Grenoble. Mobilisation pour les 80 ans de la loi de réquisition

Par Manuel Pavard

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Les manifestants se sont réunis derrière l'hôtel de ville, une manière de rappeler au maire de Grenoble sa promesse de réquisition faite il y a six mois.
Plusieurs associations, syndicats et collectifs appelaient à un rassemblement ce samedi 11 octobre, au parc Paul-Mistral, à Grenoble, pour exiger l'application de la loi de réquisition des logements vides. Une mobilisation nationale organisée à l'occasion des 80 ans de l'ordonnance de 1945.

C’é­tait il y a 80 ans. L’or­don­nance du 11 octobre 1945 per­met­tait à l’É­tat de réqui­si­tion­ner pro­vi­soi­re­ment des loge­ments vides depuis au moins six mois, pour des sans-logis et des mal logé-es. C’est donc pour deman­der l’ap­pli­ca­tion de cette loi de réqui­si­tion que des action étaient orga­ni­sées dans onze villes de France, ce same­di 11 octobre 2025, dans le cadre de la cam­pagne natio­nale « Action réqui­si­tion ». À Gre­noble, un ras­sem­ble­ment se tenait ain­si à par­tir de 15 heures dans le parc Paul-Mis­tral, der­rière la mai­rie, à l’ap­pel de plu­sieurs orga­ni­sa­tions : Apar­dap, Ada­li, Cisem, Cimade, FCPE, DAL, RESF, Unef, AG des tra­vailleurs en lutte, Soli­daires, inter-col­lec­tif des écoles occu­pées, inter­syn­di­cale « enfants migrant.es à l’é­cole ».

Les repré­sen­tants de dif­fé­rents col­lec­tifs, syn­di­cats et asso­cia­tions ont pris la parole.

Une ini­tia­tive visant à la fois les col­lec­ti­vi­tés, les élus, les bailleurs sociaux et le grand public. Objec­tif : notam­ment « publi­ci­ser le fait que la réqui­si­tion n’est pas un vol », explique Garance, mili­tante du DAL 38, pré­ci­sant que « les pro­prié­taires sont indem­ni­sés ». Par­ti­cu­la­ri­té ici, les mani­fes­tants « s’a­dressent au maire de Gre­noble, qui a pro­mis au prin­temps der­nier d’ap­pli­quer la loi de réqui­si­tion et qui ne l’a tou­jours pas fait », rap­pelle-t-elle.

Environ 17 000 logements vides dans l’agglomération

Si Éric Piolle « ne semble pas avoir aban­don­né », d’a­près Garance, celle-ci attend « des actes » main­te­nant. « Il y a des pro­messes, on a l’im­pres­sion qu’ils étu­dient le sujet, mais le pro­blème, c’est qu’il y a des per­sonnes der­rière », sou­ligne-t-elle. On compte en effet près de 4 000 per­sonnes domi­ci­liées au CCAS de Gre­noble, sachant que tous les sans-logis ne sont pas recen­sés, loin de là. Et ce, pour quelque 17 000 loge­ments vides dans la métro­pole de Gre­noble, selon les esti­ma­tions des asso­cia­tions.

Ces der­nières tirent une énième fois la son­nette d’a­larme, avec une angoisse décu­plée à l’ap­proche de l’hi­ver. Samia, éga­le­ment mili­tante du DAL, décrit ain­si des pro­fils très variés par­mi les per­sonnes se retrou­vant à la rue : « Il y a des gens qui arrivent en fin de RSA, d’autres qui perdent leur tra­vail, des familles avec des enfants, des per­sonnes débou­tées du droit d’a­sile… » Le tout, sans « aucune avan­cée » de la part des pou­voirs publics, déplore-t-elle.

Les asso­cia­tions appellent la popu­la­tion à repé­rer des loge­ments vides et à les signa­ler.

Toutes deux regrettent que la réqui­si­tion soit trop sou­vent cari­ca­tu­rée alors qu’il s’a­git seule­ment de la loi. Et puis, « les pro­prié­taires ne sont pas per­dants. Leur loge­ment est même entre­te­nu », insiste Samia. « C’est une mesure d’ur­gence, abonde Garance. On parle de trouble à l’ordre public lorsque des per­sonnes dorment dehors. » Point assez iro­nique au regard de la situa­tion à Gre­noble — comme par­tout en France.

