La feuille de vigne grandit en Isère
Par Luc Renaud
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Pierre Pelfrène a 33 ans. Il a planté ses premiers pieds de vigne ce printemps, à Lentiol, au sud de Beaurepaire. Et il en est convaincu : grâce à ses cépages oubliés, la viticulture iséroise présente aujourd’hui de réelles possibilités de développement, pour peu que l’on vise la qualité. Reportage dans une exploitation viticole en cours de création.
L’année prochaine ou la suivante, à temps plein sur l’exploitation ? C’est la perspective de Pierre Pelfrène, viticulteur à Lentiol, au sud de Beaurepaire et à la limite de la Drôme. Sa vigne, il l’a plantée au printemps. Une première parcelle qui sera complétée dès l’an prochain : la superficie en culture dépassera les deux hectares en 2019. Entre voironnais et côtes-du-Rhône, il est l’unique viticulteur. La première vendange est prévue en septembre 2019 ou 2020 : premières bouteilles attendues les mois suivants.
Pas n’importe quelles bouteilles. Car Pierre Pelfrène n’a pas planté n’importe quelle vigne : un cépage verdesse, un raisin blanc originaire du Grésivaudan. Avec une conviction : « il y a de la place pour des vins de qualité, typiques de notre terroir, que l’on ne trouvera pas ailleurs ». C’est avec le syndicat des vins de l’Isère qu’il a mûri son projet. Il se retrouve pleinement dans la démarche de réhabilitation de cépages autochtones. Et les prochaines plantations qu’il envisage, ce sera soit encore de la verdesse, soit du persan, un cépage rouge originaire de Maurienne et cultivé en Isère. Le tout en bio, une autre évidence pour Pierre Pelfrène…
Rien ne prédisposait Pierre à devenir viticulteur. A 33 ans, il a derrière lui une carrière de travailleur social à Grenoble, Lyon et Vienne. « J’ai eu envie de revenir chez moi, à Lentiol, et d’y créer mon activité », explique-t-il. Entre Chambarrans et vallée du Rhône, pour s’installer, l’agriculture est une possibilité. Il a tâté du maraîchage, du bûcheronnage, de l’arboriculture… « J’ai découvert la vigne en 2012, et c’est ce travail qui me plaît. » La vigne, dans ce secteur, était cultivée il y a une quarantaine d’années. Du vin de soif, comme on disait. Depuis, des parcelles en jachère.
Avant de se lancer, Pierre Pelfrène a commencé à travailler comme saisonnier dans des exploitations viticoles de la vallée du Rhône. Histoire d’apprendre le métier. En 2013, il a passé un brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole. Saisonnier, il l’est encore aujourd’hui. Trois employeurs lui assurent un revenu dans l’attente de la première commercialisation du vin de sa vigne. « J’ai peu de besoins », commente-t-il sobrement.
Une verdesse haut de gamme, symbole de nouvelles ambitions
Ces rémunérations saisonnières restaient insuffisantes pour financer les premières plantations. Et puis il a fallu clôturer, solidement, une parcelle située en bord de forêt : les chevreuils raffolent des premiers bourgeons. Les tuteurs de pieds de vigne et les clôtures des parcelles qui constitueront l’exploitation, cela représente quelque quinze mille piquets qu’il a taillés lui-même, à partir d’une coupe de bois dont il s’est porté acquéreur.
Les premiers investissements ont été financés par des aides de la famille et des amis. Pierre Pelfrène a choisi une stratégie. « Tout ce qui concerne la vigne, je me débrouillerai par moi-même ; pour l’outil de transformation, je m’appuierai sur les aides qui existent pour l’installation des jeunes agriculteurs. » Planter la vigne et vendanger (trois ou quatre ans après) n’est pas tout : encore faut-il produire le vin. Pour Pierre Pelfrène, c’est une autre aventure qui commencera d’ici à deux ans : il faudra construire un caveau, installer l’équipement de vinification. Nouveau défi en perspective.
Tout cela a naturellement été longuement réfléchi. Sur les deux hectares que comptera son exploitation en 2019, il compte produire dix à douze mille bouteilles d’un vin haut de gamme qu’il commercialisera en direct pour un tiers de la production, le reste étant destiné aux réseaux professionnels. Un vin haut de gamme qui devrait être accessible au consommateur à dix ou douze euros la bouteille.
