MC2 — Grenoble – Les sœurs Hilton, de Valérie Lesort et Christian Hecq. Un cadeau !
Par Régine Hausermann
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La scène de l’accouchement ouvre le spectacle devant l’entrée d’un lieu de plaisir. Rodolphe Poulain – au gabarit imposant — dans le rôle de la parturiente en costume de stripteaseuse, implore le secours de sa patronne — sage-femme à ses heures – au gabarit plus modeste, en robe rouge, interprétée par Christian Heck qui nous régale d’un jeu outré, transformant son corps en marionnette vivante. L’accouchement est traité en théâtre d’ombre et donne lieu à de nombreux effets comiques qui ne s’embarrassent pas de bienséance ! Enfin des pleurs se font entendre. Stupeur ! Deux fillettes apparaissent. Des jumelles ! Mais non, elles sont liées au niveau de la colonne vertébrale : des « monstres » ! des siamoises !

La mère annonce qu’elle ne veut pas de ces créatures. Immédiatement, Mary Hilton la sage-femme y voit une aubaine et les adopte. Devenue leur Tantine, elle élève les filles pour pouvoir les exhiber dans les foires dès l’âge de trois ans, moyennant quelques pennies.

Elle les fait éduquer, leur apprend la danse et le chant. Leur destin est tracé, d’autant qu’elles deviennent de très jolies jeunes filles. L’Amérique les attend. En ce début de 20ème siècle, les cirques itinérants sont nombreux. Elles partent en tournée, sont invitées à Broadway. Le succès est énorme. En 1932, elles jouent leur propre rôle dans le film Freaks de Tod Browning.
D’abord tenues à l’écart du public qui ne peut les voir qu’en payant, leur notoriété et leur programmation, leur font découvrir les autres. D’autres « monstres » comme elles : l’homme-tronc, Hercule de foire, et même Houdini le magicien qui leur apprend à se « séparer » mentalement, alias Rodolphe Poulain ; le pétomane alias Christian Hecq.
Valérie Lesort et Céline Milliat-Baumgartner changent de voix, de mimique, de robes, au cours des presque deux heures que durent le spectacle. Vient l’époque des premières amours. Violet est amoureuse de Maurice. Couple impossible ! Beau moment de poésie où Maurice (Christian Hecq) lui déclare son amour. Les sœurs découvrent aussi le terme « exploitation » car elles sont complètement sous la coupe de leur Tantine.
Deux hommes, deux femmes, deux duos éblouissants, complétés au niveau musical par le pianiste Renaud Crols, perché au-dessus des rideaux de l’entrée, quelquefois rejoint par les deux comédiens pour des airs de jazz, de swing, de charleston souvent accompagnés par les pas de danse des deux sœurs. Les tableaux se succèdent au rythme de la musique et des gags. Le public vibre. Si le dialogue et les situations évoquent aussi les souffrances et les difficultés psychologiques et sociales des deux jeunes femmes, c’est la joie qui domine, dans un décor de cirque, de fête foraine, de comédie musicale ou de cabaret. D’autant qu’elles ont gagné leur indépendance juridique et financière.

Mais le succès s’émousse avec l’arrivée du cinéma parlant et les sœurs en sont réduites à s’exhiber dans une boîte de strip-tease. Puis elles en sont réduites à travailler dans une épicerie. Tableau où on les voit accomplir des gestes mécaniques, harcelées par la voix impatiente de leur patronne. Janvier 1969, elles succombent à la grippe de Hong-Kong, Violet survivant de trois jours à Daisy. Dernier tableau émouvant.
Valérie Lesort a écrit les dialogues. Christian Heck (de la Comédie française) en a assuré la mise en scène. A cinq, ils recréent sur scène un monde en s’inspirant du surréalisme et du burlesque. Sans oublier les technicien·nes du son, de la lumière, du maquillage et du costume qui sont six à venir saluer à la fin de la représentation. Un splendide travail artistique où les individualités se nourrissent du collectif.


