MC2 — Grenoble – Didon et Enée. Un éblouissement !

Par Régine Hausermann

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La MC2 a accueilli cette magnifique chorégraphie de Blanca Li les 9 et 10 janvier. © Dan Aucante
Jeudi 9 janvier 2025 – Première des deux représentations de la version dansée de l’opéra d’Henry Purcell, chorégraphiée par l’artiste espagnole Blanca Li, sur la musique enregistrée des Arts florissants, dirigés par William Christie. Superbe cadeau pour la reprise de la saison !

Des corps habités par la musique

Lors de l’ouverture de l’opéra, le rideau s’ouvre par­tiel­le­ment créant un tri­angle de lumière dans lequel s’inscrivent à contre-jour les dix danseur·ses — cinq femmes et cinq hommes – épou­sant de face le rythme de la musique, maniant des archets invi­sibles. Puis de pro­fil, la ges­tuelle des ins­tru­ments à vent prend le relais. Les corps sont habi­tés par la musique. C’est lent, c’est beau. Nous sommes pris dans la magie de Pur­cell magni­fiée par Blan­ca Li.

La tra­gé­die de Didon et Enée est lan­cée. Le rideau s’ouvre com­plè­te­ment. La pas­sion entre Didon, la reine de Car­thage, et le prince troyen Enée se déve­loppe sur un pla­teau nu, éclai­ré par les splen­dides effets de lumière de Pas­cal Laa­ji­li qui appro­fon­dissent les sen­ti­ments por­tés par la musique. Après une période d’hésitation, la reine fait le choix du bon­heur avec le prince troyen sur les conseils de sa confi­dente Belin­da — Shake the cloud from off your brow.

Un couple démultiplié, exultant

Tan­tôt le couple amou­reux est inter­pré­té par un dan­seur et une dan­seuse. Tan­tôt il est dan­sé par deux ou trois couples. Enée prend tour à tour l’apparence d’un homme élan­cé et ath­lé­tique, puis celle d’un homme au corps râblé. Didon est blonde ou brune, grande ou petite. Mais les dix artistes ont en com­mun leur éner­gie, leur sou­plesse ath­lé­tique qui va très vite se déployer dans l’élément aqua­tique.

À la fin du pre­mier acte, la musique s’est tue pour lais­ser entendre le son de l’eau répan­due par les danseur·ses sur le pla­teau. L’action se déplace du palais de la reine au rivage médi­ter­ra­néen où Enée a accos­té. La joie est à son comble sur la plage trans­for­mée en ter­rain de jeux sur lequel on danse, on glisse, on se pour­suit, on s’éclabousse, en maillot de bain.

© Laurent Paillier

Le devoir l’emporte sur l’amour

Mais les dieux sont mécon­tents et s’expriment à tra­vers les malé­fiques sor­cières qui déclenchent un orage annon­cia­teur de mal­heur. Enée est rap­pe­lé à son devoir : quit­ter Car­thage pour fon­der la ville de Rome. Le fond de scène passe de l’or du soleil cou­chant au gris et noir du ciel tour­men­té. Enée résiste mais sa volon­té est de peu de poids face à l’ordre divin. Le dénoue­ment est proche. Résonne alors le célèbre lamen­to — Remem­ber me, but ah ! for­get my fate – que Didon adresse à Belin­da avant de se pré­ci­pi­ter du haut du rocher.

© Dan Aucante

La musique d’Henry Pur­cell et le livret de Nahum Tate (1689) conti­nuent à nous émou­voir pro­fon­dé­ment, inter­pré­tés par William Chris­tie et ses Arts flo­ris­sants, les chanteur·ses Kate Lind­say, Rena­to Dol­ci­ni et Ana Viei­ra Leite. La cho­ré­gra­phie réso­lu­ment contem­po­raine de Blan­ca Li épouse les nuances des amours contra­riées d’un couple démul­ti­plié qui danse en évo­quant Matisse, qui glisse en maillot de bain sur la plage, qui s’effraie de l’empêchement d’être heu­reux, n’ayant pour seule issue que de quit­ter la scène à la façon d’une barque funé­raire égyp­tienne.

Le public de la MC2 a applau­di de longues minutes avant que le rideau ne se referme sur tant de beau­té et de souf­france.

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