Pierre Pelfrène en est convaincu : la viticulture peut conquérir ses lettres de noblesse en Isère. « Nous disposons de terres impropres à d’autres cultures et qui conviennent à la vigne, d’une tradition ancienne dans notre département, sans compter un foncier dont les prix n’ont rien à voir avec les 400 000 euros à l’hectare en saint-joseph, par exemple. » Filière renaissante qui peut constituer un atout pour certains terroirs dauphinois : Pierre Pelfrène estime à deux ou trois équivalents temps plein le nombre de saisonniers qui pourraient être employés sur son exploitation parvenue à son rythme de croisière.
Reste l’essentiel. La passion, celle de la vigne et du vin, de celles qui donnent sens à une vie et qui redonne vie à la jachère.
Vins de l’Isère : un syndicat pour la mècle et l’onchette
Le syndicat des vins de l’Isère redonne un nouveau souffle à une viticulture riche de ses traditions. Et de ses nombreux cépages. Des viticulteurs isérois seront présents dans le village vigneron du festival Millésimes, du 19 au 22 octobre, place Victor Hugo.
La galoppine de la Tronche ? Un cépage. Passé le Rhône, on dit viognier. La galoppine ou la cugnette (la jacquère, en Grésivaudan) et d’autres, ce sont les raisons d’être du syndicat des vins de l’Isère. « Parler de galoppine, c’est dire que cette vigne a une histoire en Dauphiné, histoire de cépages aujourd’hui oubliés que nous voulons faire revivre ; nous sommes des passeurs d’histoire », explique Wilfrid Deboize, président du syndicat. Non par nostalgie, mais parce que c’est l’avenir : « un produit typique, unique, parce que nos cépages sont d’ici, comme nos montagnes et nos sols : ça ne servirait à rien d’aller copier ailleurs pour que tout ait la même saveur ».
Alors ce qu’on replante en Isère – le vignoble grossit –, c’est de l’étraire de la dui, né en Grésivaudan, ou du persan (originaire de Maurienne) ou encore du joubertin, de la mècle (typique du Nord Isère) et de l’onchette du Trièves.
Et ça marche. Exportations aux Etats-Unis, en Finlande… « C’est bien sûr un marché de petits volumes, note Wilfrid Deboize, mais en progression ». Avec une certitude : « nous nous développerons par la qualité et l’originalité ». Les vignerons adhérants au syndicat produisent en bio ou en démarche raisonnée.
Passeurs d’histoire… c’est l’avenir
La suite ? Le syndicat voit grand. Partenariat avec la chambre d’agriculture au titre du dispositif filière innovante avec des formations techniques vinicoles, un accompagnement technique au démarrage… Modification du cahier des charges de l’appellation pour inclure les vins effervescents dont la tradition existe dans les Balmes dauphinoises et sous Mont Rachais à la Tronche…
« Nous sommes des artisans vignerons créateurs ». Belle définition.
2928
hectolitres de vin
sont produits en Isère sous les appellations IGP Isère (qui comprend les Côteaux du Grésivaudan et les Balmes dauphinoises), IGP collines rhodaniennes et AOP Savoie.
Foncier
Une des difficultés au développement de la vigne dans l’agglomération grenobloise est naturellement le foncier. Des projets sont pourtant en cours dans le secteur de Claix et de Vif où la vigne avait ses lettres de noblesse. Les collectivités territoriales appuient souvent les projets d’installation, comme dans le Grésivaudan ou le Trièves.
17
vignerons
sont adhérents au syndicat des vins de l’Isère. Il travaillent sur des exploitations de cinq à six hectares en moyenne, jusqu’à neuf pour les plus importantes. La coopérative de Bernin est adhérente au syndicat. Le Grésivaudan a compté jusqu’à cinq coopératives viti-vinicoles.
Concours départemental
Cette année a été celle de la sixième édition du concours départemental des vins de l’Isère, le 22 mai dernier. On retrouvera ici l’intégralité des résultats du concours 2017.
