MC2 — Grenoble – D’autres familles que la mienne. L’histoire de Nora, enfant placée

Par Régine Hausermann

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La table devient bureau lorsque Nora fait ses devoirs dans sa famille d’accueil. © Danica Bijeljac
Jeudi 5 décembre 2024 – Rideau ouvert sur un dispositif simplissime plongé dans le noir dans la salle Rizzardo, lors de l’entrée du public. La lumière se fait pour répondre à la question : « Qu’est-ce qui fait famille ? » Estelle Savasta, co-autrice et metteuse en scène, propose sa réponse à travers l’histoire de Nora, sous forme de tableaux, quelquefois très courts, graves ou comiques, sans discours abstrait ni didactique. À partir d’un gros travail de documentation, Estelle Savasta et ses acteurs et actrices suscitent émotion et réflexion.

Nora, l’enfant de la DDASS

Les cinq comédien·nes entrent en même temps, s’assoient sur les chaises dis­po­sées à cour et à jar­din. Puis une jeune femme s’avance vers le public, télé­phone à la main, pour choi­sir la musique la mieux adap­tée à l’évènement immi­nent – un mariage ou un anni­ver­saire – signa­lé par une grande table de fête et, en fond de scène, une de ces nappes bro­dées d’initiales qui consti­tuait un élé­ment du trous­seau des jeunes filles au milieu du XXe siècle. C’est Nora.

Résonne la voix de Dali­da : « C’était le temps des fleurs, on igno­rait la peur, les len­de­mains avaient un goût de miel… ». Elle coupe rapi­de­ment car les paroles lui rap­pellent la peur, au contraire. En fait, aucune chan­son ne convient. Ce que le spec­tacle se met à nous racon­ter. Retour en arrière. Nora bébé, aban­don­née sur un bal­con toute une jour­née par sa mère en 1989, au moment de la chute du mur de Ber­lin. Nora en famille d’accueil pen­dant qua­torze ans avec Mathieu et Amé­lie, de bons « parents ». Nora qui leur est reti­rée pour satis­faire les droits de sa mère bio­lo­gique à la voir chaque semaine.

Le tableau, qui réunit trois édu­ca­teurs de la DDASS pour la prise de déci­sion, est ter­rible : il tra­duit à la fois le degré d’implication variable des édu­ca­teurs et édu­ca­trices, et le poids du manque de moyens accor­dés par la socié­té. Nora en foyer de la DDASS, aujourd’hui l’ASE. Nora livrée à elle-même à 18 ans. Mais le récit de la vie de Nora n’est pas linéaire. Aux spec­ta­teurs et spec­ta­trices de recons­ti­tuer les pièces du puzzle.

Nora et Ariane, les deux ados com­plices. © Dani­ca Bijel­jac

Nora et Ariane, les deux amies

La ren­contre au lycée avec Ariane cham­boule sa vie. D’emblée, la joyeuse et géné­reuse Ariane l’invite à venir man­ger des crêpes à la mai­son. Nora découvre une famille har­mo­nieuse, une rela­tion mère-fille faite de ten­dresse. Nora et Ariane deviennent insé­pa­rables pen­dant la période si per­tur­bée de l’adolescence. Tableau comique avec le pro­fes­seur de danse.

Mais la séance d’analyse de tableau que les deux filles n’ont pas pré­pa­rée atteint un som­met de drô­le­rie. Devant la pro­fes­seure et le public, les deux jeunes filles pro­posent une inter­pré­ta­tion hila­rante de La Cène de Léo­nard de Vin­ci, pro­je­tée plein écran en fond de scène, rebap­ti­sée L’Anniversaire de Jacques ! Clin d’œil à Jacques, l’éducateur plein d’empathie. Zoé Fau­con­net (Nora) et Clé­mence Bois­sé (Ariane) sont d’un natu­rel épa­tant et déclenchent l’hilarité du public. Un vrai bon­heur !

Disparition de Nora, puis reconstruction

Ariane est déses­pé­rée lorsqu’elle perd la trace de Nora, expul­sée de son foyer à 18 ans. Sa souf­france donne lieu à un magni­fique mono­logue sur l’amitié. Le temps passe. Ariane ren­contre Nino, inter­pré­té par Matéo Thiol­ler-Ser­ra­no, comé­dien et cir­cas­sien au corps souple. Scène de bon­heur mal­gré l’absence de Nora. Un lustre baroque et une boule à facettes des­cendent des cintres, comme les vête­ments de la mariée. Mais rien ne dure. Et le tableau final referme le récit inter­rom­pu lors du tableau ini­tial. Nora raconte briè­ve­ment et avec pudeur les séquences man­quantes qui conduisent à un deuxième mariage.

Valé­rie Puech, Naj­da Bour­geois et Oli­vier Constant com­plètent la socié­té gra­vi­tant autour du trio endos­sant tour à tour les habits des familles d’accueil, des professeur·es, des édu­ca­teurs et édu­ca­trices. Les cinq réus­sissent à la fin à créer une famille, par le choix, et non par le sang.

« J’aime que mes pièces aillent vers la lumière. On se rend au théâtre pour voir une réa­li­té du monde, bien sûr, mais pas pour être déses­pé­ré. » Estelle Savas­ta

Table fes­tive lors du mariage d’Ariane et Nino. © Dani­ca Bijel­jac

La fibre sociale d’Estelle Savasta

Artiste asso­ciée au Théâtre des Quar­tiers d’Ivry — CDN du Val-de-Marne, au Centre dra­ma­tique natio­nal de Nor­man­die-Rouen et au Théâtre + Ciné­ma Scène natio­nale Grand Nar­bonne. Direc­trice de la com­pa­gnie Hip­po­lyte a mal au cœur, conven­tion­née par la DRAC Île-de-France – minis­tère de la Culture.

La met­teuse en scène dit avoir long­temps hési­té entre le métier d’éducatrice et le théâtre. D’autres familles que la mienne est le fruit d’une longue enquête sur l’aide sociale à l’enfance, au cours de laquelle elle a ren­con­tré des enfants pla­cés deve­nus adultes, des juges, des éducateurs/trices et des familles d’accueil.

Paral­lè­le­ment à son tra­vail de créa­tion, la com­pa­gnie veille à res­ter en lien avec les publics les plus éloi­gnés du théâtre, en ini­tiant des pro­jets ou en appor­tant des repré­sen­ta­tions dans des lieux non dédiés : milieu hos­pi­ta­lier, car­cé­ral, foyers de l’aide sociale à l’enfance…

La tour­née 2024–2025 conti­nue
  • 15 au 17 jan­vier — Théâtre de la Cité CDN de Tou­louse Occi­ta­nie
  • 28 au 31 jan­vier — Comé­die de Saint-Étienne
  • 4 au 6 mars — CCAM Scène natio­nale de Van­doeuvre en col­la­bo­ra­tion avec le Théâtre de la
    Manu­fac­ture CDN Nan­cy Lor­raine
  • 27 et 28 mars — Mai­son de la culture de Bourges scène natio­nale
  • 26 et 27 mai — Théâtre + Ciné­ma scène natio­nale du Grand Nar­bonne

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