MC2 — Grenoble – Black lights. Danser pour dénoncer, pour se rebeller, se redresser

Par Régine Hausermann

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©Arnaud Caraviel

Jeudi 8 février 2024 – Avec ces Lumières Noires — bel oxymore — Mathilde Monnier et ses sept jeunes danseuses-comédiennes, signent un spectacle-manifeste, puissant, universel. Le sexisme, l’emprise, la domination, ça suffit ! Les femmes sont des êtres libres, les égales des hommes. Qu’on se le dise !

Elles s’appellent Mathilde, Isa­bel, Aïda, Kaï­sha, Lucia, Mai-Júli, Caro­li­na, Jone, Ophé­lie. Elles sont fran­çaises ou non. Elles ont des accents variés. Elles sont jeunes, sauf une, la cho­ré­graphe Mathilde Mon­nier, née en 1959. Elles sont plus ou moins minces. Elles ont la peau blanche ou brune. Deux sont noires.

Point com­mun, elles sont femmes. Et ani­mées par la même rage, celle de refu­ser la réi­fi­ca­tion que leur imposent les hommes qui les sifflent, les draguent, les traitent de « pute » ou de « salope » les har­cèlent, les bru­ta­lisent, les violent. Insup­por­table !

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© Laurent Phi­lippe

Se redres­ser !
Dans la pre­mière séquence d’ensemble, leurs corps au ras du sol, elles se contor­sionnent en posi­tion hori­zon­tale, cuisses ouvertes. Elles s’offrent au désir de l’homme dans leurs tenues colo­rées, chaus­sées de bot­tines à talons. Sexy, pour plaire ! N’est-ce pas ain­si qu’on les a édu­quées ?
Au fur et à mesure, l’une prend la parole, puis l’autre, pour dénon­cer les gestes dépla­cés, les insultes, les requêtes, les injonc­tions dont elles sont l’objet. Elles se redressent, elles apprennent à refu­ser, à dénon­cer, à se défendre, à boxer, à impo­ser leur propre volon­té. La rage les prend et le spec­tacle se ter­mine dans un moment de transe, com­mu­ni­quée aux spec­ta­trices et spec­ta­teurs — de nombreux.ses jeunes -, qui se lèvent, frappent dans leurs mains, bien déter­mi­nés à ne plus se lais­ser faire.

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© Marc Cou­drais

Une série à voir

Mathilde Mon­nier s’est ins­pi­rée de la série télé­vi­sée dif­fu­sée sur Arte en 2021 — H24 ou 24 heures dans la vie d’une femme — de Valé­rie Urrea et Natha­lie Mas­du­raud, tou­jours dis­po­nible, qui met en scène 24 films courts (3mn) et auda­cieux à tra­vers 24 situa­tions de la vie quo­ti­dienne d’une femme. Au tra­vail, à la mai­son, dans la rue.

Dans la série H24, que nous avons vision­née après le spec­tacle, nous avons été frap­pée par la qua­li­té des images, la varié­té des situa­tions, des langues, des pro­fils. Les actrices parlent fran­çais mais aus­si espa­gnol, russe… Cer­taines sont connues comme Vale­ria Bru­ni-Tedes­chi, Anaïs Demous­tier, Camille Cot­tin, Flo­rence Loi­ret-Caille, Céleste Brunn­quell révé­lée dans la série En thé­ra­pie.

Les onze textes rete­nus par Mathilde Mon­nier révèlent son sou­ci de mon­trer l’universalité de la vio­lence faite aux femmes. Les autrices sont fran­çaises, sou­vent avec des noms à conso­nance étran­gère — vive le métis­sage ! -, belge, état­su­nienne, grecque, inuite, polo­naise. Nous en connais­sions plu­sieurs dont nous avons lu des romans – Alice Zeni­ter, Lola Lafon, Siri Hust­vedt, Moni­ca Sabo­lo, Agnès Desarthe. Nous en avons décou­vert d’autres.

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Les paroles et la danse

Mathilde Mon­nier a répon­du à l’invitation des deux réa­li­sa­trices : « N’hésitez pas à vous empa­rer de ces paroles, elles sont fortes, ce sont les vôtres. » Pour la cho­ré­graphe fémi­niste, la ten­ta­tion était forte de « prendre au mot cette main ten­due comme un appel à un spec­tacle pou­vant s’inventer et don­ner une autre vie à ces his­toires qui met­traient en lien direc­te­ment ce que ces textes font au corps. » 

Onze situa­tions, onze agres­sions dont nous lisons les comptes ren­dus dans la presse, dont nous enten­dons des témoi­gnages tous les jours. Il est temps que les rela­tions hommes-femmes changent.

- 10 cm au-des­sus du sol d’Alice Zeni­ter (France) cible l’injonction faite aux ven­deuses ou hôtesses d’être sexy, de por­ter des chaus­sures à talons hauts – de 8 ou 10 cm de haut – « parce que quand les clients sont contents, ils prennent plus de risque finan­cier ». Tra­duc­tion = les clients sont des hommes qui sont contents lorsqu’ils voient des femmes aux longues jambes. CQFD !

