy Périllat, médaillés d’or et d’argent de la des­cente de Cas­se­rousse, le 11 février 1968.

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