Déjà sept écoles occupées depuis la rentrée

Illus­tra­tion, les occu­pa­tions d’é­cole par des parents d’é­lèves, afin de mettre à l’a­bri des familles avec enfants, ont repris de plus belle à Gre­noble depuis sep­tembre. « On a recom­men­cé la ren­trée avec déjà sept écoles occu­pées et plus d’une dizaine de familles mise à l’a­bri dès les pre­miers jours », indique Marie, membre de l’in­ter­syn­di­cale « enfants migrant.es à l’é­cole » et repré­sen­tante de l’in­ter-col­lec­tif des écoles occu­pées.

De nou­veaux col­lec­tifs se créent ain­si sans cesse dans les écoles gre­no­bloises. « Le point posi­tif, c’est qu’il y a beau­coup de soli­da­ri­té par­mi les parents d’é­lèves et le per­son­nel des écoles », se féli­cite la mili­tante et ensei­gnante. Pro­blème, le nombre crois­sant de situa­tions, avec « de moins en moins de places d’hé­ber­ge­ment », ajoute-t-elle. « Par exemple, on constate que les familles en demande d’a­sile, qui avaient autre­fois des pro­po­si­tions assez rapi­de­ment en Cada, res­tent aujourd’­hui sys­té­ma­ti­que­ment à la rue durant des semaines, voire des mois. »

L’é­cole Mal­herbe est, cette année encore, occu­pée par des parents d’é­lèves pour mettre à l’a­bri une famille.

Si la liai­son avec la ville, mal­gré quelques couacs, existe tou­jours, du côté de la pré­fec­ture et du dépar­te­ment, les sol­li­ci­ta­tions débouchent « à chaque fois sur une fin de non-rece­voir », s’in­surge Marie. « On va les relan­cer cette année car on estime que ce sont les véri­tables res­pon­sables de la situa­tion, à la fois pour la pro­tec­tion de l’en­fance qui n’est pas du tout assu­rée et pour l’hé­ber­ge­ment qui n’est pas hono­ré non plus. »

« Les propriétaires sont indemnisés »

Pour Sté­phane Deza­lay, copré­sident de la Cimade, la situa­tion « empire, dans la mesure où la poli­tique du loge­ment est blo­quée et même toute la pyra­mide. Les gens qui sont dans un héber­ge­ment d’ur­gence ne peuvent pas pas­ser dans un loge­ment nor­mal. » D’où un choix très simple à faire, sans autre alter­na­tive : « On laisse les gens à la rue ou on regarde s’il y a un toit pos­sible. Quand on voit des familles avec des enfants, des bébés de trois mois, à la rue, on n’hé­site pas. C’est l’hu­ma­ni­té mini­mum ! »

Com­ment expli­quer alors l’en­li­se­ment, voire la dégra­da­tion actuelle ? Le blo­cage vien­drait, estime Sté­phane Deza­lay, « d’un gou­ver­ne­ment de droite para­ly­sé par le droit de la pro­prié­té. Ils fan­tasment com­plè­te­ment en disant qu’on va nous enle­ver nos biens… alors que la réqui­si­tion est légale et concerne des bâti­ments vides et que les pro­prié­taires sont indem­ni­sés », rap­pelle-t-il à son tour.

Peser sur la campagne des municipales

Le res­pon­sable de la Cimade est par ailleurs plus indul­gent avec la muni­ci­pa­li­té que ses cama­rades d’autres orga­ni­sa­tions. Il juge ain­si posi­tif le tra­vail de la mai­rie de Gre­noble, qui doit cepen­dant être « sou­te­nu par les citoyens. C’est pour ça qu’on est là aujourd’­hui », pour­suit-il, appe­lant la popu­la­tion à se posi­tion­ner en faveur de la réqui­si­tion.

Le contexte poli­tique n’est pas non plus oublié par les mani­fes­tants. À cinq mois des élec­tions muni­ci­pales, les asso­cia­tions entendent en effet mettre la ques­tion du loge­ment au cœur de la cam­pagne. Avec une atten­tion par­ti­cu­lière aux posi­tions et pro­po­si­tions des can­di­dats — notam­ment de gauche — à ce sujet.

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