Le vin en Isère
L’appellation Vins de l’Isère recouvre les coteaux du Grésivaudan (de Pontcharra à Voiron et Vif), les Balmes dauphinoises (Saint-Savin, Sermerieu au nord de la Tour-du-Pin), des domaines dans le Trièves le Royans et le plateau de Chambarran. L’IGP collines rhodaniennes se situe entre Vienne et Roussillon.
Où les trouver ?
A Grenoble, à la laiterie Bayard, rue Bayard, et à la cave Vins des Alpes, rue de Strasbourg. Notamment, bien sûr. Les vins sont commercialisés à des prix compris entre 6 et 20 euros.
Du vin d’excellence, mais bien plus que ça
Le domaine des Rutissons, au Touvet, ce sont des vins issus de cépages alpins. Mais aussi un pôle de vie et de formation.
« Cette histoire viticole est restée très présente. » Laurent Fondimare et Wilfrid Deboize, créateurs du domaine des Rutissons, se sentent héritiers d’une tradition. De cet imaginaire collectif, de ces années où les gamins du Grésivaudan jouaient dans les vignes… aujourd’hui lotissements.
Aussi ne sont-ils pas seuls, dans leur aventure d’aujourd’hui. De ces vignes anciennes qui leur sont confiées, aux coups de main sur lesquels ils peuvent compter, jusqu’à l’engagement de la communauté de communes et la commune du Touvet… la fibre viticole n’a pas fini de vibrer. L’opération de financement participatif qu’ils ont montée pour planter une parcelle de verdesse a été un succès. Cette production à venir donnera lieu au versement d’un euro par bouteille à une association d’aide à l’enfance.
« Nous ne faisons pas du vin pour du vin »
Ce lien, on le leur doit tout autant. « Nous produisons des vins haut de gamme, ce qui n’empêche pas de proposer une cuvée qui soit accessible aux gens qui vivent ici », souligne Laurent Fondi-mare, ingénieur agronome. Le domaine est également engagé dans la formation, par le biais de l’accueil de stagiaires du Centre de formation professionnelle et de promotion agricole de Saint-Ismier. « Nous ne faisons pas du vin pour du vin, l’objectif, c’est aussi des rencontres, de la vie… », insiste Wilfrid Deboize. D’où l’idée d’expositions, de repas viticoles…
Reste que la culture en bio comme l’élevage en barrique relèvent d’outils et de techniques modernes. Laurent Fondimare et Wilfrid Deboize ne manquent pas de projets pour progresser encore. Comme celui d’investissements sur le bâtiment dans lequel s’opère la vinification.
« Tout cela ne serait pas possible sans une véritable adhésion familiale ». On le comprend aisément.
Servi sur les grandes tables
Dans les grands – très – restaurants, on ne choisit pas son vin. Un sommelier s’en charge. Ce qui permet à des gourmets fortunés de découvrir un vin qu’ils n’auraient jamais imaginé commander, un vin du Grésivaudan. Les cuvées du domaine des Rutissons sont ainsi servies sur les tables de l’Auberge du père bise (Talloires, lac d’Annecy), à la Corne d’or (Corenc), aux Morainières (Jongieux, Savoie), ou au Garage (Montbonnot). On trouve les bouteilles du domaine notamment au Vin des Alpes, au XV sur vin, à la laiterie Bayard et au Zinc à Grenoble, au Tonneau gourmand à Crolles…
9000
bouteilles
La production du domaine des Rutissons est limitée, mais elle va augmenter avec les plantations effectuées l’an dernier. L’exploitation occupe cinq hectares. Laurent Fondimare et Wilfrid Deboize y travaillent, sans saisonniers, sans pouvoir encore dégager deux revenus. La société civile d’exploitation viticole a été créée le 1er janvier 2015.
Sélection massale
Les vignerons travaillent en sélection massale : les jeunes vignes ne sont pas issues de pépinières, mais de l’exploitation. Ce qui permet de diversifier le patrimoine génétiques (et ainsi de réduire le risque de propagation de maladies) et de donner une nouvelle vie à des cépages anciens qui offrent une riche palette de possibilités pour des cuvées d’assemblage.