MC2 — Grenoble – D’autres familles que la mienne. L’histoire de Nora, enfant placée
Par Régine Hausermann
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Nora, l’enfant de la DDASS
Les cinq comédien·nes entrent en même temps, s’assoient sur les chaises disposées à cour et à jardin. Puis une jeune femme s’avance vers le public, téléphone à la main, pour choisir la musique la mieux adaptée à l’évènement imminent – un mariage ou un anniversaire – signalé par une grande table de fête et, en fond de scène, une de ces nappes brodées d’initiales qui constituait un élément du trousseau des jeunes filles au milieu du XXe siècle. C’est Nora.
Résonne la voix de Dalida : « C’était le temps des fleurs, on ignorait la peur, les lendemains avaient un goût de miel… ». Elle coupe rapidement car les paroles lui rappellent la peur, au contraire. En fait, aucune chanson ne convient. Ce que le spectacle se met à nous raconter. Retour en arrière. Nora bébé, abandonnée sur un balcon toute une journée par sa mère en 1989, au moment de la chute du mur de Berlin. Nora en famille d’accueil pendant quatorze ans avec Mathieu et Amélie, de bons « parents ». Nora qui leur est retirée pour satisfaire les droits de sa mère biologique à la voir chaque semaine.
Le tableau, qui réunit trois éducateurs de la DDASS pour la prise de décision, est terrible : il traduit à la fois le degré d’implication variable des éducateurs et éducatrices, et le poids du manque de moyens accordés par la société. Nora en foyer de la DDASS, aujourd’hui l’ASE. Nora livrée à elle-même à 18 ans. Mais le récit de la vie de Nora n’est pas linéaire. Aux spectateurs et spectatrices de reconstituer les pièces du puzzle.
Nora et Ariane, les deux amies
La rencontre au lycée avec Ariane chamboule sa vie. D’emblée, la joyeuse et généreuse Ariane l’invite à venir manger des crêpes à la maison. Nora découvre une famille harmonieuse, une relation mère-fille faite de tendresse. Nora et Ariane deviennent inséparables pendant la période si perturbée de l’adolescence. Tableau comique avec le professeur de danse.
Mais la séance d’analyse de tableau que les deux filles n’ont pas préparée atteint un sommet de drôlerie. Devant la professeure et le public, les deux jeunes filles proposent une interprétation hilarante de La Cène de Léonard de Vinci, projetée plein écran en fond de scène, rebaptisée L’Anniversaire de Jacques ! Clin d’œil à Jacques, l’éducateur plein d’empathie. Zoé Fauconnet (Nora) et Clémence Boissé (Ariane) sont d’un naturel épatant et déclenchent l’hilarité du public. Un vrai bonheur !
Disparition de Nora, puis reconstruction
Ariane est désespérée lorsqu’elle perd la trace de Nora, expulsée de son foyer à 18 ans. Sa souffrance donne lieu à un magnifique monologue sur l’amitié. Le temps passe. Ariane rencontre Nino, interprété par Matéo Thioller-Serrano, comédien et circassien au corps souple. Scène de bonheur malgré l’absence de Nora. Un lustre baroque et une boule à facettes descendent des cintres, comme les vêtements de la mariée. Mais rien ne dure. Et le tableau final referme le récit interrompu lors du tableau initial. Nora raconte brièvement et avec pudeur les séquences manquantes qui conduisent à un deuxième mariage.
Valérie Puech, Najda Bourgeois et Olivier Constant complètent la société gravitant autour du trio endossant tour à tour les habits des familles d’accueil, des professeur·es, des éducateurs et éducatrices. Les cinq réussissent à la fin à créer une famille, par le choix, et non par le sang.
« J’aime que mes pièces aillent vers la lumière. On se rend au théâtre pour voir une réalité du monde, bien sûr, mais pas pour être désespéré. » Estelle Savasta
La fibre sociale d’Estelle Savasta
Artiste associée au Théâtre des Quartiers d’Ivry — CDN du Val-de-Marne, au Centre dramatique national de Normandie-Rouen et au Théâtre + Cinéma Scène nationale Grand Narbonne. Directrice de la compagnie Hippolyte a mal au cœur, conventionnée par la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture.
La metteuse en scène dit avoir longtemps hésité entre le métier d’éducatrice et le théâtre. D’autres familles que la mienne est le fruit d’une longue enquête sur l’aide sociale à l’enfance, au cours de laquelle elle a rencontré des enfants placés devenus adultes, des juges, des éducateurs/trices et des familles d’accueil.
Parallèlement à son travail de création, la compagnie veille à rester en lien avec les publics les plus éloignés du théâtre, en initiant des projets ou en apportant des représentations dans des lieux non dédiés : milieu hospitalier, carcéral, foyers de l’aide sociale à l’enfance…
La tournée 2024–2025 continue
- 15 au 17 janvier — Théâtre de la Cité CDN de Toulouse Occitanie
- 28 au 31 janvier — Comédie de Saint-Étienne
- 4 au 6 mars — CCAM Scène nationale de Vandoeuvre en collaboration avec le Théâtre de la
Manufacture CDN Nancy Lorraine - 27 et 28 mars — Maison de la culture de Bourges scène nationale
- 26 et 27 mai — Théâtre + Cinéma scène nationale du Grand Narbonne