- Concer­to N°4 de Siri Hust­vedt (E.U.) raconte l’insistance du vieux pro­fes­seur de musique qui insiste pour que son élève vienne écou­ter de la musique chez lui. Varia­tion sur le thème de l’appétit de « vieux mâles domi­nants » pour des jeunes filles. L’actualité ne manque pas d’exemples !

- Fan­tôme de Moni­ca Sabo­lo (France) — Une jeune fille se fait vio­ler dans un par­king, elle doit être recou­sue. Elle pense avoir de la chance lorsqu’elle constate, lors de sa com­pa­ru­tion en jus­tice, que les deux juges sont des femmes. Mais l’une lui demande ce qu’elle fai­sait la nuit dans un par­king. Et puis les gar­çons la trou­vaient « moche ». Constat amer de la comé­dienne qui parle russe : « Les femmes-juges elles existent. Les gar­çons qui m’ont fait ça, ils existent. Mais pas les filles comme moi. Nous n’existons pas. Nous sommes des fan­tômes. »

- Mon har­ce­leur de Lize Spit (Bel­gique) – Un homme en voi­ture drague une jeune femme qui marche dans la rue. « Eh, prin­cesse, tu fais la gueule ? Tu es trop jolie pour tirer la gueule. » « Lorsqu’on nous siffle dans la rue, nous sommes impuis­santes, » se désole la jeune femme. 

- Je serai reine de Lola Lafon (France) – Une jeune pati­neuse par­ti­cipe à un stage de danse pour lequel ses parents ont fait des sacri­fices finan­ciers. C’est dur mais for­mi­dable. Jusqu’à ce que l’entraîneur pose ses doigts sur elle, pénètre dans sa chambre, la viole. Il lui a fal­lu vingt-cinq ans pour por­ter plainte.

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© Marc Cou­drais

- Ter­mi­nal F de Fabienne Kanor (France) – Une fille noire est à terre, pla­quée par un CRS, à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Menot­tée, cho­quée, elle a per­du sa jupe. Elle se sent nue, rem­plie de honte. Mais qu’a‑t-elle fait ?

- Le Chi­gnon d’Agnès Desarthe (France) – « Sur le moment, j’ai sou­ri. Depuis l’enfance, on me dit tu devrais être avo­cat… avo­cat ou avo­cate ? » Alors elle s’est ins­crite en droit et lors du concours d’éloquence auquel elle par­ti­cipe, Maître Dali­lo ne trouve rien de mieux que de lui dire : « Il vous va bien, ce chi­gnon ! » Stu­peur. « J’ai sou­ri car je suis polie mais j’aurais dû cla­quer la porte. »

- Je brûle d’Ersi Soti­ro­pou­los (Grèce) – Fémi­ni­cide. Un homme a asper­gé sa com­pagne d’essence, elle brûle. La veille encore, elle était allée au poste de police. « On s’occupe de vous madame. »

- Fan Zone de Blan­dine Rin­kel (France) – La France a gagné la coupe du monde de foot­ball. La joie est à son comble. Une femme et sa fille sautent et chantent dans une fan zone. Mais la mère sent un contact contre sa cuisse. Elle se retourne. Un homme se mas­turbe. L’horreur ! A quelques cen­ti­mètres de sa fille. Sans que per­sonne n’ait rien vu, rien dit ! Les poli­ciers vers qui elle se dirige pour dénon­cer le « frot­teur » lui conseillent d’aller por­ter plainte. Ils ne bougent pas : « Ce n’est pas un ter­ro­riste. »

- Under Control de Niviaq Kor­ne­lius­sen (autrice inuite groen­lan­daise) – Dans un bar, une jeune fille raconte à un jeune homme ce qui lui est arri­vé. Son chef l’a fil­mée lors de son pas­sage aux toi­lettes et a pos­té une vidéo sur Face­book dans laquelle « elle se gratte la chatte ». Il ne l’a pas tou­chée mais elle se sent souillée. « Un enfant sur trois est agres­sé sexuel­le­ment ici, au Groen­land. » Or les hommes sont impu­nis, sur­tout les hommes puis­sants. « Un poli­ti­cien peut pelo­ter une femme et gar­der son poste ! » Son gen­til inter­lo­cu­teur semble d’accord avec elle.

- Ça, c’est mon corps de Gra­zy­na Ple­ba­nek (Pologne) – Un type barre la route à une fille, la traite de « salope », veut lui tou­cher les seins. Mais c’est une boxeuse, elle le frappe. « Gauche, droite, cro­chet, esquive. » Les mots de son entraî­neur la sti­mulent. Elle danse. Il saigne. Légi­time défense. Elle jubile. « Ça c’est mon corps, ça tu t’en sou­vien­dras ! » Séquence en polo­nais sous-titré.

Le spec­tacle a été créé au fes­ti­val Mont­pel­lier-Danse en juin 2023. Il enthou­siasme le public et conti­nue à tour­ner en France :
• du 20 au 23 mars 2024 aux Subs, Mai­son de la Danse à Lyon
• les 4 et 5 avril 2024, Le Quartz, Brest

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Jeu­di 8 février à la MC2 – Joie par­ta­gée – Bra­vo aux artistes et à leur cho­ré­graphe, Mathilde Mon­nier, 64 ans, en blanc au pre­mier plan.

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