MC2 — Grenoble – La Saga de Molière. Une soirée pétillante !

Par Régine Hausermann

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Johana Giacardi et ses quatre complices relatent la vie de Molière. © Camille Lemonnier
Mardi 20 mai - Cinq jeunes femmes au tempérament de feu, nous attendent dans la salle Rizzardo, nous invitent à nous installer autour des tréteaux dressés sur scène. L’une nous demande si nous connaissons Jean-Baptiste Poquelin. L’autre prétend être Ariane Mnouchkine, qui, elle aussi, a proposé « son » Molière. Elles portent des costumes bricolés, disparates. C’est parti pour une heure trente de « théâtre brut, essentiel et pauvre » à la re-découverte de la vie du grand Molière. Ces filles ont du talent !

« Mes­dames et Mes­sieurs, chers amis, chers publics, bien­ve­nue ! Voi­ci l’histoire de Molière comme vous ne l’avez jamais enten­due aupa­ra­vant ! » Joha­na Gia­car­di lance le spec­tacle devant les spec­ta­trices et spec­ta­teurs assis dans un dis­po­si­tif tri-fron­tal. Elle nous en dit un peu plus sur la genèse de la Saga : « L’été 2019, je découvre Le Roman de Mon­sieur de Molière de Mikhaïl Boul­ga­kov et le soir, sous la toile de ma tente, je m’amuse à nous recon­naître à tra­vers ce récit : Tiens ! Peut-être qu’en fait Molière c’est moi ! Peut-être que l’Illustre Théâtre c’est les Esti­vants ! »

Ni bio­graphe, ni his­to­rienne, elle prend la liber­té de racon­ter la vie de Mon­sieur de Molière selon sa propre repré­sen­ta­tion du théâtre de l’époque, quitte à fabri­quer des légendes à par­tir d’éléments connus, de défor­mer la réa­li­té, d’exagérer le carac­tère rocam­bo­lesque de sa vie, d’établir des liens avec sa propre com­pa­gnie de théâtre du XXIe siècle.

Joha­na Gia­car­di, c’est la grande mince au som­bre­ro, la fon­da­trice de la com­pa­gnie Les Esti­vants en 2016 à Mar­seille. C’est aus­si l’autrice et la met­teuse en scène du spec­tacle qui a d’abord tour­né dans les cam­pings du sud de la France en 2019, comme Molière s’est lan­cé sur les routes de France en 1645 avec son Illustre Théâtre.

La jeunesse parisienne

Mais reve­nons aux ori­gines, à ce jour de la nais­sance de Jean-Bap­tiste, début jan­vier 1622 à Paris. Nous assis­tons à l’accouchement mou­ve­men­té de Marie Cres­sé, à la joie du père Jean Poque­lin rece­vant son fils dans ses bras. Jean-Bap­tiste a bien­tôt dix ans et son père le voit déjà tapis­sier comme lui. Mais le gar­çon est séduit par les bate­leurs du Pont-Neuf, les comé­diens ita­liens que son grand-père lui a fait connaître.

Jean-Bap­tiste entre au pres­ti­gieux col­lège de Cler­mont, diri­gé par les jésuites évi­dem­ment (actuel lycée Louis-le-Grand. Il y noue des ami­tiés qui lui font ren­con­trer les phi­lo­sophes liber­tins Gas­sen­di et Cyra­no de Ber­ge­rac. Il y côtoie le prince de Conti — dit Ticon ! — qui devien­dra plus tard son mécène… selon la ver­sion Joha­na Gia­car­di !

Les comé­diennes portent suc­ces­si­ve­ment des élé­ments de ves­ti­men­taires et des acces­soires qui les trans­forment en Marie Cres­sé, en accou­cheuse, en gamin por­té sur les épaules du grand- père, en Cyra­no, Gas­sen­di…

Il sera comédien !

C’est déci­dé, Jean-Bap­tiste ne sera pas tapis­sier mais fera du droit. Pour­tant l’amour du théâtre balaie tout et le jeune Poque­lin devient Molière. Belle scène de ren­contre amou­reuse avec la comé­dienne Made­leine Béjart lors d’un réci­tal poé­tique où elle dit le fameux son­net de Louise Lab­bé :

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endu­rant froi­dure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entre­mê­lés de joie.

Tout à un coup je ris et je lar­moie,
Et en plai­sir maint grief tour­ment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je ver­doie.

Ain­si Amour incons­tam­ment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de dou­leur,
Sans y pen­ser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être cer­taine,
Et être au haut de mon dési­ré heur,
Il me remet en mon pre­mier mal­heur.

En contre­point, l’une des comé­diennes, trans­for­mée en cœur brû­lant, joue de la flûte !

© Vincent Zobler

L’Illustre Théâtre

En 1643, Molière s’associe avec les trois aînés de la fra­trie Béjart (Joseph, Made­leine et Gene­viève), pour consti­tuer une troupe per­ma­nente. Dif­fi­cile de riva­li­ser avec les « grands comé­diens » de l’Hôtel de Bour­gogne, les rois de la tra­gé­die.

En 1646, déci­sion est prise de par­tir sur les routes du Sud de la France. La troupe tourne pen­dant douze ans dans les villes du Sud. A Mont­pel­lier, Gre­noble, Péze­nas… Elle obtient même la pro­tec­tion de Ticon – le Prince de Conti – avant de rejoindre Paris et de réga­ler la Cour et la Ville avec les comé­dies que nous connais­sons. Mais rares sont les cita­tions des œuvres. Joha­na Gia­car­di et ses comé­diennes pri­vi­lé­gient le récit et l’action.

Molière est deve­nu le grand dra­ma­turge que nous connais­sons, non sans dif­fi­cul­tés pro­fes­sion­nelles, pen­sons à la que­relle du Tar­tuffe. Dans le domaine sen­ti­men­tal, le rem­pla­ce­ment de Made­leine par sa jeune sœur Armande est sévère, lors d’une séquence dont la dure­té est atté­nuée par la cari­ca­ture : Made­leine, le visage strié de rides tra­cées à vue au char­bon de bois, répu­diée !

Le Masque et la Plume

Séquence très applau­die par le public, celle où quatre comé­diennes inter­prètent en play­back une séquence cri­tique féroce du « Masque et la Plume » consa­crée à une pièce de Molière, on ne sau­ra pas laquelle. Les contor­sions des cri­tiques, la méchan­ce­té de leurs pro­pos vipé­rins sidèrent !

Le temps a pas­sé trop vite, Molière conti­nue à écrire, mettre en scène, jouer. Il est mal en point mais décide de jouer mal­gré tout. Son der­nier rôle est celui d’Argan, héros du Malade ima­gi­naire. Il meurt le 17 février 1673.

Fin de la Saga de Molière applau­die par le public qui allume la petite bou­gie reçue à l’entrée. Bel hom­mage émou­vant de cen­taines de lumières célé­brant dans la pénombre la gran­deur de l’artiste et de l’art !

© Camille Lemon­nier

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